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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un Flic sur le toit

(Mannen på taket)

L'histoire

Le commissaire Beck (Carl-Gustaf Lindstedt) est de nuit appelé pour enquêter sur la mort sanglante d’un collègue, Stefan Nyman (Harald Hamrell). L’homme était une brute couverte par sa hiérarchie. Recherchant qui pouvait lui en vouloir à mort (plusieurs victimes dont les plaintes n’ont jamais été entendues), il se met à redouter que d’autres policiers ne soient assassinés.

Analyse et critique

Bo Widerberg n’était pas le cinéaste le plus attendu pour réaliser un petit classique en ses terres du polar nordique. Adaptation de L’Abominable Homme de Säffle de Maj Söwall et Per Wahlöö (le titre original serait plus proche du Salopard de Säffle, titre considéré trop crû pour le cinéma), il filme ici une enquête du commissaire Beck, sorte d’équivalent suédois du commissaire Maigret. Appréciées du grand public, elles sont également tenues en estime par certains connaisseurs du roman noir pour leur teneur réaliste, le portrait de la Suède qu’elles esquissent. Widerberg retient cet élément d’ancrage, faisant de son film le portrait en coupe d’une société guettée par l’anomie, traversée par la tentation de la violence d’Etat. La particularité de l’opus adapté tient au fait de se dérouler à l’interne de l’institution policière : un flic, Nyman, est poignardé à l’hôpital où il séjournait. Il apparaît qu’il était connu de ses collègues pour sa brutalité, des tendances sadiques couvertes par sa hiérarchie (de nombreuses plaintes à son sujet sont toutes allées à la corbeille... ou plutôt aux archives). En épluchant cette litanie non-écoutée, les enquêteurs tombent sur celle d’un policier, dont l’épouse diabétique, mise en garde à vue inutilement, y a été laissée mourir d’hypoglycémie (cette négligence fatale étant due au fait de l’avoir confondue dans les rues avec une junkie en manque). Beck et son collègue craignent que l’homme ne frappe à nouveau d’autres membres de la police. Craintes justifiées : il est à cet instant même au sommet d’un toit, en plein centre-ville, tirant à vue sur tout ce qui porte un uniforme des forces de l’ordre.

La réponse policière à cet assaut, impliquant paras sur le qui-vive et levée momentanée de certains principes de l’Etat de droit (un civil armé accompagne deux policiers, dont l’un en vendetta personnelle, dans ce raid) ne laisse rien augurer de bon pour la démocratie suédoise. En se gardant de toute identification avec le fou furieux entamant une tuerie de masse (la mise en scène n’adopte pas son point de vue, l’homme n’est presque pas filmé), le film aborde toutefois son acte comme la conséquence d’une défaillance institutionnelle, autant que la cause d’un déploiement inquiétant s’il ne résultait pas en un repli immédiat. Il culmine en une rencontre de Beck avec un collègue de Nyman, partageant sa conception du métier, déversant verbalement son aigreur (d’être méprisé d’une partie de la population, d’être celui à qui échoient des besognes ingrates), s’estimant justifié - et appelé - à faire un sale boulot. Celui-ci garde dans l’appartement qu’il habite seul (son épouse étant décédée) son uniforme, signalant une totale porosité entre vie privée et publique. Il est devenu sa fonction, s’est intimement identifié à un corps de métier qui, par ailleurs, pèche ici par esprit de corps (le tabou de faire tomber un autre membre de la police pour des pratiques réprouvées). Au contraire de Beck, profitant de son temps libre pour se détendre aux bains, vu dans son appartement se chamaillant avec une fille qui n’idéalise pas son métier, il n’a rien d’autre que sa fonction. Cet englobement pointe à une crainte diffuse pour la Suède de se bureaucratiser jusqu’à la déshumanisation... rendant, elle, envisageable l’émergence d’un fascisme ordinaire.

Impressionné par le polar urbain de French Connection, Widerberg reprend à Friedkin son esthétique urbaine, diluée dans une atmosphère routinière, grisâtre (un pendant scandinave aux romans de Simenon). Il emprunte également au giallo pour la distanciation dont il fait preuve vis-à-vis du tueur, un premier meurtre (où n’apparaît que son œil par l’entrebâillement d’une fenêtre) nocturne, sanglant, jouant sur un suspense au cordeau. Sa description du quotidien policier est marquée par une attention aux détails, un intérêt portraitiste pour les visages. Le choix d’un comique (Carl-Gustaf Lindstedt) dans le rôle du commissaire marque une volonté de rompre avec la procédure, pour s’intéresser aux rythmiques propres à chaque comédien. Le final est quant à lui l’occasion d’un déploiement de foules, mise au défi pour le cinéaste bien décidé à faire se crasher un hélicoptère en plein centre de Stockholm parmi des centaines de figurants (ce qu’il effectuera bel et bien). Cette montée en généralité désigne l’arrière-fond politique du film (que jamais le cinéaste n’impose au-delà des éléments de l’enquête). Avec l’émergence des révolutions conservatrices en Europe, apparaît l’idéal d’un Etat non pas providence mais gendarme, à qui échoit strictement, et uniquement, le maintien de l’ordre. C’est une version cauchemardesque de cette perspective qui est donnée à voir.

Pour offrir liant (le film jouant d’un montage entre situations disparates) et tension, l’étonnante mélodie à la flûte de Per Berglund embrasse les compositions nerveuses du metteur en scène. Widerberg, grand vivant, traque fébrilement l’humanité de chacun des personnages, différenciant nettement les différents membres de la police par une personnalité propre à chacun (et les tendances conflictuelles entre ceux-ci). Il paraît moins s’inquiéter des frictions naissant de leurs différences (parfois décisives) que de l’homogénéisation excessive qui résulterait d’une fonte complète dans la fonction, identification totale à l’uniforme (que, justement, tous ici ne portent pas). Le tueur, laissé à la marge de l’image, pointe à cette indistinction, fondu qu’il est dans l’acte de tuer. Les à-côtés de l’intrigue, détails sur tout un chacun (des chaussures que Beck ne porte pas dans son bureau à la tenue d’un grand bourgeois socialiste étrangement impliqué dans les forces de l’ordre), révèlent cette humanité, en passe d’être sacrifiée dans les possibles prémisses d’une guerre civile.

DANS LES SALLES

un flic sur le toit
 UN FILm de Bo Widerberg (1976)

DISTRIBUTEUR : MALAVIDA
DATE DE SORTIE : 18 SEPTEMBRE 2019

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La fiche IMDb du film

Par Jean Gavril Sluka - le 6 septembre 2017