L'histoire
Seki Mitsuo et Yamanaka Takashi sont deux cambrioleurs qui, cagoulés, écument les banques japonaises. Ils ont déjà volé plusieurs millions de yen à des banques de Nagoya, Otsu et Kyoto avant de s’attaquer à une banque de Kobe dans laquelle ils espèrent dérober 300 millions de yen qui leur permettraient de fuir au Brésil. Mais ce nouveau braquage ne tourne pas comme prévu et lors de la fuite des deux hommes, Seki est écrasé par un camion. Yamanaka est désormais seul, poursuivi par toutes les forces de police ainsi que par le frère de Seki, qui veut récupérer sa part du gâteau.
Analyse et critique
Durant les années 70, les studios japonais durent chercher des solutions pour enrayer la chute de la fréquentation des salles, divisées par 5 en 15 ans, avec des fortunes diverses. La Daiei met la clé sous la porte en 1971 alors que la Nikkatsu bascule définitivement dans le cinéma pour adulte. Dans ce marasme, la Toei parvient à se maintenir à flot entre autres grâce à l’un de ses cinéastes stars, Kinji Fukasaku, et notamment au succès de la formidable série des Combats sans code d’honneur. Dans le même temps, les scènes de poursuite et de cascade font les films à succès du cinéma américain, dans la foulée de French Connection, et attirent également le public dans les salles japonaises. Le président de la Toei, Shigeru Okada, a alors l’idée de surfer sur cette vague et de commander à son réalisateur champion un film de braquage et de cascades automobiles. Fukasaku refuse d’abord, se sentant incapable de se hisser à la hauteur des studios hollywoodien, avant d’accepter.
Le résultat sera Violent Panic : The Big Crash, que Fukasaku va également coscénariser, particulièrement pour le premier tiers du film. Il est difficile de décrire en un mot le style du film. Il débute comme une histoire de gangsters, retour à un genre que Fukasaku pratiquait au début de sa carrière avec une ouverture qui n’est pas sans évoquer de nombreux poliziotteschi, avec une succession de braquages de banque violents, sans dialogues, qui nous plonge dans une société dans laquelle le crime est constamment présent, à chaque coin de rue, pouvant croiser la route de tout un chacun. Dans cette première partie, Fukasaku exprime le style qui fit le succès de ses films de Yakuza, tournant en décors réels, caméra à l’épaule, pour rejoindre une forme presque documentaire dans la mise en image particulièrement rythmée de séquences d'action, de poursuites et de violence. La mort de l’un des deux braqueurs amorce un virage pour le film, qui adopte un rythme moins frénétique et amorce plusieurs sous-intrigues. Au centre du récit le destin de Yamanaka, le cambrioleur qui tente d’échapper aux forces de l’ordre et au frère de son complice qui veut sa part du butin. Il doit aussi prendre soin de Michi, sa petite amie dont il souhaite se débarrasser mais qui lui colle au basque et à laquelle il va petit à petit s’attacher. Un peu de suspense, un peu de romance, et autour de cela plusieurs sous-intrigues qui semblent décorrélées du récit principal, tel celle de ce policier qui drague sa collègue pendant le travail dans un registre sexy-comique, ou celle beaucoup plus sombre d’un garagiste piégé par un médecin qui va tenter de le violer, dans un registre érotico-gore.
Fukasaku se promène avec aisance dans ces différents registres, adaptant son rythme et sa mise en scène. Dans son style, chaque scène est réussie. L’entrée de l’agent de police dans l’appartement de sa collègue et petite amie, qu’il trouve au lit avec un autre agent, est vraiment drôle. La scène entre le médecin et le garagiste, particulièrement glaçante. Celle où le frère de Seki, le braqueur décédé, suit l’ancien compagnon de Michi dans un entrepôt de mannequins dans lequel se trouve une photo en taille réelle de la jeune femme est réellement dérangeante. Le film emprunte à tous les genres, comme pour séduire tous les publics, et le fait avec un certain succès. Mais où veut-il en venir ? Yamanaka va finir par planifier un dernier braquage, reprendre le fil de ce qu’il visait au début du récit, avec Seki : amasser assez d’argent pour fuir au Brésil. Violent Panic : The Big Crash semble alors rejoindre son propos et sa forme initiale, celui d’un film de gangsters, les autres arcs narratifs n’ayant été que des historiettes permettant à Fukasaku de peindre une toile de fond, un petit portrait social du japon vu comme un pays qui a perdu toute ligne morale, perdu entre légèreté extrême et perversité toute aussi exacerbée.
La fuite de Yamanaka va ouvrir la dernière partie du film, un grand final spectaculaire dans lequel tous les personnages que nous avons croisés, en tout cas les survivants, se retrouvent, guidés par le destin, comme dans une sorte de « cercle rouge ». La conclusion de Violent Panic : The Big Crash est une longue succession de poursuites et cascades automobiles sans but, un chaos absolu magistralement orchestré par Fukasaku. En effet, cette longue séquence semble moins destinée à donner une conclusion réaliste aux différentes intrigues du film qu’à offrir un final aussi jouissif que nihiliste au spectateur, une grande séquence de destruction qui tient presque du fantasme. Fukasaku pourrait nous perdre dans ce final où l’action apparait à chaque instant, mais le montage particulièrement maîtrisé de cette conclusion permet au spectateur de la suivre aisément, sans perte de repère. Les personnages, eux, sont cependant perdus dans cette grande orgie de violence, qui vient conclure la vision de la société japonaise esquissée durant les deux premiers tiers du film : privée de repères, guidée uniquement par une logique de consommation, elle est vouée à une grande destruction qui est ici explicitée visuellement, dans l’une des séquences les plus excitantes vues dans le cinéma d’action.
Dense et efficace de bout en bout, Violent Panic : The Big Crash devient un film marquant et singulier par ce final inégalé. Il est tel un film composite, empruntant à plusieurs genres, pour lesquels Fukasaku adapte son style, toujours avec maîtrise, qui vont avant tout trouver leur conclusion dans un grand spectacle, inoubliable, pour le spectateur. Une œuvre singulière, qui se distingue des œuvres les plus connues de Fukasaku qui creusent le sillon de l’illusion des valeurs Yakuza, et qui offre un souffle nouveau aux réalisations du cinéaste, marquant sa capacité à embrasser avec efficacité tous les styles.
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Violent Panic: The Big Crash
Blu-Ray
sortie le 26 février 2025
éditions Roboto