Critique de film
Le film
Affiche du film

Z

L'histoire

Début des années 60. En pleine Guerre Froide, un député progressiste (Yves Montand) est assassiné au cours d’un rassemblement pacifiste, dans un pays méditerranéen. L’enquête paraît peu à peu imprégnée d’une corruption systémique. Le juge d'instruction (Jean-Louis Trintignant) tente de mettre en évidence, dans ce crime contre l’opposition parlementaire, la fervente participation de l’armée et de la police.

Analyse et critique

« Moi, je n’aime que le foot », déclare le cireur de cercueils, tardif premier témoin à charge pour les victimes, mené à l’hôpital après s’être vu sommé d’un coup de matraque fortuit sur le chemin du tribunal... Être sans parti devient son argument de choix pour défendre la justice, quand la simple supposition de complot avec les cocos suffit pour mettre en doute toute une déposition. « Je ne fais que mon devoir de citoyen », rabat-il à sa sœur, fier soutien de l’extrême-droite.

Z, troisième film de Costa-Gavras, contamine la frénésie libertaire des années 60. Ses choix formels semblent n’être dictés que par l’envie subite de raconter l’histoire de cette jeunesse hippie, celle de Vassilis Vassilikos, auteur du livre éponyme dont elle est tirée. Des courtes focales assumées dans la première partie du film aux rapides travellings avants qui rythment l’enquête, le réalisateur se place, silencieusement et par l’image, du côté des justes, qui parlent peu mais soutiennent leurs actes. Une revendication politique par la mise en scène, telle est la classe que se permet Costa-Gavras dès le début de sa carrière, et qui ne cessera d’alimenter ses idées de cinéma. En 1982, il racontera dans Missing la disparition d'un jeune journaliste états-unien pendant le coup d'État du général Pinochet, mettant en lumière la responsabilité du gouvernement américain dans le putsch chilien. La réponse des extrémistes outre-Atlantique est symptomatique : « Mais que vient faire ici ce communiste européen ? ».

L’ouverture du film dévoile, par une analogie agricole, le complot de l’armée face à un contre-pouvoir nonviolent. Tenant les rênes d’un grand crime contre l’humain, le général sur-médaillé éduque ses soldats en comparant ces subversifs au mildiou attaquant les vignes : « les germes morbides et divers agents parasites [de la] maladie idéologique rendent indispensables la pulvérisation des hommes par les bouillies appropriées ». Les plans serrés sur les officiers studieux prennent d’emblée le spectateur à témoin : la violence de la comparaison fait d’eux des complices du drame à venir. Leur but est écrit et assumé : éliminer les opposants. L’Etat se heurte alors à un problème de taille, constitutif de sa stratégie de bluff et de manigances abjectes : les ennemis sont des pacifistes, ils ne font rien de mal, et n’ont rien à se reprocher.

Les évènements s’enchaînent alors, s’abattant sur les députés de l’opposition qui voient petit à petit l’organisation du meeting leur échapper. Une annonce anonyme présage la mort prochaine du député : le destin est en marche. La peur du grabuge monte lentement. Subitement, le responsable de la salle de spectacle qui devait accueillir le rassemblement annule son autorisation, obligeant la réunion à se tenir dans un lieu trop petit et inadapté : des milliers de personnes sont contraints d’écouter le discours de l’extérieur. Chaque détail est mis en scène pour provoquer le trouble public. Une contre-manifestation éclate, celle de violents extrémistes déchaînés. La soirée avance et le rythme du montage s’accélère, l’image devient bancale, la caméra elle-même a du mal à se faufiler parmi tout ce monde. Les plans asphyxiants sur la foule trop nombreuse montrent à quel point l’évènement échappe à ses responsables, les militants de gauche. Au cœur de cette hystérie, le député progressiste reçoit un coup de matraque et chute. L’orchestration de l’incident place dès lors les victimes au pied du mur, celui de la corruption.

Le regard porté sur les manifestants extrémistes, très vite montrés comme complices de l’état de « droit », n’est pas tendre. Filmant des comportements inscrits dans la mémoire collective, Costa-Gavras les range sans vergogne du côté du mal : les cheveux des hippies coupés aux ciseaux sur la place publique rappellent les heures sombres de la Shoah, décrivant le mépris déraisonné des jeunes extrémistes qui s’auto-attribuent les pleins pouvoirs. De même, par leurs attentats violents et sans motifs, ils agissent par volonté de se faire justice soi-même. Une milice improvisée toutefois secrètement soutenue par le gouvernement officiel, comme le furent les squadristes italiens sous Mussolini, lorsque le mot fascisme planait pour la première fois sur une Europe innocente. Les CROC, Combattants Royalistes de l’Occident Chrétien, mènent campagne à coups de bâton, toujours bien cachés derrière des manteaux trop grands et des regards ahuris. Tacitement, ils deviennent le visage public des opinions étatiques, sans doute plus assez morales pour être scandées derrière un micro.

Dès son origine, l’enquête est saturée d’alibis déblatérés par la troupe de policiers comédiens. Le dossier qui se présente au juge d’instruction (Jean-Louis Trintignant) est d’emblée retors, emberlificoté. Mais ce dernier reste d’abord discret. Derrière ses lunettes tintées, il se cantonne aux bords du cadre. Pourtant, il semble vif et sérieux, à l’écoute, prêt à devenir la figure objective de ce terrain miné. Même si son engagement pour l’Etat paraît vite pouvoir prendre les devants, il reste lucide et professionnel. Cette foi dans le juste le vêtit en juré de sa propre enquête, qui prend des airs de procès pour la vérité. Costa-Gavras assume la dichotomie : choix A, la corruption, choix B, la justice. Par la mise en scène, le réalisateur statue vite, et discrédite sans ménagement les membres de l’armée, complices du meurtre. Appelés à témoigner, les généraux agissent telles des marionnettes embourbées dans leur illusion. Le sarcasme du réalisateur se déploie discrètement : plus les officiers exhibent les médailles de mérite à l’uniforme, plus ils ont de déshonneur et d’atrocités à se reprocher. Une musique militaire aux airs guillerets les fait tourner en bourrique dans les couloirs d’un tribunal grouillant de journalistes enfiévrés. Ceux-ci n’hésitent d’ailleurs pas à s’exposer pour rencontrer chaque acteur des faits, photographiant à la sauvette mais très minutieusement toutes les étapes de l’enquête, comme soucieux pour la postérité.

Aussi bien après l’enquête, nous retrouvons le journaliste (Jacques Perrin) calmement assis devant un écran de conférencier, le même qu’au début du film, quand un ingénieur agricole exposait les ravages du mildiou. Miroirs de la séquence d’ouverture jusque dans leur montage, ces derniers plans assument tout autant leur visée didactique. Mais cette fois, pas de public, le jeune homme s’adresse directement aux spectateurs, s’incarnant ainsi comme l’alter-égo du réalisateur. Exposer les faits et leur dénouement, révéler l’histoire, celle l'assassinat du député grec Grigóris Lambrákis à Thessalonique, en mai 1963 : pour Costa-Gavras comme pour le journaliste, cela tient du devoir professionnel. L’intention est inscrite au début du film : « toute ressemblance avec des évènements réels n’est pas le fait du hasard. Elle est VOLONTAIRE ». Le monteuse du film Françoise Bonnot – oscarisée pour ce film – en fait même un thriller haletant, romanesque et populaire, comme pour élever cette histoire en allégorie de ce qu’elle raconte : la lutte démocratique du bien contre le mal, de la justice face la violence. Un « cinémaspectacle » au sens noble, assumé par son réalisateur en mai 2016 pour la revue Ballast : « on va au cinéma pour voir un spectacle, pas pour entendre un discours » (1). L’humble envie de raconter, de donner accès à des enjeux et des points de vue parfois complexes : une vulgarisation politique par la caméra, permise par les artifices techniques d’un art profondément populaire, le cinéma.

« Il est vivant », c’est ce que signifie Z, abréviation de du grec Zei. « Il », c’est l’espoir quoi qu’il en coûte, la lueur fragile quand l’ombre menace, celle de la dictature des Colonels qui, au moment du tournage, a pris le pouvoir en Grèce pour quinze longues années. Comment agir face à une autorité provoquant l’obscurantisme sur demande, en interdisant les moyens d’expression qui amènent un public (d’une salle de cinéma ou de conférence…) à penser le présent sous un autre angle ? Résister, et faire de ces outils l’unique arme d’action. Une manière de rester loyal à un engagement pacifiste tout en hurlant la vérité, ou la force tranquille des plus grands.

(1) Ballast, « Costa-Gavras : "tous les films sont politiques" », 11 mai 2026 (en ligne : revue-ballast.fr)

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La fiche IMDb du film

Par Agathe Kowalski - le 28 avril 2025