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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un héros de notre temps

(Un eroe dei nostri tempi)

L'histoire

Délateur, peureux, menteur, timide, Alberto vit encore dans les jupons de sa maman et d'une vieille bonne à tout faire : cherchant constamment à éviter tout conflit, toute implication (au travail, avec les femmes, avec la police...) notre Alberto, éternel gaffeur, a néanmoins le don pour se fourrer dans les pires ennuis, menacé de licenciement, victime de chantage, suspecté d'une attaque à la bombe ; plus il tente de s'expliquer, de s'extraire d'un mauvais pas, plus il s'enfonce. Notre homme hâbleur, loin d'être brillant, a beau noyer tout son monde de paroles, c'est un vrai boulet ; finira-t-il par couler ?

Analyse et critique

Alberto Sordi a promené son personnage d’Italien immature, veule et lâche à travers une filmographie qui explore finalement toute l’histoire de l’Italie du 20e siècle : soldat couard durant La Grande Guerre (1959) de Mario Monicelli, ancien résistant de la Deuxième Guerre mondiale ayant mal négocié le virage cynique du pays dans Une vie difficile (1961) de Dino Risi, viveur irresponsable du miracle économique italien dans Il Boom (1963) de Vittorio De Sica, policier vertueux dans l’Italie corrompue pour Le Commissaire (1962) de Luigi Comencini. Cette démarche est à la fois travaillée - grâce à son scénariste attitré Rodolfo Sonego, qu’il impose dans tous ses films afin de lui façonner un écrin idéal à chaque fois - et due aux hasards d’une carrière (comme le souligne le critique Jean A. Gili dans les bonus du DVD), même si Sordi l’affirmera comme consciente à la fin de sa vie et notamment à l’occasion d’un documentaire de la télévision italienne montrant une histoire de l’Italie dans un long montage de tous ses rôles.

Si la plupart des maîtres de la comédie italienne (Luigi Comencini, Dino Risi, Ettore Scola) ne trouveront réellement leur veine politisée et sarcastique que dans les années 1960, il en va autrement pour Mario Monicelli. Dès ses premières comédies qui mettent en scène Totò, Monicelli illustre les problèmes économiques et sociaux agitant une Italie en reconstruction avec des œuvres comme Totò cherche un appartement (1949 et co-réalisé avec Steno) et surtout Gendarmes et voleurs (1951), le virage majeur que constituera Le Pigeon (1958) étant dès lors totalement logique. Cette première rencontre entre les préoccupations de Monicelli et la persona filmique d’Alberto Sordi va donc faire des étincelles avec cet hilarant Un héros de notre temps. L’ironie du titre traduit ainsi l’incertitude que traverse la société italienne, incarnée par l’inconséquence d’Alberto Menichetti (Alberto Sordi). Nourri des peurs du passé par l’éducation de sa tante, imprégné de celles du présent par la situation économique difficile, Alberto y ajoute une multitude d’angoisses latentes qui l’amènent à ne prendre parti sur rien et ne faire confiance à personne.

A travers diverses situations, Monicelli illustre sous le prisme social et intime les différentes formes que peut emprunter la lâcheté d’Alberto. C’est une manière aussi de tisser un portrait de la société italienne d’alors. Le monde de l’entreprise est un espace oppressant et conflictuel, l’intimidant patron (incarné par Alberto Lattuada) a installé des micros dans toutes les pièces pour épier ses employés. Lorsque ceux-ci envisagent une grève pour faire stopper cette pratique, c’est une manière pour Alberto d’affirmer sa servilité. Dans les relations amoureuses, cela est tout aussi problématique entre Marcella (Giovanna Ralli), objet de son désir auquel il n’ose adresser la parole avant sa majorité (pourtant pas si éloignée puisqu’elle a 17 ans), et une jolie veuve (Franca Valeri) toujours hantée par le souvenir du défunt. Le comique naîtra tout d’abord de ce quotidien dans la fuite permanente - le film s’ouvre d’ailleurs sur Alberto esquivant le témoignage qu’on pourrait lui soustraire d’un incident routier - avant que les mensonges s’accumulent et poussent les situations vers un réjouissant comique absurde. Entre passé fasciste et capitalisme moderne sauvage, la figure paternaliste et à l’autoritarisme froid du patron exacerbe la soumission d’Alberto, pris en main même pour ses préoccupations les plus intimes, de sa tenue vestimentaire à sa santé.


Le machisme et son antithèse suscitent l’hilarité également quand notre héros préfère la fuite à l’attitude chevaleresque envers Marcella dans le conflit. A ne jamais s’impliquer, à trahir et mentir à son interlocuteur le plus faible pour satisfaire le plus puissant, Alberto noue une spirale inextricable qui le rend faux aux yeux de tous. Alberto Sordi, par sa prestation éblouissante, amène progressivement cette veine comique vers la tragédie et le personnage pathétique s’aliène tout son entourage. Le trouble en devient quasiment psychanalytique au-delà de tout constat social. On reconnaît bien là l’approche subtile et sensible de Monicelli, capable de tirer les comportements pathologiques vers une émotion inattendue sous les rires. Les farceurs de Mes chers amis (1975), le séducteur frénétique de Casanova 70 (1965) ou les fomenteurs de putsch de Nous voulons les colonels (1973), tous dissimulent dans leurs attitudes excentriques et tapageuses un malaise ou une douleur latente. La rédemption ne tient toujours qu’à un fil, à l’image de cette conclusion ambiguë dans laquelle Alberto va enfin trouver la sécurité qu’il recherche dans une nouvelle profession plutôt exposée.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 31 octobre 2016