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Critique de film
Le film
Affiche du film

Zatoichi 12 : Voyage en enfer

(Zatoichi Jigoku tabi)

L'histoire

Ichi embarque sur un bateau en direction du cap de Miura. Agressé par de mauvais joueurs qu’il a démasqués, Ichi se fait remarquer par Jumonji (Mikio Narita), un assassin avec qui il se lie d’amitié autour de quelques parties d’échec (ou plutôt de Shogi). A son arrivée au port, il se fait malmener par les yakuzas du clan Baryu auquel appartenaient les joueurs rossés. Lors de l’altercation, une petite fille est blessée par accident. Pour la sauver de la gangrène, Ichi doit rapidement trouver cinq ryos d’or pour acheter un remède. Il décide ensuite d’amener la petite fille aux bains de la cure de Hakoné. Au cours du voyage, il se lie d’amitié avec elle et la femme qui l’accompagne, Otané (Kaneko Iwasaki). Arrivé aux thermes, il fait la connaissance d’un couple de frère et sœur à la recherche du meurtrier de leur père.

Analyse et critique

Le film s’ouvre sur une traversée en bateau. On a quitté Ichi au bord de la mer qu’il venait de découvrir dans l’épisode 11. La musique d’introduction change radicalement du style western. Il y a une trame musicale complexe, mêlant habilement des percussions traditionnelles et du piano. Une musique sombre, parfois lyrique, magnifique de bout en bout. Le film débute par un combat, déconnecté du récit, incroyablement mis en place par Misumi. De courts plans, des inserts, installent les protagonistes. C’est ce positionnement des adversaires qui est mis en valeur, et non le combat en lui-même. Misumi met ainsi en place le thème du film, le placement des pièces sur l’échiquier.

Dès le début, Ichi est sujet aux railleries. On se moque de son handicap, il n’y a aucune sympathie ou empathie envers lui. Seul Jumonji va faire preuve de sympathie pour Ichi. La légende est effacée, et Misumi rompt ainsi brutalement avec le système mis en place dans le précédent opus. A aucun moment dans le film, Ichi ne va retrouver cette stature. Il va au contraire être volé de ses atouts légendaires. Ainsi il perd au jeu, une grande première, alors qu’il usait comme à son habitude de ses astuces pour l’emporter. Tentant de payer moitié prix pour la traversée, il tombe du pont et se retrouve suspendu dans le vide. Plus tard, son instinct ne pas l’empêcher de presque s’empaler sur un rasoir. A chaque fois, Ichi a besoin de quelqu’un pour l’aider. Ce n’est plus le bloc autonome que l’on connaît, et il apprend en quelque sorte la solidarité. Il y a de l’espoir, de l’empathie dans cet épisode. Il y a des personnes solidaires, bienveillantes.

Misumi se rapproche une nouvelle fois de son personnage et va de nouveau lui donner une envie de vie de famille. Une fille qu’il aime, une femme qu’il est prêt à aimer. Mais Ichi met en garde Otané : « L’homme devant vous a traîné dans la fange », « je n’ai plus rien à perdre, mais vous… » Otané est surtout une sorte de retour de son amour défunt (épisodes 1, 2 et 4). Elle porte le même grain de beauté. Elle représente plus la figure même d’un possible pour Ichi qu’une véritable femme. L’homonymie est ainsi une marque de rêve et de fantasme du retour de son amour disparu. Un amour impossible en somme.

Les dilemmes moraux d’Ichi cimentent un récit qui, bien qu’éclaté, revient toujours à la même question : quelles sont les conséquences de mes actes ? Cela correspond à une envie de Katsu qui s’investit de plus en plus dans son personnage, dans les scénarios, et même dans la réalisation des épisodes. On est alors à l’apogée de la carrière de l’acteur ; il joue dans trois immenses séries, et rien qu’en 1965 il tourne 3 Zatoichi, 2 Akumyo et 2 Soldats Yakuza). Katsu compte approfondir son personnage phare, en faire quasiment une extension de sa propre personne. Il veut rendre plus humain Ichi. En le faisant pleurer à plusieurs reprises, il veut certainement le rapprocher des spectateurs.

La relation entre Jumonji et Ichi est particulièrement trouble. Ichi accepte de jouer contre le « chess expert », mais il comprend vite que les enjeux vont au-delà de la partie et que celle-ci se prolonge dans la vraie vie. Il s’agit d’une véritable confrontation.

Ichi dit à Jumonji que son véritable nom est bien Ichi, et non la signification de ce terme. Jumonji est un nom d’artiste, de l’aveu même du ronin. Les parties d’échecs sont tout en double sens, les deux combattants peuvent ainsi communiquer clairement, sans non-dit, sans barrières de classe et de rang. Les parties d’échecs sont de véritables duels. L’adversaire d’Ichi apprend au fur et à mesure des parties, auxquelles il joue les yeux bandés pour ne pas donner de handicap à Ichi. Il développe ses autres sens. Aux échecs, un coup on joue les blancs, un autre les noirs. On est à la fois le bien et le mal, interchangeables. Ainsi Ichi et Jumonji semblent interchangeables. Ni bons, ni mauvais, juste des adversaires. Mais il existe des différences primordiales entre leurs deux façons de mener leur vie de solitaires. Alors qu’Ichi évolue dans le sens de la solidarité, Jumonji s’enferme dans une logique de duel, qui doit le mener forcément à combattre ceux qui sont peut-être meilleurs que lui.

C’est le grand réalisateur qui a marqué le chambara des années 20 par son dynamisme et son sens du découpage et de l’utilisation des mouvements d’appareil, Daisuke Ito (67 ans), qui signe le scénario. Il a marqué de son empreinte l’histoire du cinéma nippon, débutant sa carrière dans le muet, et révolutionné le genre par son style dynamique et inventif. Misumi excelle comme à son habitude dans l’utilisation des inserts, des plans qui prennent les scènes de biais. Il donne souvent bien plus de puissance à des combats en les esquivant, en filmant un à-côté (un objet qui tombe, des plantes coupées…) Mais ce qui frappe, c’est le réalisme qu’entend donner Misumi à cette œuvre, rompant avec la dérive des épisodes 9 et 10. Et c’est également un retour aux sources du matatabi mono.

Un épisode très intéressant mais qui souffre parfois d’un scénario brinquebalant, qui n’arrive pas vraiment à tisser un lien solide entre les différentes histoires. Les thèmes sont passionnants mais le scénario ne parvient pas toujours à réellement les porter. Le talent de Misumi est lui intact et le duo d’acteur parfait.

Introduction et sommaire des épisodes

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 22 novembre 2005