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"Attraper des instants. Spontanéïté, fraîcheur."
(Robert Bresson - Notes sur le cinématographe, p.36)

L'histoire de deux flics lâchés par leur petite amie. Le matricule 223 qui se promet de tomber amoureux de la premiere femme qui entrera dans un bar a Chungking House ou il noie son chagrin. Le matricule 663, qui chaque soir passe au Midnight Express, un fast-food du quartier de Lan Kwai Fong, acheter a la jolie Faye une "Chef Salad" qu'il destine a sa belle, une hotesse de l'air.
Le résumé est simpliste car Chungking Express c'est plus que ça, c'est quelque chose de magique, qui se vit dans l'instant présent et laisse une douce effluve sur nous après coup. Tourné en même temps que les cendres du temps, alors que le film s'enlisait lentement, et en 23 jours à la suite avec un Wong Kar-waï touché par la grâce et écrivant le scénario presque au jour le jour (mais dans l'ordre chronologique du tournage des scènes), le résultat laisse quelque chose d'intensément vivant. Du capté en direct dans une même ville dont le noeud et centre serait ce petit bar où les deux policiers vont faire de courtes pauses, l'un en boissons avant de se remettre à courir constamment; l'autre en salades du chef.




Encore aujourd'hui pour de nombreuses personnes découvrant le film, c'est un choc. Pour ceux qui le renvoient encore et encore, c'est un émerveillement. Si le cinéaste multiplie certes les ralentis, ce n'est jamais poseur mais pour attraper de l'instant (ralentis plus visibles dans la première partie que la seconde en plus, même si un superbe plan soulignant le solitude en milieu urbain se pose dans celle-ci). Les petits moments de la vie finissent par ne former que des grands chez le spectateur qui revoit des gestes simples, des histoires simples, d'hommes et de femmes qui se croisent, s'aiment ou tentent de s'aimer sans jamais que cela ne tombe dans l'emphase. Au contraire, c'est toujours avec tendresse que le réalisateur capte la vie de ses deux policiers, plus des antihéros du quotidien (l'un passe son temps à manger des boîtes d'ananas liés à sa petite vie rangée et courir pour ne pas pleurer; l'autre dans sa solitude parle à ses affaires, savonettes, serviettes, peluches géantes) et les étranges bonnes fées qui passent auprès d'eux.






Des étranges fées qui viennent d'ailleurs. Brigitte Lin et sa perruque blonde la rendant encore plus proche de la détermination d'une Gena Rowland dans Gloria, mais surtout Faye Wong en serveuse et assistance au midnight express. Toutes deux d'ailleurs et décalées, rêveuses à ce monde, n'y appartenant presque pas tout à fait (Lin avec ses lunettes noires et ces cheveux semblent complètement appartenir à un autre monde aussi irréel que sa silhouette fantômatique) et orientant les deux parties du film vers des humeurs différentes. La première entre le drame sentimental éthéré et le polar. Takeshi Kaneshiro y noit son chagrin et son amertume en errant comme il peut, un peu désabusé mais drôle et touchant (le fait de laver les chaussures de Brigitte Lin). La seconde entre douceur, mélancolie et joie de vivre. C'est Tony Leung Chiu Wai qui rencontre Faye Wong et qu'il se tisse quelque chose entre eux, un lien fragile et ténu, sans qu'il ne se doute de quelque chose.




Et puis comme souvent chez le cinéaste, le processus de répétition dont émerge quelque chose. Répétition de dialogues mais qui varient subtilement (cf capture) selon un personnage croisé ou le moment (dialogues et répliques fabuleux d'ailleurs), de scènes, de lieux, de thèmes musicaux (quand ce n'est pas le "baroque" de Michael Galasso qui forme quelque chose de lancinant en ouverture pour devenir un thème purement d'action; c'est le California dreamin' des Mama's and the Papa's qui prend plus que le relais par la suite)... De tout ça naît quelque chose indéniablement. Sans compter la photographie menée de main de maître par Christopher Doyle, des plans sublimes, des acteurs au diapason.
Vous comprendrez donc que depuis que je l'ai découvert à la fin des années 90, ce film fait partie de mon petit panthéon personnel. Et c'est à doses régulières que je me fait des perfusions euphorisantes avec.

6/6.