Le grand consolateur (Lev Koulechov - 1933)
Condamné à trois ans de prison, l'écrivain William Sidney Portner qui essaye de transfigurer la vie de ses co-détenus par ses nouvelles sous le nom de plume O'Henry.
Loin d'être parfaite, cette œuvre parlante de Koulechov fait preuve de suffisamment d'originalité pour qu'on fasse quelque effort. Il faut pour cela dépasser l'extrême raideur de la réalisation et surtout de l’interprétation où l'on devine qu'effrayés par le le sonore les comédiens appuient et isolent bien distinctement chacun de leur syllabe pour une diction hachée pénible.
En revanche, le scénario ne manque ni d'audace ni d'originalité avec une mélange de la fiction et de la réalité très poreux. Il y a 2 lignes narratives qui viennent se greffer au quotidien de Portner. La première, centrée sur un spécialiste du coffre-fort, est imaginaire mais s'inspire en espérant l'anticiper un événement de la prison tandis que la seconde est plus flou et pourrait autant être une histoire parallèle qu'une pure création... ou les deux. Sans que le changement de narration soit souligné et évoqué, on se demande régulièrement ce qui est de l'ordre du fantasme, de la projection, de la réalité ou de l'inspiration littéraire. Sur cet aspect, le film est très libre et plutôt moderne.
C'est aussi j'ai l'impression une manière pour Koulechov de braver la censure du gouvernement et continué de reproduire en Russie une sensibilité occidentale qui a déjà motivé son style
(Mr West au pays des bolcheviks). Ainsi sous couvert de critiquer les USA avec un système pénitentiaire violent, raciste et déshumanisé ou gangrené par le capitalisme corrupteur et immoral (plusieurs banquiers se font la malle avec l'argent des déposants, un patron pousse son employé à se prostituer), le cinéaste peut mine de rien adapter un auteur américain et même re-créer un western fantaisiste le temps d'une histoire dans l'histoire.
Mine de rien, ca devait être assez rare et provocateur pour l'époque.
Dommage que la réalisation et les comédiens ne soient pas toujours à la hauteur même si on trouve tout de même de beaux effets d'éclairages et une bonne utilisation du son qui dramatise fortement plusieurs séquences comme le strident bruit du chariot à la fin.
L'erreur de l'ingénieur Kotchine (Alexandre Matcheret – 1939)
Un ingénieur travaillant sur la conception d'un avion militaire top secret est espionné par sa fiancée, manipulée par une puissance étrangère.
Les soviétiques se lancent dans le film d'espionnage nationaliste à la façon hollywoodienne. La première moitié m'a assez assommé d'autant que je n'étais pas en grande forme mais ces intrigues romantico-trahisons ne ne m'ont pas passionnés des masses. Les personnages, plus nuancé qu'on aurait pu le croire vu la conception du flm, ne sont absolument pas attachant et les méchants n'ont guère plus de consistances. Sans parler d'une réalisation assez fonctionnelle.
Du coup, j'en étais à me demander pour quelle raisons Chris Marker adorait ce film... Et bien tout simplement car la seconde moitié est autrement plus réjouissante
Du film d'espionnage, on bascule dans le buddy movie policier décontracté, entre ironie, flegme et respirations champêtres que n'aurait pas renié un John Ford.
En effet, une fois que la fiancée est éliminée par les vilains, deux policiers mènent leur enquête, reléguant dans l'arrière plan l'ingénieur Kotchine qui disparait quasi totalement.
Le duo est formé d'un officier, fin limier qui cache son jeu à la façon d'un Colombo calme mais pugnace, et de son jeune collègue, plus candide tout en sachant faire preuve de perspicacité... Mais à leur rythme, sans se presser ni courir après la montre.
Le meurtre s'étant dérouler dans un bistrot à la campagne, ils partent sur les routes, flânent en chemin, s'arrête pour disséquer sur la chasse, trouve un indice, discutent avec un témoin de banalités, s'amusent des jeux du séductions de l'employé d'une brasserie envers sa patronne (personnages très attachant par ailleurs).
Ce ton et cette nonchalance sont d'une immense fraîcheur qui se répercutent aussi sur les séquences logiquement plus tendus : un étrange souvenir est prononcé comme un poème par un suspect tandis que la longue scène à suspens avec le criminel a arrêter chez un tailleur brille de malice et de second degré.
Quant à la fin, elle est totalement stupéfiante : une fois leur mission accomplie, le duo de policiers retournent profiter pleinement de la chasse mais le valeureux inspecteur pensant tirer sur un oiseau prestigieux abat en réalité un hibou. C'est drôle mais on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une forme de mise en garde allégorique sur un pouvoir imparfait qui pourrait se tromper de cible dans son désir de se protéger à tout prix.