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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un seul bras les tua tous

(Dubei dao)

L'histoire

Après la mort de son père, le jeune Fang Gang est recueilli par le Maître Qi Ru-Feng, qui l’initie aux arts martiaux. Mais sa position de protégé attire sur lui l’inimitié des autres disciples. En dépit de son attachement à l’école, Fang Gang décide de partir. Mais à la suite d’une altercation avec d’autres élèves, son bras droit est coupé. Laissé pour mort, il est soigné par une jeune paysanne. Remis sur pieds, il découvre un manuel de kung fu partiellement brûlé, dont ne subsistent que les pages concernant le bras gauche.La Rage du Tigre : Le jeune Lei Li est un épéiste surdoué. Manipulé par un rival, accusé de vol, il est contraint de se couper le bras droit à la suite d’un duel et jure d’abandonner les arts martiaux. Survivant comme serveur dans une auberge, il fait la connaissance d’un autre pratiquant, qui se chargera de le remettre sur la bonne voie.

Analyse et critique

La trilogie du Sabreur Manchot occupe une part bien particulière dans l’histoire du cinéma d’arts martiaux. D’une part, elle a donné naissance à l’un des personnages mythiques du genre, qui sera plus tard repris aussi bien dans la série Zatoichi que dans le déjà légendaire The Blade de Tsui Hark, remake du troisième opus. D’autre part, La Rage du Tigre est l’un des très rares wu xia pian à s’être frayé un chemin hors des salles bis de Barbès et des vidéo clubs de Belleville ou du XIIIème puisqu’il a été longtemps disponible à la location chez René Château, dans une qualité d’image déplorable et affublé d’un doublage d’anthologie. La présente édition est donc l’occasion d’une véritable redécouverte pour de nombreux cinéphiles.

Cette saga du Sabreur Manchot marque une rupture dans le wu xia pian : alors que le genre fait la part belle aux personnages féminins, voire même leur accorde le rôle principal - cf L’Hirondelle d’Or de King Hu -, Chang Cheh prend le contre-pieds de cette tradition du film d’arts martiaux en illustrant le parcours de guerriers qui, pour vaincre, doivent se castrer et se séparer de la femme. Il faut sans doute toucher un mot de la misogynie, réelle ou supposée, dans le cinéma de Chang Cheh. Le visionnage de cette trilogie nous amène à constater qu’elles n’ont guère le beau rôle : elles sont le plus souvent responsables de l’amputation du héros, physiquement comme Qi Pei tranchant le bras de Fang Gang dans le premier opus, ou plus métaphoriquement comme Xiao Man, qui ‘castre’ le guerrier en le transformant en paysan. Elle peut aussi incarner la plus sadique et traîtresse des Némésis dans Le Bras de la Vengeance, ou tout simplement se révéler gênante et inutile : lorsque Fung et Lei Li s’éloignent au bras l’un de l’autre, ce dernier accepte tout juste que sa compagne rejoigne le groupe en s’accrochant à la manche recouvrant son moignon. Sans forcément interpréter ces séquences à la lumière de l’homo-érotisme, on ne peut s’empêcher de relever que la présence féminine dans l’œuvre de Chang Cheh est rarement la bienvenue.

Le premier film offre sans doute la trame la plus riche, ainsi que les personnages les plus intéressants. Si on reste dans un carcan traditionnel, Un Seul Bras les Tua Tous développe néanmoins un certain nombre de thèmes intéressants, et tout particulièrement lorsqu’il traite de l’individu face à la tradition martiale. C’est le cas bien entendu de Fang Gang, recueilli et formé par le maître qui honore sa dette, mais aussi celui de Pei, dont le père est mort en défendant le manuel, mais qui a été abandonnée sans repères. Ici, pas de simple démonstration de virtuosité dans le maniement du sabre, mais une véritable interrogation sur la place de l’Homme dans un monde régit par la pratique des arts martiaux. Les séquences d’action sont nombreuses, mais sont traitées sous un angle assez réaliste, voire terre à terre, ce qui pourra déstabiliser plus d’un spectateur. Ceci évoluera dans l’opus suivant. Le Bras de la Vengeance se présente en effet comme la suite directe de Un Seul Bras les Tua Tous. Cet épisode est particulièrement axé sur l’action, pour ainsi dire ininterrompue. Le ton est d’ailleurs donné dès le générique, qui évoque irrésistiblement la série des James Bond en présentant les armes stylisées qui seront utilisées durant le film, depuis les roues acérées jusqu’au sabre lance-gaz. Le Bras de la Vengeance est placé sous le signe du spectaculaire et ne s’embarrasse guère de psychologie ou de présentation des personnages - mais après tout, cet aspect avait été largement développé dans Un Seul Bras les Tua Tous ; on retrouve d’ailleurs des thèmes déjà connus. Les chorégraphies martiales prennent de l’ampleur, et l’on note une utilisation accrue des câbles et des trampolines. De même, la violence graphique fait un nouveau pas en avant, et les éclats sanglants sont légion, même s’ils seront encore plus nombreux dans La Rage du Tigre. Mais cette violence des combats ne se traduit pas pour autant par un montage hystérique, au contraire le spectateur peut admirer à loisir la beauté des chorégraphies martiales. En dépit de son déchaînement de brutalité, une esquisse de morale de la violence est pourtant perceptible dans Le Bras de la Vengeance : voir par exemple la plongée sur les cadavres éparpillés, vêtus de noir ou de blanc selon leur camp, pourtant tous réunis et égaux devant la mort. De même, Fang Gang quitte le lieu du massacre, laissant sa Némésis être hachée vive par ses compagnons d’arme, non sans avoir jeté la plaque gravée en son honneur, geste qui évoque la séquence finale de L’Inspecteur Harry.

Le plus connu des trois films, La Rage du Tigre, reprend en partie la trame du premier opus, en modifiant certains aspects de façon significative. Ainsi, l’humiliation suivant l’amputation est ici accentuée jusqu’au masochisme, et Chang Cheh s’attarde longuement sur le sort réservé au guerrier déchu. Humiliation qui ne prendra fin qu’au retour de l’esprit chevaleresque, incarné ici par le personnage joué par Ti Lung. Ceux qui découvriront La Rage du Tigre aujourd’hui seront peut-être troublés par son rythme assez lent, qui peut perturber. En effet, une fois dépassées les séquences d’introduction, les séquences d’action se font rare, du moins jusqu’à la conclusion où, en revanche, les scènes d’affrontement prennent des proportions épiques rarement égalées à ce jour encore : la séquence du pont, où Lei li défait à lui seul une centaine de sabreurs de son seul bras gauche, est à ce titre exemplaire. C’est également l’épisode le plus barbare, où le sang ne coule pas, mais jaillit tel un geyser ; le sort le Ti Lung, écartelé puis tranché en deux, est à ce titre révélateur. La Rage du Tigre instaura donc une sorte de standard de la violence dans le wu xia pian, et sera à ce titre maintes fois cité - si vous cherchez la source de la séquence où Uma Thurman roule au sol sabre à la main dans Kill Bill vol. 1, c’est ici qu’il faudra regarder. La Rage du Tigre marque néanmoins la fin provisoire du wu xia pian flamboyant, de nombreux amateurs commencant à juger les séquences d’action irréalistes. Il faut souligner que la mode était alors aux films d’action urbains dont Bruce Lee fut le plus célèbre représentant. Le wu xia pian cède la place au kung fu pian, mais les combattants câblés n’ont pas dit leur dernier mot, et reviendront, que ce soit dans la série Il Etait une Fois en Chine initiée par Tsui Hark ou des succès à l’exportation tels que Tigre et Dragon. Mais ces trois films, différents et complémentaires, restent de magnifiques représentants du genre.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

La Shaw Brothers Story

Par Frank Suzanne - le 18 février 2005