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Critique de film
Le film
Affiche du film

That Cold Day in the Park

L'histoire

Vancouver, par une froide et pluvieuse journée : Frances Austen (Sandy Dennis), une jeune bourgeoise solitaire, invite chez elle un inconnu (Michael Burns) croisé dans une allée du parc faisant face à son appartement. Le jeune homme accepte la proposition mais demeure obstinément muet, se contentant d’adresser à Frances de larges sourires quand elle s’entretient avec lui. Nullement déstabilisée par le silence de son invité, Frances lui demande bientôt de s’installer chez elle. Débute alors une singulière cohabitation...

Analyse et critique

Pourtant présenté en 1969 au Festival de Cannes - certes hors-compétition - That Cold Day in the Park n’eut alors pas l’heur de séduire un distributeur français, demeurant de la sorte inédit de ce côté-ci de l’Atlantique. Cet oubli plus que quarantenaire du deuxième long métrage de Robert Altman aurait pu laisser augurer une œuvre mineure, à l’intérêt tout au plus documentaire... On s’empressera de dire qu’il n’en est rien ! Ne précédant en réalité que d’une année un film aussi achevé que M.A.S.H., jouissant qui plus est du savoir-faire d’un réalisateur à l’œuvre (documentaire et télévisuelle) depuis presque vingt ans, That Cold Day in the Park s’impose comme une authentique réussite que l’on aurait grandement tort de réserver aux seuls exégètes altmaniens. Adapté d’un roman inédit en français de Richard Miles et remarquablement scénarisé par Gillian Freeman, ce portrait de femme très au-delà de la crise de nerfs offre au cinéaste matière à composer une œuvre d’abord interrogeante, bientôt inquiétante, finalement terrifiante... Et That Cold Day in the Park d’ainsi s’inscrire dans cette veine étrange et noire du cinéaste dont Trois Femmes (1977) était, jusque-là, l’exemple le plus impressionnant. Faisons en effet le pari que, grâce à cette belle initiative éditoriale de Wild Side, That Cold Day in the Park sera bientôt reconnu en France comme une pièce majeure de la filmographie de Robert Altman.

Tirant le meilleur parti d’un script à l’impeccable progression dramatique, la mise en scène de Robert Altman s’emploie d’abord à camper des personnages aux psychés éminemment énigmatiques. Difficile en effet pour le spectateur de mettre à jour chez Frances la nature exacte des pulsions se dissimulant derrière son visage impassible et son impeccable tenue bourgeoise, l’un et l’autre formant une manière d’armure. Quant au mutisme du garçon (1) rencontré dans le parc, s’il s’accompagne souvent de sourires et de regards enjôleurs, il entretient un mystère encore plus insondable quant aux désirs de ce jeune homme à la mise bohème. Efficacement guidés par un Robert Altman témoignant déjà d’un art consommé de la direction d’acteurs, Sandy Dennis et Michael Burns confèrent à leurs personnages une puissante présence. Et c’est d’emblée que ce duo a priori improbable - formé par une roide ménagère et un beatnik lunaire - s’impose à l’écran. Le talent des deux comédiens se révèle donc dans leur capacité à rendre crédibles et angoissants des personnages impénétrables. Tel regard de Sandy Dennis, parce qu’un peu trop fixement et parce qu’un peu trop longuement posé sur le garçon, suscitera bientôt chez le spectateur une sourde inquiétude. Tel sourire de Michael Burns adressé à la femme, parce qu’un peu trop prononcé et parce qu’un peu trop longtemps accroché à son visage, confortera la sensation de malaise...


Un trouble que viendra, par ailleurs, amplifier la mise en images de Robert Altman. La réalisation des premières séquences de That Cold Day in the Park place ainsi immédiatement le film sous le signe de l’enfermement, motif que le réalisateur n’aura alors de cesse de décliner. La claustration est d’abord inscrite dans les espaces mêmes au sein desquels évoluent Frances et le garçon. Des éléments du décor viennent ainsi associer une imagerie carcérale aux personnages : une fenêtre intégralement barrée par les lourdes lames d’un store ne laissant entrapercevoir que la confusion laiteuse du brouillard ; ou bien encore un grillage surmonté de fil de fer barbelé, qui plus est doublé d’un rideau de pluie. Tout aussi enfermant sont les rituels sociaux auxquels la bourgeoise accomplie qu’est Frances se doit de prendre part. À l’instar, notamment, de ce repas dominical auquel Robert Altman consacre une impressionnante séquence. Annonçant, mais sur un mode rien moins que comique, les agapes familiales d’Un Mariage (1978), le triste festin ouvrant That Cold Day in the Park montre Frances rejetée en bout de table, debout telle une domestique, comme sous la coupe de cet aréopage de vieillards aisés qu’elle a conviés à déjeuner. Ce même assujettissement de la jeune femme s’exprimera encore lors de l’évocation par Robert Altman d’un autre cérémonial : celui entourant une très "british" partie de boules anglaises à laquelle Frances participe dans le cadre d’un club guindé de Vancouver. Nourrie par l’expérience de documentariste du cinéaste - il ne faut qu’une poignée de plans à Robert Altman pour camper cette exotique pratique sportive -, cette séquence montre de nouveau une héroïne prisonnière d’un univers régi par la richesse et la vieillesse.

Quant au garçon - à qui ses cheveux longs et ses pieds nus donnent pourtant des allures de hippie - il n’est en réalité pas plus libre que la bourgeoise Frances. C’est ce que met notamment en évidence la représentation par le cinéaste de la relation de soumission imposée au jeune homme par sa sœur Nina (Susanne Benton). Ce lien de subordination se dévoile lors d’une séquence à l’ambiguïté allant crescendo et menée de main de maître par Robert Altman. L’on voit d’abord Nina imposer sa présence dans la demeure de Frances, alors absente, malgré les dénégations - mollement manifestées, il est vrai - de son frère. Cette première victoire est bientôt suivie d’une seconde, plus équivoque : le réalisateur montre en effet Nina s’apprêtant à prendre un bain, et ce malgré un nouveau refus de son frère craignant le retour inopinée de son hôtesse. Ignorant les protestations de celui-ci, la jeune femme commence alors à se dénuder aux côtés de son frère lui-même partiellement dévêtu. C’est sur un mode ostensiblement érotique que Nina se sépare peu à peu de ses vêtements, improvisant un strip-tease intégral d’autant plus troublant que la caméra de Robert Altman magnifie à dessein la splendide plastique de Susanne Benton (2) ; d’abord à l’occasion d’un plan large révélant l’ensemble de son corps orné d’une unique et (fort) petite culotte... que la comédienne fait bientôt glisser le long de ses mollets galbés lors d’un gros plan formant l’acmé de cet effeuillage sororal ! L’implicite incestueux de l’épisode se verra renforcé par l’action suivante de Nina - la sœur entraîne son frère, toujours impuissant à contrecarrer sa volonté, dans la baignoire - et définitivement explicité par la conclusion de la séquence : lascivement allongée dans l’une des chambres de l’appartement de Frances, Nina demande à son frère de masser son dos prétendument endolori. Toujours docile, le garçon s’exécute. Nina se retourne alors vers son frère, lui offrant sa poitrine insolemment découverte, soulignant son geste d’un regard plus qu’entendu ! Semblant prendre enfin conscience de la nature transgressive du désir de Nina, le garçon s’éloigne soudainement de sa sœur qu’un dernier plan montre en proie au rire. Que se passe-t-il ensuite ? Robert Altman se garde bien de le narrer, laissant l’épisode en suspens et laissant in fine le soin au spectateur de décider jusqu’à quel point le jeune homme se sera fait le jouet de sa parente...


Incestueux ? Ou pas ? Le garçon aura, en tous cas, lors de ce trouble moment révélé sa difficulté à s’affirmer comme sujet, tout comme Frances. Et ce sont donc deux personnages ayant en partage l’aliénation que met en présence That Cold Day in the Park, nouant ainsi les fils d’une crise brillamment amenée et culminant dans un saisissant final. D’ultimes instants que l’on ne détaillera cependant pas plus avant, à l’intention des lecteurs encore ignorants du film... tout en leur garantissant que la conclusion apportée par Robert Altman à That Cold Day in the Park  en scelle le caractère radicalement dérangeant !

(1) Ce personnage - désigné en version originale sous la simple mention de The Boy - ne sera à aucun moment nommé dans le film.
(2) La comédienne fit la une de l’édition américaine de Playboy en mai 1970...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Pierre Charrel - le 4 février 2013