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Critique de film
Le film
Affiche du film

Zoo

(A Zed and Two Noughts)

L'histoire

Les épouses de Oswald et Oliver Deuce, deux frère jumeaux zoologues, meurent d'un accident de voiture dont Alba Bewick, la conductrice, est la seule survivante. Fous de douleurs et inquiets de la dégradation physique des corps de leurs belles, les deux frères se lancent dans une expérimentation sur le pourrissement qui les va les aider à faire leur deuil.

Analyse et critique

Meurtre dans un jardin anglais (1982), premier film de Peter Greenaway, avait rencontré un succès critique mais surtout commercial très inattendu. Refusant de s’appuyer sur cet acquis et l’attente suscitée par son essai suivant, Greenaway ose un second film radical mais passionnant. Les cadrages millimétrés de Meurtre dans un jardin anglais l’avaient prouvé, la symétrie est une obsession à la fois formelle et thématique pour le réalisateur, le conflit naissant de l’insidieuse anomalie qui vient troubler cet ensemble. La mort qui vient frapper de manière inattendue les jumeaux Oliver (Eric Deacon) et Oswald (Brian Deacon) avec la disparition de leurs épouses sert de grain de sable initial. Le drame est aussi absurde que tragique puisque causé par la chute d’un cygne ayant provoqué l’incident de voiture fatal à leurs compagnes. Les frères développent ainsi une folie douce où le déséquilibre soudain de leur existence va s’incarner physiquement à travers la seule survivante de l’accident, Alba Bewick (Andréa Ferréol). Celle-ci a dut être amputée d’une jambe, souffrant de cette mutilation puis des récriminations des frères venant désespérés l’invectiver régulièrement dans sa chambre d’hôpital. Pourtant cet asymétrie physique et mentale était déjà en germe pour Oliver et Oswald, comme nous le montreront les premières images du zoo où l’on découvre l’hérésie d’une mutilation animale (un gorille amputé) et au sens large une hérésie de l’ordre naturel des choses avec cette faune enfermée derrière des cages.

Peter Greenaway entrecroise donc le mal-être intime de ses personnages avec une souffrance tenant de la préoccupation écologique. Oliver et Owald développent une fascination morbide pour le pourrissement, la putréfaction des corps, dans laquelle ils pensent trouver une réponse au malheur qui les a frappés. Alba est le facteur de leur pulsion de vie en devenant leur amante respective, mais aggrave aussi leur pulsion de mort en renvoyant par son corps meurtri et déséquilibré le miroir de leur existence amputée. Greenaway impose ainsi les cadrages parfaits dont il a le secret dans les scènes où les jumeaux, chacun d’un côté du lit d’Alba (en visiteurs, amis puis amants) retrouvent le temps de ces instants, l’équilibre de leurs émotions. Il y a pourtant ce fameux grain de sable qu’est la jambe manquante d’Alba qui brise la symétrie formelle de l’image, et mentale de leurs psychés. Parallèlement, le réalisateur multiplie les inserts d’images en accéléré montrant le pourrissement de différentes sortes d’animaux. Les personnages ont le choix de se libérer de cette dictature de l’équilibre, notamment en délivrant et lâchant dans la ville les animaux qu’ils ont si longtemps tenu enfermés.


Il s’agit de la première collaboration entre Peter Greenaway et le directeur photo Sacha Verny (que Greenaway admirait pour ses travaux chez Alain Resnais et d’autres ténors de la Nouvelle Vague), et chaque espace du film a une couleur, une teinte plus ou moins subtile qui traduit les thèmes et émotions du film. La pulsion de mort passe par tout l’environnement rattaché au zoo, véritable caverne charbonneuse dont le surgissement d’une teinte étrange dans les ténèbres confère au lieu des airs de laboratoire d’alchimiste. La chambre d’Alba laisse ressurgir les couleurs claires et vives, allant de la chevelure rousse d’Andréa Ferréol aux différentes strates de sa chemise de nuit, de son couvre-lit, des ornements de la pièce. Ce ying et ce yang se manifestent aussi par la dualité noir et le blanc, exprimé par les allusions récurrentes à la figure du zèbre ou du tigre (mais aussi du chien dalmatien et son sort funeste), de façon plus triviale par les sous-vêtements féminins, et plus globalement par tout un travail sur l'expression de cette symétrie par les lignes de fuites à l'image comme les barreaux de cage du zoo.

Comme souvent, l’influence de Greenaway est picturale et ici ce sera celle de Vermeer. C’est significatif dans l’esthétique du film, mais aussi dans sa réflexion. La maîtrise absolue de la lumière qui caractérise les œuvres maîtresses de Vermeer participe aux atmosphères du film, mais aussi ce questionnement sur l’équilibre. En effet, Greenaway fait prendre au médecin et âme damnée du récit le patronyme de Van Meegeren (Gerard Thoolen) soit dans la réalité celui d’un des plus fameux faussaires du 20e siècle, qui s’enrichit en faisant circuler des tableaux « disparus » de Vermeer. Dans le film Van Meegeren voit à son tour dans la mutilation d’Alba la silhouette parfaite pour reproduire les compositions de Vermeer dans ses propres tableaux – la poussant à se laisser couper l’autre jambe. Alba est ainsi la proie des jumeaux voulant rétablir une balance « existentielle », et celle du médecin en quête de perfection artistique.

Alba n’est pourtant pas la cause de leurs maux, l’asymétrie remonte à bien plus loin que l’accident, les jumeaux étant à l’origine des frères siamois que l’on a séparés. Ils souffrent d’un mal-être bien plus profond que les évènements ont ravivés. L’asymétrie ne peut être surmontée en poussant la pulsion de vie, mais être transcendée par la pulsion de mort (plus ils s'approchent de leur fin plus les jumeaux entretiennent leur mimétisme physique alors qu'on pouvait jusque-là les dissocier) tout en capturant sur le vif le pourrissement et la putréfaction. Il en va de même pour Alba qui sous couvert d’ironie ne semble pas plus décidée à vivre avec ce corps dénué de son équilibre originel. C’est une approche cérébrale et émotionnelle plus hermétique que Meurtre dans un jardin anglais ou plus tard Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989), mais assez captivante notamment par sa dernière scène en forme de pied de nez morbide. L'originalité de Peter Greenaway est ici à son zénith.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 26 janvier 2024