bruce randylan a écrit :L'enquête ( Sylvia - 1965 )
Un homme sur le point de se marier engage un détective privé pour enquêter sur sa future jeune épouse dont il ne connait rien du passé.
Un scénario mince qui inquiète au début par une linéarité basique : le détective trouve une vieille connaissance de la fille qui lui raconte un moment de sa vie avant de lui donner le nom d'une nouvelle personne qui lui racontera à son tour un moment de sa vie avant de lui donner le nom d'une nouvelle personne etc... etc... En plus les premiers flash-back avec son actrice de 34 ans qu'on essaye de faire passer pour une ado de 15 ans sont proches du ridicule.
Pourtant, on se surprend à se prendre au jeu pour plusieurs raisons. D'abord pour la mise en scène fluide de Gordon Douglas qui parvient à enchaîner flash-back et investigation sans heurts. C'est pas forcément très original dans les procédés mais ça suffit à embarquer le spectateur. Il y a ensuite le choix d'une photo en noir en blanc qui devait être assez rare à l'époque et qui sert le film pour son climat un peu trouble et dérangeant ( le plan où Sylvia descent l'escalier après son viol est beaucoup plus puissant qu'il ne l'aurait été en couleur ).
Car oui, l'histoire est tout de même assez barrée : on y parle prostitution, viol incestueux, call girl, travesti, des sous-entendus lesbien sont réguliers... sans parler de la galerie personnages qu'on y trouve allant de d'alcoolique usée, à la stripteaseuse en passant pas le prêtre qu'on devine pédophile... Il y a beaucoup de chose comme ça qui ne sont pas dis clairement mais qu'on devine sans trop de difficulté. J'ai vraiment trouvé ça étonnant pour un film américain de cette époque (
Macadam cowboy n'arrivera que 5 ans plus tard ). D'autant plus surprenant que le film se met du coté de ses marginaux qui ne les jugent pas à l'inverse à de son "héros", un détective privé méprisant, hautain, cassant et cynique dont le jeu détaché ( presque absent ) accentue encore. Vu l'ambiance du film, j'ai envie de croire que celà est volontaire de la part de Douglas. En fait si on se place du pur point de vue du détective privé tout ce qui apparait comme des défauts ou des facilités se justifie : l'enchainement banale des événements et des flash-backs s'explique par le cynisme du personnage ( la narration de l'enquête devient d'ailleurs plus elliptique par la suite ), les visions ridicules de Baker à 15 ans se justifie par la manière dont le privé se l'imagine à cet âge... Tout celà n'est que supposition et il faudrait pouvoir voir le film une nouvelle fois pour savoir si cela se traduit dans le découpage et ou la photographie. J'ai envie d'y croire.
Dernier bon point qui rend le film toujours aussi original : sa science des détails. On trouve une multitude de petites choses qui encrent le film dans une réalité, presque un naturaliste qui rendent chaque scène très vivante et qui expliquent pourtant le film fonctionne et fascine autant. C'est détails simples mais utiliser harmonieusement et avec sobriété : un strip-teaseuse qui après avoir changé de costume met des lunettes car elle est myope, un petit enfant mexicain qui fait office de guide et qui possède un sacré tempérament ( scène vraiment drôle et pas gratuite du tout ), un me qui fait trop de bruit en mangeant, des enfants qui jouent pendant que le détective s'entretient avec un ami, la façon de parler d'un riche industriel du tracteur etc...
Il va sans dire que le seconds rôles y gagnent un profondeur et une justesse inhabituelle. Certains "intervenants" deviennent même très émouvants en quelques secondes ( souvent des personnages féminins au passage ) avec un visage qui exprime beaucoup de chose.
C'est une des grande force du film que de réussir à exprimer beaucoup de chose sans les dire. Il y a une scène d'une charge érotique incroyable qui est pourtant toute simple sur le papier : le détective discute avec la fille sur laquelle il enquête. Ils sont sur un manège de petit chevaux, il est debout tandis qu'elle est assise sur un cheval qui monte et qui descend. Le découpage et le rythme des dialogues évoquent la tension sexuelle entre les deux personnages sans que les dialogues l'abordent vraiment..
Cette manière également de mêler l'innocence, la pureté à des sentiments plus lubriques dira-t-on est aussi le cœur du film. Ca conduit bien-sûr à son actrice Carroll Baker qui est vraiment sensationnelle dans ce film et parvient à rendre crédible ce personnage de femme "pure" et cultivée qui se retrouve à se prostituer pour divers raisons. Elle livre une prestation délicate et difficile qui était nécessaire pour la crédibilité du film ( elle voulut s'impliquer dans la création de son personnage dès l'écriture mais les producteurs ne lui laissèrent choisir que les sacs à mains de son personnages ; rage de colère, elle les bazarda tous et du coup n'en porte que dans une seule scène

)
Encore une fois, ce n'est pas parfait car aux quelques reproches que j'évoquais au début, il faut rajouter une fin trop précipitée et conventionnelle ainsi des flash-back inutiles qui tombent en plus à l'eau visuellement ( du moins à première vue donc )
Par contre, son climat, sa noirceur, sa sexualité dérangeante et son actrice marquent durablement et en deviendrait presque entêtant... C'est pour moi un film d'une immense richesse subversive dont l'apparente tranquillité narrative cache beaucoup plus qu'on pourrait croire... Je pense que ce n'est pas pour rien d'ailleurs si
Mulholand Drive le cite explicitement ( le titre du film que le réalisateur tourne est le nom de Sylvia dans
l'enquête )