L'histoire
1936 en Grèce alors que le général Metaxás a pris le pouvoir pour installer une dictature pourchassant sans relâche les communistes. Margot (Romy Schneider) et Rico (Umberto Orsini), son époux diplomate, ne s’entendent plus. Lui collectionne les conquêtes féminines alors que sa jeune femme, riche et belle, est courtisée par tout un tas de prétendants dont le plus assidu est l’industriel Raoul Malfosse (Philippe Noiret). Une nuit, Margot assiste depuis sa fenêtre à une chasse à l’homme et accueille le fugitif dans sa chambre. Michel Boutros (Victor Lanoux) est un militant politique hostile au régime en place avec qui elle va vivre une histoire d’amour passionnée mais dangereuse. Jusqu’à ce que son amant puisse sortir du pays, elle le dissimule avec l’aide de son mari et de Raoul, son soupirant ; elle le fait employer comme chauffeur par ce dernier…
Analyse et critique
14ème long métrage de Pierre Granier-Deferre, situé entre Adieu Poulet et Le Toubib, tout comme ce dernier Une femme à sa fenêtre pâtit d’une réputation assez moyenne qui me semble totalement injuste. S’il ne s’agit certes pas du film le plus mémorable du réalisateur, il n’en demeure pas moins une réussite tout à fait honorable, que ce soit sur le fond comme sur la forme. En confiant l’adaptation du roman de Drieu la Rochelle à Granier-Deferre, la productrice Albina du Boisrouvray voulait un film à la Costa-Gavras d’autant qu’elle avait confié l'écriture au scénariste attitré de ce dernier, l’homme de gauche Jorge Semprún. Le cinéaste s’en sentait non seulement incapable mais surtout ça ne l’intéressait pas spécialement (tout comme Romy Schneider d’ailleurs), préférant se servir du contexte historique comme toile de fond sans faire un film politique, plus attiré par l’histoire d’amour improbable entre une riche bourgeoise désœuvrée et un idéaliste politique de gauche d’une classe inférieure. Coproduction franco-italo-allemande, le film bénéficia d’un budget très confortable et d’un casting de premier ordre, les auteurs reformant pour l’occasion le duo Romy Schneider/Philippe Noiret qui avait cartonné l’année précédente dans Le Vieux fusil de Robert Enrico. C’est d’ailleurs la star féminine qui demandé à Granier-Deferre de pouvoir tenir ce rôle qui lui plaisait énormément sur papier, collaborant ainsi avec ce dernier pour la deuxième fois après l’excellent Le Train d’après Georges Simenon.
On a souvent reproché au film son manque de clarté et d’explications quant à la situation politique de la Grèce à l’époque où se situe l’intrigue. Si effectivement les Français que nous sommes sont en général peu au fait de l’histoire contemporaine de la Grèce, les quelques éléments fournis par Semprun et Granier-Deferre semblaient pourtant assez fluides et suffisants pour comprendre le contexte historique. En 1936, le général Metaxás avait pris le pouvoir pour mettre en place une dictature s’inspirant du régime autoritaire fasciste italien de Mussolini. Ce que l’on ne pouvait en revanche pas deviner c’est que pas loin de 15 000 Grecs furent arrêtés et torturés durant les cinq ans que dura la dictature de Metaxás qui prit fin à la mort de ce dernier en 1941. Son idéologie portait sur le concept de Troisième Civilisation Hellénique combinant les splendeurs de la Grèce antique païenne et de la Grèce byzantine chrétienne. Sans que ce ne soit clairement expliqué, on devine la tyrannie qui régna à cette époque par toutes ces séquences au cours desquelles les modestes citoyens ou paysans sont molestés par la police d’autant plus que le chef est interprété avec une grande efficacité – si ce n’est avec finesse - par un comédien italien à la gueule de l’emploi, l’inquiétant Gastone Moschin que l’on a très souvent croisé au sein de giallo et de polars italiens. Une Femme à sa fenêtre sort en salles e 1976 ; une deuxième dictature, celle des colonels que l’on côtoie au sein du classique de Costa-Gavras, Z, venait de prendre fin seulement deux ans auparavant.
Le 'metaxisme', un contexte politique qui va rendre difficile le développement de la passion amoureuse entre Margot et Michel. La jeune femme rayonnante dont tout le monde est amoureux représente la grande bourgeoisie grecque, oisive, frivole, méprisante et décadente, peu avare en médisances et cocufiages ; classe régnante qui fera de l’œil au régime fasciste pour se protéger de la révolution communiste qu’elle redoute par-dessus tout. Margot n’est pas dupe de la veulerie de son petit monde et sous son masque de frivole dépravée cache un désir de romanesque qu’elle va pouvoir assouvir en rencontrant un séduisant militant en conflit ouvert avec le régime, un homme courageux, idéaliste et profondément humain qui ne pouvait que la séduire. Même si l’alchimie ne fonctionne pas toujours entre Romy Schneider et Victor Lanoux, la description de leurs relations manquant parfois un peu d’émotions, les deux comédiens sont excellents. Tout comme Philippe Noiret en confident, amoureux transi et ami loyal, un industriel plus inquiet par la marche de ses affaires que par la situation politique qui ne risque pas de le pénaliser ; c’est une des raisons pour laquelle Margot ne lui cèdera jamais. Quant à l’époux de Margot, c’est l’acteur Umberto Orisini qui s’y colle, lui aussi avec talent. Les quatre personnages qu'ils campent bénéficient d’une belle richesse d’écriture, leurs relations assez complexes s’avérant souvent captivantes.
Lorsque le film débute, Margot et Michel ont entamé leur liaison et sont déjà fous amoureux ; la jeune femme partage l’idéalisme antifasciste de son compagnon sous les yeux de Raoul Malfosse qui lui, surtout par jalousie car se trouvant dans la situation malaisante de devoir 'tenir la chandelle', évoque devant son rival les purges en union soviétique. Semprun, à travers le personnage de Drieu la Rochelle qu’il convoque à la fin du film, mettra sur le même pied d'égalité négative, communisme soviétique et fascisme. Ces conversations politiques qui démarrent le film ont lieu au sein de paysages majestueux écrasés par le soleil et ponctués de vieux temples athéniens en ruines. On peut dès lors apprécier la photographie de Aldo Tonti et le beau thème romantique principal de Carlo Rustichelli, Granier-Deferre ayant dû sacrifier son compositeur habituel Philippe Sarde aux producteurs italiens ayant eu la plus grande part dans le financement du film. Puis après ce prologue, la construction déstructurée du film se fera par allers-retours temporels parfois inutilement alambiqués mais la plupart du temps non seulement assez subtils mais également très lisibles. Un film romanesque à souhait porté par une jolie écriture, une sobre et élégante mise en scène, une direction artistique somptueuse s’agissant des décors et costumes ainsi que par de formidables comédiens à commencer par une Romy Schneider envoutante, resplendissante et amoureusement filmée. Si une autre adaptation de Drieu la Rochelle bénéficiera d’une toute autre aura, Le Feu follet de Louis Malle, il ne faudrait pas négliger pour autant ce très beau mélodrame parfaitement bien maitrisé par Pierre Granier-Deferre.
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une femme a sa fenetre
Blu-Ray
Sortie le 04 décembre 2024
éditions Studiocanal / collection Nos Années 70