
LONELY ARE THE BRAVE - David Miller (1962) révision
Le rapport de force est posé dès les premiers plans : un cow-boy allongé au sol regarde d'un œil dédaigneux des avions passant au-dessus de lui, deux époques au coude à coude, deux mentalités en conflit. Qu'Arte ait diffusé Lonely Are the Brave après Man Without a Star de King Vidor n'est pas un hasard, le film de David Miller en est le prolongement, la réactualisation dans l'Amérique des sixties. Un solitaire qui ne supporte pas les limites, un monde qui en pose et l'incommunicabilité entre eux, les deux films parlent sensiblement de la même chose mais là où Vidor y voyait une célébration de l'individualisme, de la course en avant et du self made man, Miller (et Dalton Trumbo au scénario) y voit la fin d'un monde, d'une utopie et d'une certaine Amérique. Le cow-boy Kirk Douglas vit dans un monde dépassé, son goût pour demain ne rentre pas dans la pensée d'un pays sclérosé, trop enfermé dans le boum de l'après-guerre. Le western est mort, Kennedy n'a plus qu'un an à vivre (l'espoir aussi) tandis que Sam Peckinpah sort la même année la première pierre de son entreprise de démolition avec Ride the High Country. Lonely Are the Brave, sa beauté comme sa mélancolie doivent leur origine à un homme, ni le metteur en scène ni le scénariste mais sa star. Douglas considérera longtemps ce film comme l'un de ses préférés ("mon bébé" disait-il en interview) et certaines rumeurs évoquent même une co-réalisation entre l'acteur et un David Miller encore tout chétif. Le métrage porte à ce point la marque Kirk, qu'il s'inscrit dans une "fausse" trilogie dans la carrière de l'acteur, un triptyque autour de la soif de liberté avec Man Without a Star (déjà cité), Spartacus de Stanley Kubrick et ce film-ci. Des films de plus en plus mélancoliques, de plus en plus conscients d'un monde et d'une époque qui changent. Le brave du titre en payera les frais, victime de son anachronisme, son destin se terminera sur un pavé mouillé dans une séquence superbement déprimante. Le film a aujourd'hui un statut de classique amplement mérité, on sait depuis combien un film comme First Blood de Ted Kotcheff lui doit beaucoup (les thèmes principaux de Jerry Goldsmith pour les deux films sont comme cul et chemise) et combien il annonce les westerns les plus crépusculaires. Western can't die.