"C'est ça Pierre Étaix", très bel ouvrage "Sous la forme d'un abécédaire plein d'émotions et d'humour, l'oeuvre protéiforme du génial Pierre Etaix est ici rassemblée : jeux de mots, graphismes, dessins humoristiques, affiches, montages..." http://www.editions-seguier.fr/livre/21 ... erre_Etaix
"Jamais je ne voudrais faire partie d'un club qui accepterait de m'avoir pour membre." (Groucho Marx)
Clown, caricaturiste, gagman, cinéaste, comédien… « c’est ça Pierre Etaix », pour reprendre le titre de l’abécédaire qu’Odile et Marc Etaix viennent de publier (voir encadré). DVDClassik a toujours défendu le cinéaste de Yoyo, y compris quand ses films étaient invisibles du grand public, bloqués par une sombre histoire de droits. C’est donc avec une émotion certaine que nous nous sommes rendus chez le dernier des grands gagmen. Il a accepté de revenir avec nous sur sa filmographie et d’évoquer la mémoire de ses illustres prédécesseurs, héros d’un cinéma révolu : le slapstick. Il a également tenu à rendre hommage à ses compagnons de route avec l’humilité qui le caractérise. C’est aussi ça, Pierre Etaix.
Dans Tant qu'on a la santé, j'adore le sketch Insomnie. Je suis enfin contente de l'avoir vu... Car j'en avais entendu parler dans le livre de Prédal sur le cinéma fantastique où il disait d'Etaix qu'il avait signé l'un des plus beaux films de vampire fait en France et sûrement ailleurs !
Cet après-midi, "Tant qu'on a la santé", revu pour la deuxième fois. Pas vraiment de souvenir de la première, mais là ça a bien marché. J'ai été surpris de la férocité du ton envers la modernité dans les second et troisième sketch, "Pays de Cocagne" n'est finalement pas une oeuvre isolée chez Etaix. Moins convaincu du quatrième dans la campagne, inventif mais plus conventionnel. Mais le premier segment "Insomnie" surpasse le reste du film dans son inventivité au niveau des gags, du traitement de l'image, du montage...
Bref, content aussi de remonter le topic parce que 4 ans sans message sur Pierre Etaix, c'est pas normal.
Barry Egan a écrit : ↑20 sept. 20, 21:20
Bref, content aussi de remonter le topic parce que 4 ans sans message sur Pierre Etaix, c'est pas normal.
Cinq ans ! Quand je dis que les choses vont de mal en pis.
Le hasard m'a fait découvrir hier Le grand amour et ce fut un éblouissement. Jusque-là, je situais Etaix sur le plan artistique entre Tati, les premiers De Broca ainsi que Fellini par moments - et sur le plan physique, puisque c'est un sport qui a déjà été pratiqué plus haut, entre Buster Keaton et Paul Crauchet, avec des petits bouts de Maurice Baquet (d'autres ici ont parlé de Denner et de Rouve, non sans apparence de raison). Un bien bel héritage donc mais qui risquait de ne pas dépasser un plaisir de gastronome : après avoir beaucoup apprécié la fraîcheur du Soupirant, virevoltant et mélancolique, j'ai accepté la cassure qui surgit au bout d'une demi-heure de Yoyo sans en goûter tout-à-fait le sel (Ann Harding en dit des choses intéressantes plus haut), et enfin je me suis assez franchement rasé avec Tant qu'on a la santé. Rasé mais tout en distinction, le petit doigt en l'air, tant la mécanique burlesque est objectivement admirable comme celle d'un Jerry Lewis. Cela ressemble à un moteur rutilant de 6 cylindres en ligne d'une vieille Jaguar mais qui refuse de démarrer.
Et donc Le grand amour, qui venait de très loin, et dont la maestria continue m'a fait tout oublier, à commencer par les comparaisons incessantes qui me venaient malgré moi entre Etaix et ses illustres prédécesseurs, et le souvenir mitigé des précédents films.
80 minutes colorées comme du bonbon, tendues comme une corde à piano mais déliées et gracieuses comme... euh, comme rien de connu. Une merveilleuse miniature.
(edit : il me reste "Pays de Cocagne" à découvrir, qui n'est pas du goût de tout le monde et je n'aimerais pas flouter le souvenir de ce Grand Amour. On me dira que ce sont bien là des problèmes de cinéphile décadent et que par exemple "Complot de famille" et "L'étau" ne peuvent rien contre "La mort aux trousses", mais ici, dans une oeuvre de cinq longs-métrages, l'équilibre est un peu plus précaire...)
"Dans le doute, ne pas bouger et attendre que quelqu'un de qualifié nous donne des instructions claires" (le Malaisologue)
Quand le topic a été ouvert il s'appelait encore Pierre Est
« Quand des hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
« J’aimeuh tes grands pieds / qui sentent le fromageuh / celui que l'on met / qu’on met dans l’potageuh ! »
C’est l’été, et le réalisateur filme des gens qui se détendent. Plages, fêtes de village, radio-crochets, jeux-concours au goût parfois épais... Tout le monde a trimé dur toute l'année, on a bien le droit de rigoler un bon coup, de se trémousser au son du jerk et de se désaper - du moins en partie ! Alors bien sûr, tous les physiques dévoilés ici ne sont pas taillés pour le showbiz : sourires édentés, grosses fesses, filles moustachues, yeux de travers, gros plan sur les peaux d'orange… Eh non, la France n'était pas peuplée que de Françoise Brion et de Gérard Blain aux joues creuses, bien au contraire.
On a reproché à Pierre Etaix de se complaire dans le ricanement méchant. Mais ce serait prêter beaucoup d’intention à ce qui n'est peut-être que de la taquinerie de clown ; du reste la moquerie n’est-elle pas aussi dans l’œil du spectateur ? Et s'il y a une charge satirique ici, sans doute est-elle moins à chercher à l'encontre de la société des loisirs qu'a celle de l'imagerie publicitaire qui enferme les gens dans le mensonge permanent : à ce titre, j'ai personnellement vu (et énormément aimé) Pays de Cocagne comme un film libérateur, visant à rétablir la vérité des estivants dans toute sa bigarrure, son pittoresque même, quitte à insister sur les malfaçons.
Quant à la bande-son du film, tout en décalage farceur avec l'image, celle-ci se compose d’interviews de gens extrêmement divers, certains d’entre eux plutôt lettrés (avec cette diction pince-sans-rire si typique des années soixante), d’autres visiblement embarrassés de devoir se trouver une opinion. Ils se débrouillent pour en chercher une quand même parce que ça se fait, surtout depuis que la télévision a investi les foyers. Les valeurs édifiées par les petits-bourgeois de Mai 68 provoquent le plus souvent des mines confuses, mais aussi des sourires goguenards, voire des commentaires outrés, d'autres plus pondérés ; il reste que certains sujets sont ici effleurés (les HLM, le poids de la religion, les formes de sexualité...) qui prendront un relief beaucoup plus tranchant au fil des décennies suivantes. On n'est pas très loin d'un autre documentaire moins drôle mais terriblement envoûtant lui aussi : "Chronique d'un été" de Jean Rouch et Edgar Morin, réalisé pile dix ans auparavant.
Au passage, on mesure plusieurs choses dans ce film qui dessinent de façon involontairement cruelle la fracture avec le monde d'aujourd'hui : les médias n'ont pas encore complètement nivelé la pensée des gens ni leur façon de parler. Les opinions les plus libres et contradictoires sont ici dites en toute coexistence presque candide, du moins débonnaire (et parfois même dans les propos d'une même personne) tandis que l'accent de titi parisien et ceux du terroir nous font leurs derniers adieux.
Tout cela est encore bercé d'une douce innocence, entre deux airs ânnonés l'un par une espèce de Jacques Brel aux yeux de hibou encore plus péremptoire que le vrai, l'autre par un croisement bigleux frisotté de Guy Béart et de Nougaro qui, lorsqu'on lui demande son opinion sur l'érotisme, répond après dix secondes de bégaiements inaudibles qu'il "n'a pas eu son certificat d'études"...
Dernière modification par Conry le 19 avr. 25, 01:28, modifié 1 fois.
"Dans le doute, ne pas bouger et attendre que quelqu'un de qualifié nous donne des instructions claires" (le Malaisologue)
(Et pour filer le calembour du camarade de dessus, nous dirons que ce documentaire composait un tableau chatoyant mais pour autant ne P.Etaix pas dans le velours)
"Dans le doute, ne pas bouger et attendre que quelqu'un de qualifié nous donne des instructions claires" (le Malaisologue)