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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Enfant et la licorne

(A Kid for Two Farthings)

L'histoire

Dans le quartier pauvre de l’East End de Londres, Joe, un petit garçon, vit avec sa mère, Joanne. Ils habitent au-dessus du magasin du tailleur Kandinsky pour lequel elle travaille. Joe est candidement et sérieusement déterminé à aider à exaucer les vœux de ses voisins pauvres qui se tuent à la besogne. Après avoir entendu Mr. Kandinsky raconter qu’une licorne capturée permet la réalisation de tous les vœux, Joe utilise son argent de poche pour acheter un chevreau qui a une corne au milieu du front, pensant qu’il s’agit d’un animal magique.

Analyse et critique

A Kid for Two Farthings est une des dernières œuvres "modestes" de Carol Reed avant que sa carrière ne s'oriente davantage vers la superproduction avec notamment Trapèze (1956), L'Extase et l'agonie (1965) ou encore Oliver (1968) - sans parler de sa contribution non créditée aux Révoltés du Bounty (1962, finalement réalisé par Lewis Milestone). L'Homme de Berlin (1953), film précédent de Reed, avait rencontré un accueil public et critique tiède en raison d'une approche jugée (à tort) trop proche du Troisième homme (1949). Le réalisateur décide donc pour son projet suivant de revenir à un sujet typiquement anglais en adaptant le roman semi-autobiographique de Wolf Mankowitz. Le film cherche à la fois à dépeindre un récit d'enfance et une perte d'innocence à la manière de Première désillusion (1948) et à capturer une pure atmosphère londonienne comme a pu le faire Huit heures de sursis (1947).

C'est la complémentarité de ces deux objectifs qui évite au film de donner dans la redite. La dimension de conte s'incarne à travers le personnage de Joe (Jonathan Ashmore), jeune garçon vivant avec sa mère Joanna (Celia Johnson), dans l'attente que la famille rejoigne le père parti chercher fortune en Afrique. Doux rêveur, Joe s'accroche à la perspective de revoir son père en espérant trouver une licorne apte à exaucer tous ses vœux. Il pense avoir touché au but lorsqu'il acquiert un chevreau muni d'une seule corne, et ce nouvel espoir va influencer tous les protagonistes qui gravitent autour du garçonnet. Les attentes contrariées, suspendues où déçues caractérisent ainsi, à des degrés divers, l'espoir de mariage de Sonia (Diane Dors) avec son musculeux fiancé Sam (Joe Robinson), celui d'une nouvelle machine pour le tailleur Kandinsky (David Kossoff) ou encore celui de revoir son mari pour Joanna. La candeur de Joe le pousse à croire en la magie de sa "licorne" et les hasards et coïncidences semblent presque lui donner raison à chaque fois. Cependant, si la licorne est un baume sans conséquence pour l'enfant, les adultes vont passer par des raccourcis dangereux vers le bonheur (Sonia poussant Sam à un périlleux combat de lutte afin d'obtenir les finances pour construire leur foyer) ou au contraire sombrer dans le plus pitoyable désespoir (Joanna résignée dans sa solitude). Le pont entre ces deux états est représenté par Kandinsky, formidable conteur qui avive l'imagination de Joe, tente de faire garder les pieds sur terre au couple Joanna/Joe et empêche Joanna de céder à sa dépression. Kandinsky est pourtant celui qui a le plus renoncé au bonheur, et pour une raison que Reed laisse subtilement deviner lorsque le personnage révèle son patronyme complet à consonance juive.

Si le vide et les terreurs nocturnes inspirées par la grande maison guidaient le point de vue du gamin de Première désillusion, c'est le grouillement urbain et la chaleur humaine du quartier marchand et cosmopolite de Petticoat Lane Market qui animent celui de Joe ici. Reed oscille entre réalisme et conte en alternant les vraies vues du quartier et le tournage en studio. Il s'agit de son premier film en couleur, et la photo d'Edward Scaife capture à merveille une réalité cosmopolite (des Indiens, la communauté juive ou à tendance slave) tout en déployant une vraie féérie tour à tour rêveuse ou inquiétante lors des séquences nocturnes avec des vues majestueuses du quartier. Cela façonne une approche voisine de ses travaux passés mais aussi totalement différente, puisque les villes fantômes, inquiétantes et mortifères du Troisième homme et Huit heures de sursis deviennent des lieux chargés de vie, de bruits et d'activités pour symboliser cet optimisme par le mouvement. Reed semble fortement influencé par le réalisme magique façonné par un Fellini sur Il Bidone (l'intimidant catcheur qui rappelle Anthony Quinn) ou Miracle à Milan de Vittorio De Sica. Cette bienveillance imprègne tout le film jusqu'à une belle conclusion qui aura, à des degrés divers, intégré un réel sinueux mais positif pour chacun des protagonistes. Un bel opus méconnu de Carol Reed.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 30 avril 2021