Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Une certaine rencontre

(Love with the Proper Stranger)

L'histoire

Rocky Papasano (Steve McQueen) est un jeune musicien new-yorkais un peu bohème. Alors qu'il est en train de chercher du travail, il est interpellé par Angela (Natalie Wood), une vendeuse avec qui il a u une brève liaison. Elle lui annonce qu'elle est enceinte de lui et sollicite son aide pour trouver une adresse dans le but d'avorter. Il leur faut également trouver de l'argent pour la personne qui pratiquera cette "opération". Alors qu'ils sont confrontés à une "faiseuse d'anges" qui leur a donné rendez-vous dans un endroit extrêmement sordide, la culpabilité vient tarauder les deux jeunes gens qui sont alors obligés de reconsidérer cette idée, d’autant que l’amour commence à s’immiscer au sein de leurs relations...

Analyse et critique

Malgré son extrême sensibilité, sa touche très personnelle et son immense talent, Robert Mulligan continue à avoir beaucoup de mal à faire son trou dans notre pays ; la preuve avec ce Love With a Proper Stranger qui demeure toujours aussi mal connu dans l’Hexagone, les copies ayant circulé jusque-là étant d’ailleurs recadrées en 1.37. Grâce à Splendor Films, ce très beau film va nous être enfin proposé dans son bon format 1.85 ; il est donc temps de se pencher dessus d’autant qu’il n’a rien à envier aux œuvres les plus connues du cinéaste. Au début des années 80, la filmographie de Robert Mulligan pour nous autres cinéphiles français se résumait au magnifique Un été 42 (Summer of 42') - grâce aussi à Michel Legrand et à une Jennifer O'Neill dont nous étions tous tombés amoureux - ainsi qu’à L’Autre (The Other), un film fantastique assez unique, devenu rapidement culte. Il aura fallu attendre bien après la sortie de son ultime film, le mésestimé et pourtant magnifique Un été en Louisiane (The Man in the Moon), pour que d’autres titres fassent discrètement leur apparition sur le devant de la scène. De nos jours, on peut s’extasier très légitimement sur la superbe adaptation de Harper Lee, Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird), ou redécouvrir assez facilement par l’intermédiaire du DVD l’une des comédies les plus amusantes des années 60, Rendez-vous de septembre (Come September) avec l’improbable duo composé de Rock Hudson et Gina Lollobrigida qui contre toute attente fonctionne à merveille.

Robert Mulligan aura d’autres belles réussites à son actif que ce soit dans le domaine du western (The Stalking Moon), du film d’aventure (The Spiral Road), du drame (Baby, the Rain Must Fall) ou du film noir (The Nickel Ride). Voilà un réalisateur éclectique qui mérite impérativement que l’on s’y arrête plus attentivement. Pour ce faire, recentrons-nous en l’occurrence sur ce Love With the Proper Stranger qui est né de l’idée du scénariste de télévision Arnold Schulman. Celui-ci propose à Alan J. Pakula et Robert Mulligan un récit qu’il avait écrit depuis longtemps : une histoire qui se déroulait dans les quartiers peu favorisés de New York et qui contait non seulement une romance peu banale entre deux jeunes adultes nés de l’immigration italienne mais abordant également un thème tabou pour l’époque, l’avortement. Le réalisateur accroche immédiatement - son producteur Pakula tout autant - et se lance dans l’aventure avec pour incarner son jeune couple deux très grandes stars de l’époque, non moins que Steve McQueen et Natalie Wood. Il est d’autant plus étonnant que ce film ne soit pas plus connu et reconnu dans nos contrées, la cote d’amour pour ces deux comédiens ayant toujours été au beau fixe en France. Leur interprétation s'avère ici remarquable.

[Attention ! Spoilers possibles]
D’un côté, un jeune musicien dilettante et immature à la recherche de quelques contrats ; de l’autre, une vendeuse dans un grand magasin qui vient d’apprendre être enceinte de ce partenaire d’un soir. Le film débute donc d’une manière assez audacieuse, là où la plupart des comédies romantiques se seraient presque terminées, puisque dès le départ le couple dont on va narrer l'histoire a déjà "consommé". La jeune femme vient trouver le père de son enfant à venir pour lui demander son aide afin de trouver l’argent nécessaire pour faire pratiquer un avortement ainsi que pour dénicher un "médecin" complaisant, cette opération étant à l’époque totalement illégale aux États-Unis (et ailleurs). Tous les deux sont issus de l’immigration italienne avec tout ce que cela comporte niveau environnement familial : leurs conditions de vie sont assez précaire, les frères veillent attentivement aux fréquentations de leurs sœurs, ces dernières se trouvant souvent espionnées et oppressées, peu libres de leurs mouvements. Lui avait déjà oublié cette aventure d’un soir, ne se souvenant même pas du prénom de sa partenaire. Dans un premier temps réticent, sa conscience le taraudant et la jeune femme se faisant légitimement insistante, il va décider de prendre ses responsabilités et finalement partir à la recherche de la somme importante demandée pour ce genre d’intervention. Il la trouvera pour une majeure partie auprès de ses parents, sans évidemment leur donner la véritable raison de ce besoin financier.

Les auteurs en profitent pour décrire avec acuité, lucidité, précision et tendresse le milieu des Italo-américains, les protagonistes étant filmés en studio mais aussi beaucoup dans les rues de Manhattan. Le film de Mulligan s’avère ainsi un document sociologique passionnant. Les séquences se déroulant au sein des deux familles sont écrites avec justesse, minutie, et cependant non sans humour, tous les protagonistes semblant plus vrais que nature sans pittoresque inutile. Confrontés au contexte extrêmement sordide de l‘avortement clandestin dans un squat insalubre, l'avorteuse arrivant avec un matériel douteux et peu hygiénique, le couple est rebuté par cet environnement plus que déprimant et la culpabilité ne tarde pas à les ronger au point qu’ils décident de faire machine arrière. Après plus d'une heure de film, la partie purement comédie romantique peut débuter, ce qui n'est pas banal comme changement de ton, et ce qui constitue une fois encore un schéma assez peu traditionnel pour un film hollywoodien de l'époque. Les auteurs pourront ainsi aborder d’autres thématiques moins dramatiques, plus psychologiques, mais pas pour autant moins passionnantes. Ils entameront une réflexion - en adéquation avec le titre de leur film - sur ce que représente l’amour, le mariage et le divorce pour les jeunes adultes de cette génération et nous parleront de la condition féminine au travers le portrait d’une femme émancipée qui a décidé d’assumer son indépendance malgré les pressions familiales assez étouffantes, ses frères ne pouvant par exemple pas s’empêcher d’aller la chercher à sa sortie du travail pour la raccompagner chez elle "en toute sécurité". Des membres de la famille pleins de bonnes intentions mais cependant extrêmement pesants par le fait de brider la liberté de la fille.

Face aux difficultés rencontrées ensemble lors de cette descente aux enfers, stoppée net par leur prise de conscience au moment même de l’infâme rendez-vous clandestin, les deux jeunes gens (Natalie Wood fraîche et rayonnante, Steve McQueen tout autant nonchalant que fragile) vont non seulement apprendre à se connaitre mais également à s’aimer, le happy-end - passage obligé de la comédie romantique - s’avérant aussi euphorisant qu’auront été dramatiques quelques séquences précédentes. [Fin des spoilers] Cependant le film n’est pas aussi sombre que nous pourrions le penser à la description du sujet mais plutôt doux-amer, les auteurs parvenant à maintenir tout du long une certaine légèreté grâce au mordant des dialogues et à un humour souvent présent - sans néanmoins aucune pesanteur -, notamment lors des séquences d’une belle justesse qui dépeignent la vie quotidienne des deux familles italo-américaines. Leurs membres sont interprétés par de solides seconds rôles, Peter Bosley en tête mais aussi Hershcel Bernardi ou Harvey Lembeck. Sur un rythme apaisé, étirant expressément ses scènes d’une manière presque théâtrale, le cinéaste prend son temps pour contextualiser son intrigue et le milieu décrit, par de petites touches subtiles et sensibles mais sans aucune mièvrerie. L'écriture s'avère à la lois rigoureuse et pointilliste, alors que la mise en scène de Mulligan est constamment élégante malgré le réalisme de l’ensemble.

Un mélange tout à fait unique de drame social réaliste et intime, de document sociologique et de comédie romantique, porté à bout de bras par un couple au charme fou et grandement charismatique, formidablement dirigé par un réalisateur dont la singulière sensibilité nous ravira toujours autant. La beauté de la photographie en noir et blanc qui valut à Milton R. Krasner une nomination à l’Oscar ainsi que le score attachant du complice habituel du cinéaste, Elmer Bernstein, finissent de faire de cette œuvre délicate, intelligente et pudique un film assez entêtant vers lequel nous aurons envie de revenir de temps à autre d’autant qu’en le replaçant dans son contexte, il s’avère d’une certaine audace et d’une grande modernité. Pour les amateurs de la vie privée des stars, sachez que c’est sur le tournage de ce film que débuta l’idylle entre Steve McQueen et Natalie Wood, cette dernière n’ayant que de bons souvenirs de ce film puisqu’elle dira : "Working on this film was the most rewarding experience I had in all films, all the way around."

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : splenDOR FILMS

DATE DE SORTIE : 23 mai 2018

La Page du distributeur

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 mai 2018