Je reposte ici ma critique de
Three Hours to Kill avant, fin de semaine prochaine, celle beaucoup plus positive de la très bonne surprise que fut la découverte cette après-midi de
The Last Posse, réalisé l'année précédente.
Trois heures pour tuer (Three Hours to Kill, 1954) de Alfred L. Werker
COLUMBIA
Avec Dana Andrews, Donna Reed, Dianne Foster, Stephen Elliott, Richard Coogan
Scénario : Richard Alan Simmons & Roy Huggins
Musique : Paul Sawtell
Photographie : Charles Lawton Jr. (Technicolor 1.37)
Un film produit par Harry Joe Brown pour la Columbia
Sortie USA : 04 novembre 1954
A peine quelques semaines après la sortie de
The Bounty Hunter (Terreur à l’Ouest) de André de Toth avec un Randolph Scott enquêtant pour retrouver trois meurtriers anonymes, arrivait sur les écrans un autre western urbain à intrigue policière signée cette fois-ci par Alfred Werker, cinéaste assez réputé aux Etats-Unis (Phil Hardy dans son ‘encyclopédie’ du western le place même parmi les réalisateurs les plus intéressants ayant œuvré dans le genre durant la première moitié de la décennie 50) alors qu’en France on en a fait un tâcheron. A la seule vue de ce petit western, j'aurais tendance à me ranger derrière nos compatriotes, voyant mal comment le compter parmi les très bons réalisateurs de série B, sa mise en scène s’avérant d’une grande platitude. Ceci étant dit, grâce à son scénario de film policier, il se suit sans trop de déplaisir à condition de ne pas trop en attendre. Harry Joe Brown avait produit de bien plus réjouissantes séries B au sein de cette même Columbia avec notamment un bon nombre de westerns avec Randolph Scott.

Personne n'est ravi de voir réapparaître en ville Jim Guthrie (Dana Andrews), ex convoyeur de diligence, qui trois ans auparavant s'était enfui après qu'on ait tenté de le lyncher, sauvé in-extremis par la femme qui l'aimait, Laurie (Donna Reed). En effet, on l'avait alors cru coupable du meurtre de Carter (Richard Webb), le frère de cette dernière. Il avait été pris sur le fait, une arme à la main auprès du cadavre tué de deux balles dans le dos. Quelques minutes auparavant on avait surpris une altercation entre eux deux, Carter refusant la main de sa sœur à Jim. Après des années d'errance, recherché par la police, le voici donc de retour au sein de la bourgade dont tous les habitants avaient voulu le pendre malgré ses protestations d'innocence. Le seul n'ayant pas participé à cette tentative de lynchage, son grand ami Ben (Stephen Elliott), est désormais le shérif de la ville ; pour la tranquillité de ses concitoyens, il lui demande de partir immédiatement avant d'avoir provoqué une quelconque effusion de sang. En effet, Jim lui annonce tout de go être revenu dans le seul but de trouver l'identité du véritable coupable de l'assassinat et s'en venger. Même s'il n'aime pas bien ça, l'homme de loi, après avoir écouté l'histoire pénible des trois dernières années de la vie de Jim, lui octroie néanmoins trois heures pour enquêter ; passé ce délai, il devra avoir quitté les lieux et ne plus jamais y revenir...

Alfred L. Werker est né aux USA en 1896 et a commencé sa carrière à l'époque du muet. Il prit la suite de Erich Von Stroheim sur
Walking down Broadway qui, étant passé entre ses mains, ne ressemblait parait-il plus à grand chose. Ensuite, parmi ses films les plus connus (pas forcément des réussites cependant d'après ce qu'il en est dit), un Sherlock Holmes avec Basil Rathbone datant de 1939 (
The Adventures of Sherlock Holmes), un Laurel et Hardy en 1942 (
Fantômes déchaînés - We Will Go) mais surtout, assez réputé quant à lui, un petit film noir daté de 1948 :
He Walked by Night (Il marchait la nuit). Seulement on ne pouvait pas lui imputer totalement la réussite de ce dernier, Anthony Mann en ayant tourné quasiment la moitié. Restent ses westerns des années 50 qui semblent-ils méritent l'indulgence et notamment
The Last Posse avec Broderick Crawford sorti l'année précédente, en 1953.
Three Hours to Kill est un de ses films relativement les plus connus (passé en milieu d'après midi récemment sur France 3) mais il s'agit d'un western ne tenant pas ses promesses faute surtout à une mise en scène paresseuse et à une interprétation assez décevante de la part de la plupart des interprètes, Dana Andrews lui-même, trop stoïque en l'occurence, ayant été bien meilleur dans le genre chez Tourneur par exemple, dans le sublime
Le Passage du Canyon (Canyon Passage), huit ans plus tôt ou encore dans
L'Etrange incident (The Ox-Bow Incident) de William Wellman dans lequel on lui avait déjà passé la corde au cou sans qu'il ait pu être sauvé ce coup-ci. Quant aux personnages féminins, même s'il ont une réelle importance, ils sont néanmoins tous un peu sacrifiés à commencer par celui de Donna Reed ; ce qui, pour les amateurs de cette dernière, s'avère bien décevant.
Pour en revenir à l'histoire, il s'agit de celle d'un homme injustement accusé de meurtre et qui, ayant échappé de peu au lynchage revient trois ans après dans sa ville afin de trouver le vrai coupable et ainsi se venger de ses années de cavale. Le shérif de la ville ne lui accorde que trois heures pour ses recherches et pour éventuellement le mettre hors d'état de nuire ; d'où le titre du film. Sorte d'enquête policière dans un cadre westernien, l'intrigue est finalement plutôt conventionnelle même si assez bien ficelée par un spécialiste du genre, Roy Huggins (son seul essai dans la mise en scène d'un de ses scénarios fut un coup de maître :
Hangman's Knot - Le Relais de l'or maudit) ; la preuve, le coup de théâtre final ayant beau être à postériori assez banal, il aurait fallu être bien malin pour deviner seul le fin mot de l'histoire. Calquée sur le film noir (flashback et whodunit compris), l'intrigue est finalement moins originale que les relations entre certains personnages. Dans quel autre western avions nous déjà pu voir un "couple" composé d'un homme (le patron du saloon) et de deux femmes, l'inverse n'étant également pas loin d'exister avec le triangle composé de Donna Reed, Dana Andrews (le père de son fils) et l'époux joué par Richard Coogan. D'ailleurs, si personne n'aurait pu deviner la conclusion de l'enquête, l'étonnement est encore plus grand concernant l'audacieux point d'orgue final donné à la romance. Intéressante aussi, même si pas nouvelle (pas plus tard que deux mois avant,
The Bounty Hunter faisait de même), la manière de décrire la suspicion et la mauvaise conscience qui se font jour dans la ville à l'arrivée d'un seul homme. On assiste ainsi à une timide description des comportements peu glorieux de l'être humain.

Les relations entre certains personnages et l'évolution de ces derniers sont également assez bien décrits. Seulement, la mise en scène ne possède aucune ampleur et les moyens financiers avaient l'air très limités, témoin les scènes d'action guère enthousiasmantes et les gunfights mal réglés ; cependant l'ensemble se suit sans trop d'ennui grâce à des éléments scénaristiques dignes de susciter de l'intérêt (lynchage par erreur, quête du vrai coupable, vengeance, secret sur les origines d'un enfant...) ainsi qu'à de superbes lieux plutôt bien utilisés comme le lac au bord duquel le film débute ou bien la séquence de la fuite de Dana Andrews, la corde encore autour du cou et dont l'autre extrémité se prend dans de nombreux obstacles alors que la carriole caracole dans les rues de la ville. Une intrigue pas désagréable mais un traitement trop conventionnel et un scénario bourré de facilités. Pas déplaisant mais oublié aussitôt vu ; tout juste moyen !

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The Last Posse (1953) de Alfred L. Werker
COLUMBIA
Avec Broderick Crawford, John Derek, Charles Bickford, Wanda Hendrix
Scénario : Kenneth Gamet, Seymour & Connie Lee Bennett
Musique : Ross DiMaggio
Photographie : Burnett Guffey (Noir et blanc 1.37)
Un film produit par Harry Joe Brown pour la Columbia
Sortie USA : 04 juillet 1953
Roswell, petite ville du Nouveau-Mexique. 48 heures après son départ, une patrouille de cavalier rentre en ville, sombre et exténuée. Non seulement elle revient avec le shérif John Frazier (Broderick Crawford) mortellement blessé mais elle a également perdu l’un de ses membres, l’impitoyable rancher Sampson Drure (Charles Bickford). C’est pourtant à son initiative que le groupe s’était lancé à la poursuite de trois hommes lui ayant dérobé 100.000 dollars ; ces derniers n’avaient pas supporté que cet arrogant Cattle Baron se soit une fois encore enrichi sur leur dos en revendant dix fois plus cher le troupeau qu’il venait de leur acheter, et s’étaient sentis dans leur bon droit en s’octroyant en compensation ce petit magot. Le groupe de poursuivant était constitué du riche éleveur et de son fils adoptif Jed Clayton (John Derek), de quatre notables de la cité ainsi que du shérif qui, malgré son état de santé dangereusement compromis par l’alcool, voulait absolument éviter un lynchage. Une fois le posse de retour, les habitants apprennent que les voleurs ont été abattus mais que l’argent dérobé n’a pas été retrouvé. Mais est-ce l'entière vérité ? Les participants à la poursuite, plus taciturnes qu’à l’accoutumée, semblent cacher un terrible secret…

… un voire plusieurs secrets qui seront révélés au fur et à mesure de l’avancée du film construit à l’aide de quelques flashbacks qui garderont cependant l’ordre chronologique du déroulement des évènements. En effet, il ne s’agit pas ici d’une construction à la
Rashomon (comme ce sera le cas pour le
Valerie de Gerd Oswald) avec le même fait raconté selon trois points de vue différents (certains étant intégralement mensongers), mais bien d’une intrigue parfaitement linéaire entrecoupée régulièrement de retours au présent, les différents narrateurs ne racontant que la portion de l’histoire qu’ils ont vécu. Les auteurs ne nous tendent ici aucun pièges et ne font pas non plus de ‘direction de spectateurs’ (puisque tout ce qui est vu à l’écran s’avère être la vérité), mais mettent en place un magistral suspense grâce au malaise instauré dès le départ et quelques mystères tangibles qui ne seront mis à jour qu’en toute fin lors d’une séquence vraiment peu banale que je prendrais bien soin de ne pas vous dévoiler d'autant qu'elle se révèle doublement surprenante.
The Last Posse débute (comme son titre l'indique) par le retour d’un posse dont tous les participants semblent atterrés ; il y a de quoi puisque l’un des membres du groupe a été tué, l’autre mortellement blessé, et la somme d’argent recherchée n’ayant pu être retrouvée malgré la mort des trois ‘bandits’ poursuivis. Suite au questionnement d’un étranger de passage, c’est un commis-voyageur de passage en ville depuis quelques jours qui lui narre les causes de la formation de cette ‘expédition punitive’.
Où l’on apprend alors à connaitre le shérif de la ville devenu une véritable loque, méprisé par ses concitoyens dont les notables qui lui ont retiré leur confiance depuis qu'il ne lâche plus la bouteille (enfin, c'est leur excuse). C’est Broderick Crawford, ‘oscarisé’ quelques années auparavant pour sa prestation dans
Les Fous du roi (All the King’s Men) de Robert Rossen, qui tient ce rôle d'homme de loi alcoolique. On peut dire que son personnage est assez unique dans les annales du western ; il ne me semble pas me rappeler avoir déjà vu un shérif aussi limité et lourd dans ses mouvements, aussi fatigué physiquement et moralement que John Frazier, au point de marcher d’une allure non seulement titubante mais extrêmement lente et de tomber plusieurs fois de sa monture durant le film. Un protagoniste complexe et bougrement attachant ; car on se doute bien dès le départ qu’il s’agit d’un homme probe et pas nécessairement aussi couard qu’on le dit, que son alcoolisme a une cause bien plus profonde que ses concitoyens le laissent entendre. Où l’on se rend aussi compte que les hors-la-loi qui vont être poursuivis ne sont pas forcément de mauvais bougres contrairement à ceux qui ont été lésés (lésés à juste titre même si la manière d'agir des pauvres fermiers n’est ni légale ni excusable). Le départ du posse va être ensuite narré par un des quatre notables y ayant pris part ; il s’agira de la partie la plus longue du film, celle se déroulant dans les extérieurs chéris par le producteur du film, l’un des plus appréciés des amateurs du genre, Harry Joe Brown ; en effet, c’est ce même homme qui sera ensuite à l’origine avec Randolph Scott de la fabuleuse série de westerns que le comédien tournera avec Budd Boetticher. Vous aurez alors certainement deviné que les paysages au sein desquels se déroule cette poursuite ne sont autres que ceux rocailleux de Lone Pine dans les Alabama Hills de Californie.

Le grand chef-opérateur Burnett Guffey s’en régale et nous offre une photographie en noir et blanc somptueuse, utilisant à merveille ces concrétions rocheuses d’une blancheur qui accentue le côté désertique et rugueux des lieux. Alfred Werker réalise d’ailleurs de bien belles séquences au milieu des rochers comme ces superbes dix dernières minutes au cours desquelles les trois fugitifs doivent les escalader pour ne pas se faire tirer dessus par leurs poursuivants, ou encore, quelques scènes plus tôt, la longue chevauchée solitaire de Broderick Crawford pour aller couper la route à Charles Bickford ayant faussé compagnie au groupe ; une scène spectaculaire qui voit le comédien tomber à bas de sa monture lors d’une descente très escarpée, le cheval chuter à son tour et entrainer son cavalier le long de la pente poussiéreuse. A propos de poussière, le cinéaste filme également une impressionnante tempête de sable. Tout ceci, comme chez Universal à la même époque, sans transparences ni plans en studio, ce qui n’en est que plus plaisant. Le film bénéficie aussi d'une musique très agréable dirigée par le méconnu Ross DiMaggio, de personnages fortement caractérisés et d’une solide interprétation d’ensemble, l’excellent casting réunissant de nombreux acteurs chevronnés de la Columbia, le toujours talentueux Charles Bickford (ici dans la peau du véritable Bad Guy), la charmante Wanda Hendrix, le jeune et beau John Derek ou encore James Bell, Guy Wilkerson, Tom Powers, Warner Anderson, Henry Hull, Will Wright ou Skip Homeier… Des noms qui ne vous diront peut-être pas grand-chose mais dont vous connaissez très certainement le visage au moins pour la moitié d’entre eux.

Juste ce qu’il faut d’action, pas d’humour intempestif ni de temps morts (la durée du film n’excède pas 70 mn), un peu de mystère, une construction serrée, plutôt originale et sans aucune lourdeur (ce qui n’était pas évident, l’utilisation de flashback ne me satisfaisant que très rarement) et des auteurs (dont les époux Bennett) en profitant pour critiquer la justice expéditive ainsi que, sans trop de sarcasmes, une société pudibonde qui s’avère en fin de compte bien moins innocente que les voleurs poursuivis. Car que s’est-il réellement passé lors de cette expédition ? Pourquoi l’argent a-t-il disparu ? Comment l’éleveur a-t-il perdu la vie ? Pourquoi les hors-la-loi n’ont-ils pas été ramené en ville afin d’y être jugés ? Quels étaient les véritables motivations des membres du posse dans leur volonté de poursuite des voleurs ? Car les spectateurs, lorsqu’ils se rendent compte d’emblée que les notables souhaitent en leur for intérieur que le shérif ne se rétablisse pas, probablement par peur des sombres secrets qu’il pourrait dévoiler, ne croient guère à ce que les ‘survivants’ racontent. Une fois encore, le final n’est absolument pas décevant et s'avère même à la hauteur de ce qui a précédé : non seulement il apporte la réponse à toutes les interrogations mais se termine également par une image rarement vue dans un western. Une très bonne surprise et un film qui devrait plaire autant aux aficionados du genre qu'à ceux du film noir.
