L'histoire
Will Penny (Charlton Heston) est un cowboy approchant la cinquantaine. Après que le dernier troupeau qu'il convoyait soit arrivé à destination, il part à la recherche d'un nouvel emploi avec deux de ses camarades. Alors qu'ils croisent le chemin d'un groupe de rodeurs avec à leur tête un prédicateur illuminé (Donald Pleasence), Will se voit dans l’obligation de tuer l’un de ses membres. Plus tard, il parvient à se faire engager par un rancher avec pour mission de surveiller un troupeau dans les montagnes pendant le rude hiver qui s’annonce. Arrivé à la cabane où il devra vivre durant toute la saison, il constate la présence d'une jeune femme (Joan Hackett) et de son fils qui ont été abandonnés en ces lieux par le guide qui avait été payé pour les conduire en Oregon. Leur demandant d'avoir quitté les lieux lors de son retour d'une tournée alentours, le voilà parti pour une semaine de bivouac ; mais il est rejoint par la famille de celui qu'il a tué. Laissé pour mourant, il parvient à rejoindre son refuge hivernal où les « squatteurs » sont toujours là ; ils vont l’aider à se remettre d’aplomb… et bien plus encore…
Analyse et critique
Il est certains réalisateurs qui ne nous laisseront de souvenirs impérissables que grâce à un seul film ; c’est le cas de Tom Gries et de son coup d’essai, Will Penny. A ce propos, dans son captivant livre sur le western (Editions H. Veyrier – 1982), Christian Viviani écrivait d’ailleurs très justement et avec beaucoup de poésie : "Tom Gries restera surtout comme l’homme de son premier film, Will Penny. Certes on a vu d’autres cowboys vieillissants mettant des lunettes pour repriser ses chaussettes. Plus émouvants maintenant nous semblent les silences timides des scènes d’amour, l’impact physique d’un poêle ou d’un animal, et surtout le bleu déclinant des crépuscules d’or, de certains sous-bois et l’éclat d’une neige dont on croirait sentir la texture. Peut-être que l’opérateur Lucien Ballard n’était pas pour rien dans ces merveilles, mais force nous est de reconnaître que Gries était bien derrière la caméra quand ces choses se passaient. Il est des artistes qui se donnent totalement en une première œuvre. Gries était sans doute de ceux-là." Auparavant, après avoir été assistant pour plusieurs producteurs dont Stanley Kramer, il avait surtout œuvré pour la télévision à travers la réalisation ou l’écriture de nombreux épisodes de séries.
Après la réception élogieuse de Will Penny dans son pays d’origine (la France l’ayant un peu ignoré à l’exception notable du regretté Michel Ciment), Tom Gries ne renouvellera malheureusement jamais sa superbe réussite ; à côté de quelques films assez attachants comme Number One (encore avec Charlton Heston), le reste sera, à mon humble avis, au mieux pas trop désagréable (Le Solitaire de Fort Humboldt), au pire assez pénible (Les 100 fusils) voire même très mauvais (Le Maître des îles, toujours avec Heston). Contentons-nous de rester sur la formidable impression donnée par Will Penny, film écrit par Gries lui-même, les 20 pages du scénario s’étant transformées en immédiat coup de cœur pour Charlton Heston qui pensa immédiatement à des pointures telles William Wyler ou George Stevens pour le porter à l’écran. Ce qu’il ne savait pas, puisque son ami producteur Walter Seltzer qui lui avait donné à lire ne lui en avait pas parlé, c’est que la condition sine qua non pour que Tom Gries accepte que l’on adapte son histoire est que ce soit lui qui réalise le film. Lors de sa rencontre avec Gries, devant tant d’enthousiasme et de motivation, Charlton Heston donna immédiatement son accord concernant cette exigence et ne le regretta jamais, ayant sans cesse répété qu’il s’agissait probablement de son plus beau rôle, le plus beau film dans lequel il ait tourné. Et il me semble qu’on peut lui donner raison même si sa filmographie compte d’autres nombreuses pépites.
Ce western tourne principalement autour de quatre protagonistes dont les portraits sont tous croqués avec la même attention, tout autant d’ailleurs que les personnages secondaires malgré leur faible de temps de présence à l’écran, que ce soit le toujours aussi charismatique Ben Johnson dans le rôle du contremaitre, le tout jeune Lee Majors (L’homme qui valait trois milliards) dans celui d’un cowboy ami de Will, ou encore toute une galerie de seconds rôles composée d’habitués du genre comme Bruce Dern, Anthony Zerbe, Slim Pickens… Will Penny est un cowboy saisonnier d'une cinquantaine d'années qui n’a jamais rien appris d’autre que son métier, pas même à écrire, et qui sent parfaitement bien qu’il est en fin de parcours, surtout quand il doit subir les sarcasmes des plus jeunes qui commencent à le railler sur son âge. Un homme simple, honnête et humble, faillible par manque d’éducation, pétri d'une humanité refoulée et qui n’ose pas montrer ses sentiments, totalement inhibé concernant les choses de l’amour puisqu’il ne l’a jamais vraiment connu. Le principal fil conducteur du récit sera le regard qu’il pose sur la vie et surtout ses regrets de ne pas avoir connu autre chose que son travail : nostalgie exacerbée par le fait de vivre une parenthèse enchantée auprès d’une femme et de son fils, d’entrapercevoir ce qu’aurait pu être une heureuse vie de famille. Le récit montre son incapacité à procurer et à recevoir de l’amour ou plutôt son pragmatisme et sa clairvoyance quant à pouvoir vivre auprès d’une femme bien plus jeune, plus éduquée et cultivée que lui et à laquelle il pense ne pouvoir rien amener de bon, estimant qu’il ne sera pas à la hauteur et qu’il est désormais trop tard pour changer de vie. Un personnage très attachant formidablement campé par un Charlton Heston que l’on n’attendait pas dans ce registre d'une grande douceur et sensibilité.
La jeune femme assez moderne qui va bouleverser son équilibre et ses croyances est interprétée à merveille par Joan Hackett toute en justesse, pudeur et sobriété. Elle va pousser Will Penny à se remettre en question sans vraiment y parvenir malgré tous ses efforts, sa compréhension et sa gentillesse, probablement à cause des très grosses différences qui les séparent. D’où une atmosphère constamment sur le fil entre tendresse et amertume. Le jeune fils, c’est le propre rejeton du réalisateur qui tient le rôle et il s’en tire avec les honneurs, à la fois spontané et convaincant, les relations qu’il a avec Will Penny ressemblant à s’y méprendre à celles qui liaient Shane et l’enfant dans le fameux L’homme des vallées perdues de George Stevens, tous deux subjugués par ces cow-boys en qui ils voient des héros. L’enfant jouera un rôle clé dans la relation néanmoins platonique entre sa mère et cet homme qu’il finira par associer à son père. Quant au quatrième protagoniste principal, c’est le prédicateur fou interprété avec force cabotinage par un Donald Pleasence qui semble aussi illuminé que son personnage, sa progéniture aussi perturbée que lui. Ils sont tous excellents dans ce qu’ils ont à faire, la violence qu’ils portent en eux rejaillit avec froideur et sauvagerie d’autant que cette cruauté tranche franchement avec le ton assez intimiste du reste du film. On pourra regretter ce débordement ou au contraire l’apprécier pour ceux qui étaient un peu lésés niveau action et fusillades.
Il s’agit donc d’une très belle réussite que ce western en quelque sorte annonciateur des meilleurs de Clint Eastwood ; ce dernier rendra d’ailleurs hommage au film de Gries en baptisant dans Impitoyable (Unforgiven) les enfants de Bill Munny des noms de Will et Penny. Tom Gries et Charlton Heston n'auront qu'une idée principale en tête durant le tournage : l’authenticité à tous les niveaux, que ce soit dans les situations, les décors, les costumes ou les objets. Ils adopteront alors un parti pris réaliste, un rythme plutôt nonchalant, et surtout ne se départiront jamais de cette volonté documentariste montrant la vie quotidienne des cow-boys de l'Ouest tel qu'elle devait être à l’époque, à cent lieues de la vision hollywoodienne mythifiée de l'âge d'or. Coursodon et Tavernier écriront dans 50 ans de cinéma américain : "on a rarement aussi bien montré la saleté, la fatigue, la crasse, la monotonie de la vie de cowboys. Aucun romantisme dans le regard de Gries mais peut-être une tendresse nostalgique (surtout pour le personnage d’Heston) qui ajoute de l’émotion à ce qui n’aurait pu n’être qu’une froide démonstration. On en vient presque à regretter l’intrusion de ces bandits, pourtant hauts en couleur, mais qui rompent quelque peu l’unité dramatique de cette œuvre passionnante." Et effectivement, dès le début le ton est donné avec les séquences de la fin du convoi et le départ des cowboys chacun de leurs côtés pour trouver d’autres emplois : cet aspect documentaire sera si passionnant, la tendresse et la sensibilité distillées pour évoquer les rapports qui naissent et évoluent entre les personnages si touchantes que l’on regrette effectivement un peu tout ce qui viendra phagocyter cette douceur d’ensemble.
Une réalisation d’une digne sobriété, de très beaux mouvements de caméra, une photo admirable de Lucien Ballard que ce soit en extérieurs (paysages enneigés splendides) ou en intérieurs, une reconstitution soignée et réaliste, une très belle bande originale signée David ‘Laura’ Raskin, une belle palette de seconds rôles mais surtout une actrice admirable (Joan Hackett) ainsi qu’un Charlton Heston impérial et tout en retenue dans vraisemblablement en cette fin des années 60 la description la plus juste d'un cow-boy que le cinéma américain nous ait offert. Le poignant final est inoubliable, totalement inattendu, à l’opposé de ce qu’il aurait été dans la majorité des westerns des années précédentes. Un très beau film plein d’humanité et de tendresse dont on aurait voulu qu'il s'éternise un peu plus sur d'autres à-côtés de cette vie dans l'Ouest. Une œuvre à la fois âpre et sensible, sobre et émouvante qui prend son temps pour donner de la profondeur à ses personnages et qui respire l’authenticité sans cependant sombrer dans le misérabilisme ; c’est assez rare pour le souligner et c'est une des nombreuses raisons de donner une chance à ce film superbement édité en Blu-ray par l’éditeur Sidonis, le sympathique Jean-François Giré lui tressant également des lauriers dans le passionnant bonus qui accompagne le film.
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Will Penny le solitaire
Combo Blu-Ray + DVD
Édition Limitée
sortie le 15 novembre 2024
éditions Sidonis