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Critique de film
Le film

Terreur au Texas

(Terror in a Texas Town)

L'histoire

La petite ville de Prairie au Texas. Le vieil émigré suédois Hansen refuse de vendre sa propriété au riche homme d’affaires Ed McNeil (Sebastian Cabot) qui convoite ses terres ainsi que celles de ses autres voisins, ayant appris qu’elles regorgeaient de pétrole. McNeil envoie à cet entêté son tueur à gages, Johnny Crale (Nedrick Young), afin de le menacer et lui faire changer d’avis. Mais devant la détermination de Hansen, Johnny l’assassine de sang-froid. Ce que le pistolero ne sait pas, c’est qu’il y a eu des témoins de son meurtre en la personne des employés mexicains du fermier dont le chef de famille est Jose Mirada (Victor Millan). Trois jours après la mort de Hansen, son fils George (Sterling Hayden), arrivant de l’Est, vient lui rendre visite. Après qu’il a été informé de ce drame, il se lance dans une enquête, bien décidé à découvrir les assassins de son père. Malheureusement, il se heurte au mutisme des citoyens de la ville, la peur leur liant la langue. Même Jose Mirada n’ose rien dire, son épouse craignant pour sa vie. Peu après, George est assommé et mis, inconscient, dans un train. Mais quand il reprend ses esprits, ne voulant pas en démordre, il retourne à Prairie bien résolu à aller jusqu’au bout de son idée : venger son père. Il est hébergé par les Mirada, qui cette fois lui apprennent la vérité sur l’identité des meurtriers...

Analyse et critique

Lorsque l’on évoque le nom de Joseph H. Lewis, on pense avant tout au Film noir ; il s'agit en effet, avec pourtant peu de titres à son actif, de l'un des plus grands cinéastes de série B ayant œuvré dans le genre. On se souviendra surtout du fulgurant Gun Crazy (Le Démon des armes), du très bon A Lady without Passport ainsi que de l'excellent The Big Combo (Association criminelle). Lewis a également réalisé, étalés sur une vingtaine d’années, une quinzaine de westerns devenus pour la plupart rarissimes. Ils furent tournés exclusivement pour les studios Universal et Columbia, et ne dépassèrent presque jamais les 60 minutes afin d’être diffusés en salles en première partie de programme. Si son premier western de relative importance, A Lawless Street (Ville sans loi), était un film très agréable avec Randolph Scott, assez original sur la forme, nous étions loin d'atteindre le niveau des films noirs précités : il y avait trop d’afféteries dans la réalisation là où l'on aurait souhaité plus de simplicité. Cela étant dit, l'intrigue avait tellement été vue et revue que, pour sortir du lot, le cinéaste s'était peut-être senti obligé de trop en faire au risque de se regarder parfois filmer. On pourrait dire la même chose de Terror in Texas Town sauf que, concernant ce dernier film, le résultat est encore plus extrême, le cinéaste semblant ne plus s’être préoccupé que de ses cadrages. La minceur à la fois de son intrigue et de son scénario (signé "Ben L. Perry", puisque Dalton Trumbo était alors blacklisté et interdit de travailler à Hollywood suite au maccarthysme) ne pouvait retenir l’attention bien longtemps, l’ensemble se révélant non seulement prétentieux mais aussi horriblement languissant, lourd et caricatural.

Comme l’écrivaient assez justement Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans leur 50 ans de cinéma américain : "Il y a un mystère Lewis ; il ne tient pas tant à l'inégalité de sa production, encore qu'entre The Big Combo et 7th Cavalry il y a un vrai abîme, et qu'à côté de recherches techniques ou formelles sidérantes, on peut tomber sur des films totalement plats..." Et l'on ne pouvait qu’entériner cet avis à la vision de 7th Cavalry (La Mission du Capitaine Benson), son western suivant (toujours avec Randolph Scott), qui ne pouvait que décevoir les admirateurs du cinéaste. Bien qu'assez intéressant, ce western de cavalerie était encore inférieur à Ville sans loi ; le cinéaste ne faisait des étincelles qu'à de rares instants, alors que le reste se révélait formellement parlant assez quelconque. On ne peut en revanche pas affirmer que Terreur au Texas soit plastiquement terne, la photographie en noir et blanc de Ray Rennahan étant somptueuse, les plans composé par Joseph H. Lewis souvent formidables (cf. les premiers gros plans de nuit sur les fermiers, qui font penser à ceux de John Ford dans Les Raisons de la colère). Mais en évoquant justement John Ford, on se souvient à quel point son film le plus formaliste était aussi l’un de ses plus horripilants ; je parle de Dieu est mort (The Fugitive). Il en va de même pour le seizième western de Joseph H. Lewis qui constitue également son dernier film avant qu’il ne se tourne vers la télévision. Un riche homme d’affaires qui domine la ville et qui fait tout pour s’approprier les terres aux alentours ; un homme qui vient venger son père tué par ce tyran local ; une petite réflexion sur la fin d’une époque qui n’accepte plus les pistoléros (décidément, cette année 1958 semble avoir voulu être celle qui annonce le western crépusculaire, le thème ayant été récurrent durant cette période)... On a déjà vu cela cent fois ; mais il n'y aurait rien eu de gênant si les auteurs avaient cru à ce qu’ils montraient. Hélas, cela ne semble pas avoir été le cas tellement l’ensemble se traine lamentablement, écrit à la va-vite avec des dialogues vraiment affligeants de platitude.

Le budget a certes été minime ($80 000), le temps de tournage réduit à peau de chagrin (dix jours), mais ces contraintes ne doivent pas servir d’excuses à ce ratage puisque certains westerns réalisés dans des conditions de production identiques se sont révélés passionnants. Ici, Joseph H. Lewis semble avoir souffert de ces moyens ridicules et paraît s’être contenté de se faire plaisir avec ses cadrages. Tavernier et Coursodon écrivaient d’ailleurs : "Terror in Texas Town ne vaut que par quelques détails [...] Les quelques tirades sociales, d'ailleurs fort mal écrites et pesantes, sont filmées avec un manque absolu de conviction, comme si Lewis s'en désintéressait..." Je ne peux qu’aller dans leur sens même si je conçois parfaitement que ceux qui recherchent un ton différent et une mise en scène moderne et originale puissent avoir pris du plaisir à la vision de ce western, qui compte ses admirateurs. Car il est clair qu’il ne ressemble à aucun autre, pour le meilleur ou pour le pire, c’est selon. Déjà le film commence par la fin, le coup du harpon n’étant du coup plus une surprise pour personne (l'affiche ne l'ayant pas caché non plus). Le générique qui s’ensuit constitue une sorte de "trailer" du film, le spectateur pouvant dès lors avoir un aperçu de la plupart des scènes d’action à venir. Tout cela défile sur l’agaçante musique de Gerald Fried (le premier compositeur de Stanley Kubrick) qui a orchestré sa partition avec seulement deux instruments, la guitare sèche et la trompette. Indépendamment du film, sa musique n’est pas forcément désagréable mais elle colle très mal aux images et surtout ne sait pas s’arrêter au bon moment ; le spectateur a parfois envie de crier pour qu’elle stoppe enfin, cela avait déjà été le cas pour Trooper Hook de Charles Marquis Warren. Pourquoi un tel démarrage, qui trompe d’ailleurs le spectateur sur le rythme du film ? Car contrairement à ce que l'’on voit d’emblée, le film sera quasiment dépourvu d’action et de péripéties, mais au contraire intempestivement bavard et statique. Les auteurs nous trompent donc d'entrée de jeu sur la marchandise, inventant en quelque sorte ici la bande-annonce mensongère intégrée à même le film ; ce n’est cependant effectivement pas banal même si assez racoleur !

Au cours du reste du film, hormis de surprenantes idées formelles, il n'y a pas grand-chose à retenir d’original et surtout pas au sein de l’intrigue languissante et caricaturale à force de clichés. Quant à l’interprétation, hormis Sterling Hayden, charismatique à souhait dans la peau de cet homme naïf et entêté, fonçant tête baissée dans les ennuis, elle n’est pas du tout convaincante. Nedrick Young et surtout Carol Kelly se montrent non seulement peu expressifs (la comédienne surtout que l’on croirait sortie d’un film de zombies) mais même pour tout dire excessivement mauvais. Sebastian Cabot, un peu meilleur, incarne en quelque sorte le capitalisme galopant prêt à tout pour éliminer la concurrence. Dommage que le scénariste ne lui ait pas donné un rôle plus consistant et moins convenu. Finir sa carrière sur un film aussi fauché (on ne voit jamais personne dans les rues de la ville), en même temps que raté et fortement ennuyeux, est assez triste. Heureusement, il nous reste ce duel inattendu, assez concis mais très réussi. Terror in a Tewas Town est un western certes hors norme sur la forme (car le fond est ultra classique) mais, hormis quelques éléments incongrus assez cocasses, il se révèle péniblement guindé, sans vie et sans âme. Mieux vaut ne pas s’arrêter sur une telle fausse note et retourner voir Gun Crazy ou The Big Combo ; à cette époque pourtant pas si éloignée, le réalisateur possédait encore un sacré sens du rythme et de l’efficacité !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 20 septembre 2014