
Ondine, fille des eaux, confiante dans la puissance de l'amour qu'elle éprouve pour le Chevalier Hans accepte le pacte du roi des Ondins : elle partira et vivra son amour humain, mais, si Hans la trahit, il mourra et Ondine retournera au lac, perdant jusqu'au souvenir de son existence terrestre.
Pour celles et ceux qui auraient lu ou pas la pièce de Jean Giraudoux celle-ci est actuellement en représentation au Théâtre Antoine à Paris et mise en scène par Jacques Weber.
L'histoire est superbe, un drame jouant sur différents registres, tantôt drame intimiste sur la place de l'humain et ses aspirations sentimentales, tantôt poème exalté de la passion amoureuse, de l'amour fou et de l'innocence. Le metteur en scène a choisi non pas la forme académique ( un décor, des comédiens, un texte cité à la virgule près) mais plutôt une adaptation lorgnant entre la modernité absolue ( costumes, décors tournants, etc...) et l'archaïsme ( costumes d'époque, une reconsitution des années 30, des armures des chevaliers). Un mélange qui au lieu de tourner à l'anachronisme et à une certaine facilité recherche au contraire l'onirisme, voire le surréalisme. Ainsi, les spectateurs parfois choqués ou décontenancés poussent des poufs d'incompréhension, constatent que des hommes-poissons ou hommes-scaphandres s'adressent à des humains, ou que Ondine, fille des mers, est représentée comme une sirène possédant une âme, alors qu'à la base, sa caractérisation devrait l'empêcher d'avoir des sentiments humains, car ce serait donner une âme à des amphibiens, et pourtant ça fonctionne, en tout cas, je trouve légitime l'idée, et puis cela permet au spectateur de voyager, car cette pièce est avant tout un voyage visuel et romantique.
Les décors participent à la dramaturgie et la musique est sélectionnée avec choix. Du côté de l'interprétation, le pari était osé pour Laetitia Casta qui doit faire face à bon nombre de préjugés. J'entendais encore il n'y a pas si longtemps des mauvaises langues dire que c'était une actrice pitoyable et qu'elle n'était bon que pour le mannequinnat. Que celles-ci aillent donc la voir au théâtre, sur scène, pour découvrir une comédienne douée d'une infinie sensibilité, qui parvient à faire jaillir une beauté et une singularité extrêmes de son personnage, à la fois femme-adolescente, naïve, captive, insouciante et peureuse, mais aussi frêle, forte, convaincante, voire brillante. On critique son âge par rapport au rôle ( Ondine est censé avoir seize ans alors que Laetitia en a dix de plus et alors ?). Sa juvénilité, son enthousiasme ne font aucun doute. A ses côtés, Xavier Gallais dans le rôle du chevalier errant Hans est incroyable. Une véritable réincarnation de Patrick Dewaere. Même s'il se réclame de son influence, il possède un jeu tout en puissance, avec une tonalité de voix merveilleuse et une grande présence. S'il parvient à trouver quelque chose à lui qui ne ressemble à personne d'autre, il pourrait devenir un géant. Les autres, dont Anne Suarez ( Bertha), Xavier Thiam ( Le roi des Ondins) ou encore Noémie Rosenblatt sont tous aussi bons les uns que les autres, avec une mention pour Noémie Rosenblatt, extraordinaire Iseult, qui joue avec la fougue mais aussi le retenue fragile de ses vingt ans.
La petite troupe de Weber a du talent à revendre, il n'y a pas à en douter.
La pièce est plutôt longue, presque trois heures d'efforts, avec un entracte qui arrive un peu tard et casse un peu le rythme soutenu. Les scènes d'ouverture avec ses dialogues entre Hans et Ondine, plongés dans une semi-obscurité sont magnifiques, tant elles démontrent que les comédiens se comprennent et s'apprécient, une véritable osmose. Le texte est très bien servi par leur interprétation, hormis deux ou trois anicroches, c'est respecté et sublimé par quelques scènes poignantes dont le final, qui se déroule dans un quasi silence, un silence religieux.
En lisant les avis des spectateurs j'ai vu que certains critiquaient la durée des actes et la représentation même des personnages. Franchement, il ne faudrait pas non plus tout dire et tout expliquer. Ces apparitions d'hommes à tête de dauphin participent à la fantaisie de la pièce ce qui ne semble pas plaire. De même le jugement du jeu de Laetitia Casta est dur. J'ai même vu des gens qui lui recommandait de retourner à ses défilés et ses pubs. La voir jouer pendant près de trois heures un rôle si difficile m'a convaincu de son talent, que je trouve pour le coup inné, d'autant plus qu'à la base elle n'a jamais pris de cours de théâtre. C'est très fort ce qu'elle arrive à faire passer. Elle est capable de passer du rire aux larmes en peu de temps et avec détermination. Je l'avoue sans honte elle m'a bluffé et plusieurs fois mes yeux se sont embués devant cete composition sans défaillance. J'étais saisi d'une émotion non feinte, quand elle tombe dans les bras de son amant impossible ou demande le pardon des humains pour avoir trompé Hans.
Les raisons qui me poussaient à aller voir Ondine était Laetitia Casta et Xavier Gallais, et de soutenir de jeunes comédiens. Ils sont tous talentueux, dotés d'un talent fou. Jacques Weber signe une très belle mise en scène, c'est aérien, souvent drôle, parfois tragique, ça respire l'authenticité. Ces jeunes sont plein d'entrain, le rappel fut un grand moment, une quasi standing ovation à la représentation de 21 h. En lisant sur le visage radieux de Laetitia Casta on pouvait y voir sa satisfaction. Face aux détracteurs elle peut dire qu'elle a réussi son pari. Personnellement je n'en avais pas douté une seule seconde. Voir ainsi les deux comédiens principaux dansés et crier de joie au dernier levé de rideau m'a transporté sur un petit nuage.
Du beau théâtre, si vous pouvez allez-y !