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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Homme de Berlin

(The Man Between)

L'histoire

Venue rendre visite à son frère Martin à Berlin-Ouest, Susan Mallison rencontre Ivo Kern, un ami de Bettina, l'épouse de Martin. Elle découvre que l'homme est le mari de Bettina que celle-ci croyait mort. Ivo est en réalité un agent d'espionnage de l'Est qui force sa femme à travailler pour lui. Son chef, Halendar, décide de kidnapper Bettina pour la forcer à livrer un de ses amis, Olaf Kastner, responsable d'un réseau d'évasion vers l'Ouest. Mais les agents se trompent et enlèvent Susan. Tombé amoureux de celle-ci, Ivo décide de la sauver.

Analyse et critique

L’Homme de Berlin est une œuvre restée dans l’ombre de l’un des sommets de la filmographie de Carol Reed, Le Troisième homme (1949). Le postulat voisin, avec son intrigue d’espionnage située dans une Europe vaincue et sinistrée d’après-guerre, a forcément engendré une comparaison défavorable à sa sortie. A posteriori, la période à laquelle se situe l’intrigue a également une moindre portée dramatique que certains grands films d'espionnage produits après l’édification du mur de Berlin (construit en 1961) comme L’Espion qui venait du froid (1965). La plus grande différence avec Le Troisième homme sera cependant à la fois thématique et dramatique.


Le Troisième homme avait été écrit par Graham Greene, véritable espion durant la Deuxième Guerre mondiale, qui y greffait là de vraies affaires s’étant déroulés durant le conflit. Le réalisme cru de ce Vienne d’après-guerre se mélangeait ainsi à une atmosphère expressionniste et hallucinée témoignant du mal poreux et corrupteur de cet environnement. C’est cette découverte qui accompagne le voyage de Joseph Cotten vers les ténèbres alors que L’Homme de Berlin évoque plutôt un retour à la lumière, une rédemption. C’est à travers le regard innocent de Susan (Claire Bloom) que l’on découvre le contexte de Berlin, un nid d’espions où se disputent les hommes et leurs secrets entre l’Est et l’Ouest. Ces enjeux reposent sur le passé des personnages et Carol Reed les inscrit dans un extérieur paranoïaque avec des protagonistes troubles observant les pérégrinations de Susan, mais également dans l’intime à travers la présence angoissée de sa belle-sœur Bettina (Hildegard Knef). Les stigmates de la guerre s’incarnent dans les paysages en ruines et la pauvreté ambiante, et se révèlent par la culpabilité des personnages. Ivo Kern (James Mason) est le visage de cette culpabilité pour Bettina et il traîne lui-même un détachement affectif comme patriotique issu des horreurs passées. Tout le trouble passe, contrairement au Troisième homme, lors de scènes de jour où se disputent manipulation et rapprochement sincère entre Susan et Ivo. On a une héroïne « vierge » de ce passé (et probablement encore enfant lors des évènements) qui s’attache à un être hésitant toujours entre intérêt personnel et amour naissant. James Mason est une nouvelle fois extraordinaire en incarnant une figure inquiétante par ce qu’elle représente (l’opportunisme et l’individualisme au-delà du choc des blocs) et au romantisme tragique dans l’humanité qu’elle dégage. Le dialogue dans lequel il explique comment la guerre l’a délesté de ses états d’âme est à ce titre poignant, le chaos d’une ère ayant balayé les âmes nobles en devenir - la formation d’avocat d’Ivo s’avérant inutile en ces heures troubles. Carol Reed atténue l’ambiguïté au fil de la révélation d’enjeux plus intimes qu’idéologiques.


Les dialogues initiaux jouent des différentes langues des protagonistes. Dans un premiers temps les échanges en allemand ne sont ni traduits ni sous-titrés, pour égarer le personnage de Susan lorsqu’elle y assiste mais également pour semer la suspicion chez le spectateur par l’absence de sous-titres. Carol Reed cède pourtant progressivement à l'idée de faire parler anglais à ses personnages allemands, non par convention mais pour clarifier le positionnement de chacun. Quand Le Troisième homme nous plonge dans un univers trouble où le héros ne distinguait plus le bien du mal, les alliés des ennemis, L’Homme de Berlin fait de son héroïne « extérieure » un ange rédempteur qui va extraire Ivo de cette fange. Dès lors, les dédales urbains nocturnes du Troisième homme sont à l’inverse ceux qui lèvent l’ambiguïté dans la fuite de Susan et Ivo. Les contre-plongées déroutantes sont bien là, les éclairages expressionnistes oppressants aussi (superbe travail de Desmond Dickinson), mais l’angoisse de la menace latente s’estompe avec la confiance que Susan peut enfin accorder à Ivo. La scène charnière de cette bascule sera lorsque Ivo devance Susan et disparaît dans une ruelle en la laissant livrée à elle-même dans la nuit berlinoise. Carol Reed multiplie les effets soulignant la terreur de l’héroïne aussitôt importunée par un automobiliste, avant qu’Ivo ressurgisse pour la sortir de ce mauvais pas. Le personnage retrouve une aura noble dans le regard de Susan, elle-même passant de la jeune fille innocente à la femme dans un moment où le romantisme le dispute à une sensualité osée pour le prude cinéma anglais - avec Claire Bloom déguisée en « poule » berlinoise pour donner le change aux poursuivants.


Les odyssées nocturnes servant de révélateurs sont au cœur de l’œuvre de Carol Reed, que ce soit pour surmonter un deuil dans Bank Holiday (1938), tragiques dans Huit heures de sursis (1947) et formatrices pour l’enfant de Première désillusion (1948). Le suspense certes bien présent importe cependant moins que l’accomplissement moral, ce qu’une magnifique et sacrificielle scène finale vient souligner. Une belle réussite qui mérite décidément de sortir de l’ombre du Troisième homme.

DANS LES SALLES

LE TROISIEME HOMME, premiere desillusion et l'homme de Berlin

DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 21 NOVEMBRE 2018

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 21 novembre 2018