Critique de film
Le film
Affiche du film

What Price Hollywood

L'histoire

Mary Evans (Constance Bennet) est serveuse dans un restaurant à la mode de Los Angeles. Fantasmant sur les magazines de cinéma elle rêve d’intégrer à son tour le monde du show-business. Elle parvient à attirer l’attention d’un réalisateur alcoolique et désabusé, Max Carey (Lowell Sherman), qui présente son dernier film. Alors que la carrière de celui-ci décline, la jeune fille réussit, grâce aux conseils de Max et à la clairvoyance du producteur Julius Saxe (Gregory Ratoff), à accéder au succès. Elle rencontrera un séduisant joueur de Polo issu de la haute société (Lonny, Neil Hamilton) avec qui elle vivra une histoire d’amour tumultueuse, éprouvée par les journaux à scandales, tandis qu’elle échouera à empêcher son ami Max de succomber à ses démons. 

Analyse et critique

Hollywood n’a pas attendu l’ère du parlant pour célébrer sa propre gloire et contribuer à la mythologie de la « Star ». Chaplin réalisa entre 1914 et 1916 quatre court-métrages avec pour décors les plateaux de tournage et plusieurs long-métrages muets eurent pour sujet les déboires de jeunes femmes aspirant au succès en tant qu’actrices de cinéma. Citons entre autres A Girl’s Folly de Maurice Tourneur (1917), Âmes à vendre de Rupert Hughes (1923) ou Mirages de King Vidor (1928). Mais What Price Hollywood est parmi les tous premiers et l’un des plus marquants de la période parlante classique. Réalisé par George Cukor en 1932 le film est aussi connu en tant que matrice de la série de films et remakes Une étoile est née avec lesquels il partage les éléments fondamentaux de l’intrigue et une combinaison caractéristique d’enthousiasme et d’amertume dans son regard sur l’usine à rêves hollywoodienne. 

On doit la mise en chantier du projet au producteur d’à peine 30 ans David O. Selznick, à qui le sujet tenait à cœur et qui posait un regard romantique sur Hollywood. Selznick avait sans doute en tête l'exemple de son propre père, Lewis, s’extrayant de sa condition modeste d’immigré Ukrainien pour devenir producteur et distributeur à succès, avant qu’il ne fasse banqueroute et tombe dans l’oubli. Selznick achète pour ce film les droits d’un récit d’Adela Rogers St John intitulé « The Truth About Hollywood », originellement publié dans un magazine. Celle-ci affirme s’être inspirée de la vie de l’actrice Colleen Moore, alors mariée au producteur alcoolique John McCormick. Selznick travaille le scénario avec plusieurs scénaristes et remodèle le pitch originel, faisant notamment de la figure déclinante un réalisateur, inspiré du cas de Marshall Neilan, réalisateur des années 10-20 dont les déboires dus à son alcoolisme firent scandales. 

LE JEUNE CUKOR, DE BROADWAY A LA RKO

Selznick offre la réalisation à un jeune George Cukor de 33 ans, qu’il connait depuis l’enfance et avec qui il s’est lié d’amitié à Paramount Pictures, où ils travaillaient tous les deux. Cukor, natif de New-York, était arrivé à Hollywood après une première partie de carrière dans le milieu théâtral de Broadway et cinq ans en tant que metteur en scène. Il signe un contrat en 1929 avec la Paramount qui le fait travailler comme « Dialogue Director » puis qui lui permet de réaliser en 1930 ses trois premiers films en co-réalisation et en 1931 les deux suivants, cette fois seul. Fin 1931 il est choisi par Ernst Lubitsch pour réaliser un film que le révéré réalisateur allemand devait diriger lui-même mais que les retards sur l’Homme que j’ai tué retiennent en post-production. Si le tournage commence bien Lubitsch est bientôt libéré de son engagement précédent et s’invite sur le plateau. Cukor accepte de travailler sous sa supervision mais se considère toujours comme réalisateur du projet. Alors que la sortie approche Lubitsch impose finalement au studio d’être crédité lui seul comme réalisateur, considérant que cela donnera au film de plus grandes chances de succès. Cukor, malgré son statut fragile de relatif débutant en comparaison du maître de la comédie sophistiquée, ira jusqu’au procès contre la Paramount. Il cèdera finalement en échange d’une rupture de contrat avantageuse, alors qu’il est déjà attendu par Selznick à la RKO, que le producteur vient de rejoindre en tant que superviseur de la production.

HOLLYWOOD SANS CONCESSIONS, OU PRESQUE

What Price Hollywood sera leur premier film ensemble et le premier film majeur du futur grand cinéaste. Cukor accepte le projet avec plaisir, enthousiasmé par la possibilité de mettre en scène un personnage féminin fort, Mary, la jeune actrice indépendante et carriériste, et un anti-héros masculin, Max le réalisateur cynique au bout du rouleau. Narrativement le film se caractérise par sa structure en « rise and fall », qui voit un protagoniste grimper irrésistiblement les marches du succès tandis qu’un autre les redescend fatalement. Les auteurs représentent sans concession les travers de cet univers cruel qui contraindra Mary, devenue une star, au divorce et Max, tombé dans l’oubli, au suicide. Y est particulièrement dénoncée la pression des tabloïds, la cruauté des journalistes people, mais aussi la tyrannie du box-office et du succès. Dans un film au sujet similaire sorti l’année suivante, Bombshell, Clara Bow incarne une star à la réputation sulfureuse harcelée de toute part. le réalisateur Victor Flemming peint lui aussi un portrait des vicissitudes hollywoodiennes qui n’est pas moins sévère, mais il s’agit d’une comédie acide dans laquelle aucun personnage ne sort grandit. Le film de Cukor tempère son jugement et offre une galerie de personnage moins ca ricaturale, plus attachante.

Le film préfigure en tout cas certaines des thématiques chères au réalisateur et que l’on retrouvera tout au long de son œuvre, le trouble de l’identité, la représentation de soi, la théâtralité contrainte dans la vie privée. Mary doit se réinventer pour correspondre à ce que le public attend d’elle, elle doit modeler son couple aux attentes de la presse à scandales pour éviter le désaveu. L’influence problématique de la célébrité et de la publicité sur le public est posée dès la première séquence qui montre Mary reproduire les looks mis en avant par des publicités de magazine. Pourtant ce sont des questions sur le système du monde du spectacle que le film oubliera en cours de route. La figure du producteur restera celle d’un homme bienveillant qui n’est lui-même que le jouet des désidératas du public, le récit ne condamnant réellement que le comportement abusif des journalistes people et des foules hystériques.

C'est bien sur le destin fatal du réalisateur qui constitue le point d'orgue du récit. Cependant les auteurs choisissent de dépasser ce moment et de conclure le film en happy end : Mary s'est exilée en France pour fuir la pression des médias, elle y est rejointe par son ex-mari qui renouvelle sa déclaration d'amour et porte le message d'une proposition de film de la part de son producteur fétiche. Mary retrouve la joie de vivre, la magie d’Hollywood l’emporte. Le cinéma, la célébrité, le rapport au public, vaudra toujours mieux qu’une vie simple et réservée. Cette solution de facilité fait oublier l'amertume salvatrice de la mort de Carey. C'est lui qui rappelait les contradictions d'un univers à la fois fantasmatique et destructeur qu'est celui de l'industrie cinématographique. Un élément qui sera intelligemment repensé dans le quasi-remake que réalisera William Wellman, qui verra la figure de l'artiste sur la pente descendante se fusionner avec celle de l'amant et dont la disparition constituera la véritable conclusion du récit.

COMIQUE DÉBRIDÉ, MÉLODRAME EMPESÉ 

Reste que le film de Cukor présente des qualités indéniables qui doivent autant à la personnalité de son metteur en scène qu'à la liberté de ton autorisée par l'époque, c'est à dire celle du "Pre-Code". Humour coquin, femmes qui fument et draguent ouvertement, brutalité des rapports physiques, visibilité des domestiques afro-américains (et racisme notoire de certaines séquences qui les mettent en scène). Le personnage de Mary Evans est également moins naïf et passif que sera celui de Vicky Lester dans le film de Wellman. Gouailleuse, elle parvient par sa verve et sa finesse d'esprit à s'extraire du restaurant dans lequel elle était serveuse. Elle tient tête à son réalisateur autant qu'à son futur mari mais se laisse objectifier par son producteur, lequel la mènera au succès mais également à cette prison dorée qui lui causera tant de peine.

Le ton du film oscille un peu arbitrairement entre la comédie (surtout la première partie) et le mélodrame (surtout la seconde), ce qui trouble la perception du spectateur et rend difficile d'accéder aux émotions dramatiques de la séparation et du suicide. Certaines blagues potaches masquent ainsi de façon regrettable les traits d'humour noirs portés par la figure du réalisateur désabusé, de la même manière que le happy end altère l'impact émotionnel et critique de son suicide. Un problème qui se retrouve également dans les scènes de conflit entre Mary et son époux snob Lenny, plus grossièrement écrites que le reste. Lenny est systématiquement en butte à ce qui vient du monde du cinéma et n’exprime son amour que par une possessivité qui n’est jamais ouvertement remise en question.

EFFETS DE STYLE ET MONTAGE EXPERIMENTAL

Cukor n’est pas connu pour avoir imposé un style visuel particulièrement personnel à son œuvre. Il a toujours privilégié le dialogue, la libre expression du comédien et a démontré son affection pour le plan long. Mais que ce soit de son propre chef ou poussé par son fougueux producteur, le réalisateur semble ici plus expressif avec sa caméra qu’à l’accoutumé. Il est en tout cas bien aidé par l’élégante photographie de Charles Rosher, oscarisé trois ans plus tôt en 1929 pour la photographie de l’Aurore de Murnau. La séquence d’ouverture notamment propose plusieurs amusantes idées visuelles autour des magazines que Mary feuillette avec avidité. Les publicités pour les vêtements que portent les stars deviennent des plans de Mary qui enfile elle-même, jusqu’à ce qu’elle colle son visage à la photo d’un Clark Gable de papier glacé et mime une accolade. Les scènes de tournage donnent l’occasion d’insérer des plans quasiment documentaires de techniciens au travail. Dans ces mêmes séquences on relèvera aussi un méticuleux travail sur les avant-plans, où l’omniprésence de la lourde machinerie qu’implique la fabrique des images rappelle au spectateur la pression qui pèse sur les épaules des artistes et des comédiens.

Mais c’est le moment du suicide de Max qui offre au film sa plus marquante séquence visuelle. On la doit à un technicien très particulier, le monteur d’origine Serbe, Slavko Vorkapich, recruté par Selznick alors qu’il n’avait jusque-là officié que sur deux films mineurs en 1928 et 1929. Vorkapich déploie plusieurs effets : le fondu pour créer l’impression d’observer des images mentales, fait se succéder très rapidement des plans flashback avec effet de surexposition, donnant l’impression que Max voit sa vie défiler devant ses yeux, puis surimpressionne deux plans de Mary pour composer une étonnante image illustrant son désarroi suite au décès de son ami. D’autres brefs montages-séquence tout au long du film sont dus à Vorkapich, ici crédité aux effets spéciaux, et témoignent bien de l’ambition de Selznick de maximiser le potentiel émotionnel de certaines situations. A noter qu'il s'agit également d'un des premiers films pour lequel le compositeur Max Steiner compose une musique originale, chose encore rare à l'époque. Si sa partition n'a rien de mémorable il s'illustre tout particulièrement sur certaines de ces séquences de montage. 

DES CARRIÈRES SONT NÉES

What Price Hollywood fut à sa sortie un succès relatif et n’est pas en définitive un très grand film. Mais il constitue une étape notable et particulièrement intéressante dans les carrières de Cukor autant que de Selznick, ainsi que dans ce genre si typiquement hollywoodien du film d’accession à la célébrité. Ensemble, la paire réalisateur/producteur réalisera encore cinq films, le sixième sera celui de la rupture, Cukor se voyant renvoyer de la production d’Autant en emporte le vent après des mois de préparation et trois semaines de tournage. Mais quoi qu’il en soit il s’agit sans doute ici du premier film significatif de Cukor, le premier dans lequel on puisse vraiment reconnaître sa patte et la finesse de son regard. C’est pourquoi, quand Selznick lancera la production de la version 1937 d’Une étoile est née, Cukor en refusera la réalisation, considérant avoir déjà dit ce qu’il avait à dire sur le monde du cinéma et ne pas voir l’utilité d’un nouveau film si similaire. Un jugement qu’il révisera lorsque dans les années 50 la Warner lui offrira la réalisation d’un nouveau remake. La fascination pour le récit mythique Hollywoodien semble toujours finir par l’emporter. 

SOURCES : 
Pat McGilligan, Biographie de George Cukor « Cukor, A Gentleman Director », 2013, University of Minnesotta Press
Murray Pomerance, R. Barton Palmer, « George Cukor, Hollywood Master », 2015, Edinburgh University Press
Collectif, « George Cukor, On/Off Hollywood », 2013, Capricci
Jeffrey Vance, Lorna Luft, « A Star Is Born », 2018, TCM, Running Press
Pierre Berthomieu, « Le temps des géants », 2009, Rouge Profond
Karen McNally, « The Stardom Film : Creating the Hollywood Fairy Tale », 2020, Columbia University Press

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La fiche IMDb du film

Par Nicolas Bergeret - le 10 janvier 2024