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Critique de film
Le film
Affiche du film

Venez donc prendre le café... chez nous !

(Venga a prendere il caffè... da noi)

L'histoire

Emerenziano Paronzini, petit fonctionnaire vieillissant, vient d’être nommé sous-chef du personnel à Luino, une petite ville du nord de l’Italie. Il envisage les moyens de de répondre aux besoins que lui dicte sa philosophie : « caresses, chaleur, commodité. » Il s’intéresse ainsi aux trois sœurs Tettamanzi, des vieilles filles qui vivent seules dans la demeure laissée par leur père, décédé un an plus tôt. Après s’être fait inviter à boire le café chez elles, il épouse l’aînée Fortunata puis devient l’amant des deux autres.

Analyse et critique

De ses débuts comme décorateur en 1933 à ses dernières réalisations pour la télévision à la fin des années 80, Alberto Lattuada aura traversé plus de soixante ans de cinéma et d’audiovisuel en Italie. Notamment, il contribue au mouvement néoréaliste avec le sublime Bandit puis se glissera avec aisance dans le mouvement de l’âge d’or du cinéma italien durant les décennies 60 et 70. En y regardant de plus près, Lattuada ne se fond pourtant jamais totalement dans ces écoles cinématographiques bien définies, mais crée son propre style en pratiquant habilement le mélange des genres. Dans Le Bandit, son observation détaillée du monde et de la société typique du néo-réalisme se mêle d’éléments hérités du film noir, créant un objet hybride unique et mémorable. On peut appliquer le même raisonnement à son chef-d’œuvre, Mafioso, ancré dans la comédie à l’italienne par son acteur principal Alberto Sordi et par la drôlerie de sa première partie, avant de se transformer en une œuvre relevant bien plus de la tragédie mafieuse durant sa seconde partie. Ainsi Lattuada à tracé une voie assez originale dans le cinéma italien. L'un de ses plus gros succès publics sera en 1970 Venez donc prendre le café... chez nous, un autre film appartenant a priori au registre de la comédie italienne tout en se détournant parfois de ses codes les plus importants.


Pour ce film, Lattuada s’inspire d’un roman de Piero Chiara, La Spartizione - Le Trigame en version française - dont il transporte le récit des années 30 aux années 70. Venez donc prendre le café... chez nous suit le destin d’un petit fonctionnaire un peu falot, Emerenziano Paronzini, qui, encouragé par les valeurs patriarcales de l’Italie de l’époque et par son statut de petit bourgeois, va entreprendre de séduire une des sœurs Tettamanzi, trois vieilles filles enfermées dans leurs frustrations par les barrières morales imposées par la religion et la société. Son plan va fonctionner au-delà de ses espérances puisque les trois femmes deviendront ses amantes, satisfaisant plus que largement à ses besoins qu’il définissait en début de film, les « trois C : caresses, chaleur, commodité. » Crédité à Adriano Baracco, Tullio Kezich ainsi qu’à Alberto Lattuada et au romancier Pietro Chiara lui-même, le scénario se focalise sur l’argument principal du récit, en se détachant presque totalement de toute autre considération sociale ou politique, produisant ainsi un film déconnecté de la réalité italienne de l’époque, hormis évidemment pour la question morale de la sexualité et de la polygamie inhérente au sujet. Ce parti pris scénaristique donne une certaine originalité à Venez donc prendre le café... chez nous par rapport à la masse des comédies à l’italienne fermement ancrées dans la réalité de l’Italie des années 60 et 70, mais elle constitue aussi l'une des faiblesses majeures du film. Une fois faite la peinture morale de l’Italie de l’époque, avec son patriarcat écrasant qui légitime le comportement de Paronzini et la frustration sexuelle des trois sœurs, engendrée par le poids des valeurs religieuses, le film tourne vite en rond manquant de sujets et de personnages complémentaires pour nous passionner durant une heure et demie. Témoin de ce vide thématique, la récurrence de la scène qui voit Tarsilla, la cadette des sœurs, rencontrer son amant dans un monastère. Une image provocante lors de sa première occurrence mais qui perd nettement de son intérêt lorsque nous la revoyons, sans que la mise en scène lui donne une signification nouvelle.


Autre élément original, l’histoire qui nous est contée se déroule à Luino, petite ville du nord de l’Italie, plutôt que dans une grande ville telles que Milan, Rome ou Turin, décors dominants de la plupart des productions de l’époque. Là aussi ce choix se retourne un peu contre le film, l'absence de la question urbaine combinée à ses thématiques l’associant finalement plutôt aux productions du néo-réalisme rose des années 50 qu'aux films contemporains. En un mot, Venez donc prendre le café... chez nous semble être un film en retard sur son temps. Pourtant, la question sexuelle sera un sujet dominant de beaucoup de comédies des années 70, et Lattuada pourrait ici en donner le coup d’envoi. Mais en traitant le sujet à la fois sans érotisme et sans finesse - mais parfois en frôlant la vulgarité, comme dans cette scène où Paronzini drague Fortunata dans une cave remplie de charcuterie, quelle image subtile - le cinéaste lui retire une grande partie de son intérêt et de son pouvoir subversif. Il serait pourtant injuste de critiquer intégralement le film sans lui accorder quelques qualités. Il y a tout d’abord l’abattage habituel d’Ugo Tognazzi, impeccable en petit fonctionnaire sans envergure profitant de son statut. Particulièrement à l’aise dans ce genre de rôle, l’acteur nous régale à chacune de ses apparitions, provoquant quelques moments d’une belle drôlerie. Il faut également citer la dernière séquence du film, durant laquelle Lattuada retrouve une inspiration qui l’avait fui pendant une grande partie du film, et qui évoque avec quelques années d’avance ce que nous verrons dans La Grande bouffe de Marco Ferreri. Ces dernières minutes, réussies et mémorables, sauvent partiellement le film et nous font quelque peu oublier l’impression de creux que nous ressentons en son cœur.


Venez donc prendre le café... chez nous n’est donc évidemment pas une comédie à l’italienne majeure. Ce n’est pas un ratage complet non plus. C’est simplement un film moyen, pas désagréable à regarder mais pas inoubliable non plus, et qui se situe malheureusement bien loin de la réussite Mafioso dans la filmographie d’Alberto Lattuada.

DANS LES SALLES

Venez donc prendre le café... chez nous !
un film de Alberto Lattuada

DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 30 JANVIER 2019

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 30 janvier 2019