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Critique de film
Le film
Affiche du film

Sparrows Can't Sing

L'histoire

Charlie est de retour à Londres dans son quartier de l'East End après un long tour du monde en mer. Il souhaiterait reconquérir son épouse Maggie qu'il a abandonnée à peine marié, mais cette dernière, désormais installée avec un chauffeur de bus qui lui assure le confort matériel et financier, ne l'entend pas de cette oreille. L'instable Charlie saura-t-il faire la preuve de sa nouvelle maturité ?

Analyse et critique

Sparrows Can't Sing, sous son évocation enjouée du train de vie cockney de ce début des sixties, est une œuvre plus novatrice qu'elle en a l'air. Le film est la seule réalisation au cinéma de Joan Littlewood, figure majeure du théâtre anglais surnommée "The Mother of Modern Theatre" et fondatrice en 1953 du Theatre Workshop. Cette compagnie fut un des espaces de création majeurs de la scène anglaise, croisant un réalisme cru, excentricité de ton et une esthétique qu'on retrouve dans les adaptations à l'écran de certaines de ses pièces les plus fameuses comme Un gout de miel (1961) de Tony Richardson ou plus tard Oh ! What A Lovely War (1969) de Richard Attenborough. Sparrows Can't Sing voit donc Joan Littlewood transposer au cinéma la pièce éponyme de Stephen Lewis, qu'elle avait mise en scène en 1960.

Sous l'allure bon enfant, Joan Littlewood retranscrit ses expérimentations scéniques tout en rendant ses audaces moins immédiatement marquées que les kitchen sink dramas de l'époque auxquels on serait tenté d'associer le film. L'histoire dépeint le retour dans son East End londonien natal de Charlie (James Booth) après deux ans de tour du monde en tant que marin. Il souhaite reconquérir sa jeune épouse Maggie (Barbara Windsor) qu'il a quittée aussitôt marié pour son périple. Le générique du début présente dans un montage éclair le joyeux drille irresponsable qu'il fut, coureur, buveur et fêtard, ce qui ne l'empêcha pas de se marier. Malheureusement pour lui, Maggie ne l'a pas attendu et vit désormais avec un chauffeur de bus (Roy Kinnear) et élève sa fille de deux ans dont la parenté prête à discussion. Toute la première partie du film dépeint la redécouverte de son quartier par Charlie et sa recherche infructueuse de Maggie.

Joan Littlewood nous donne à voir ce Londres changeant du début des années 60, les anciennes maisons de briques détruites pour laisser place à d'imposantes barres d'immeubles. Plutôt que de s'attarder sur la nostalgie ou une vision négative de cette modernité, la réalisatrice nous montre dans ce retour au pays une Angleterre cosmopolite comme on l'a rarement vue dans les productions anglaises de cette période. On a ainsi une scène culte lorsque Charlie arpente les appartements de ces fameux buildings et croise diverses couches de la population avec lesquelles il échange joyeusement, notamment une famille africaine avec laquelle il improvise une danse endiablée. Par ses voyages, notre héros représente le pont entre cette ouverture au monde et une certaine tradition anglaise lorsqu'il retrouvera d'anciens camarades, ce qui donnera à nouveau lieu à des rencontres pittoresques et à d'épiques expéditions au pub local. Charlie oscille également entre sa belle qu'il souhaite reconquérir, les responsabilités qu'il est prêt à assumer, mais également son tempérament immature et imprévisible qui fait son charme et son principal défaut. Joan Littlewood mêle brillamment ce côté foutraque, improvisé et réaliste issu du théâtre et une vraie mise en scène de cinéma portée par des cadrages dynamiques, des mouvements de caméra qui mettent en valeur le décor mais aussi la loufoquerie des protagonistes (l'expédition en marche militaire vers le pub). C'est une manière d'opposition avec le train de vie désormais plus plan-plan de Maggie avec son époux, la réalisatrice se montrant subtile en en faisant à la fois un cadre d'ennui domestique mais aussi de respiration bienvenue face à la dinguerie de Charlie.

Le ton sautillant de l'ensemble n'empêche pas une vraie profondeur, mais il évite complètement la sinistrose d'un kitchen sink drama, notamment le cafardeux Un amour pas comme les autres de John Schlesinger sorti l'année précédente. Les barrières morales insurmontables que l'on trouvait dans ce dernier (peut-être du fait de se dérouler en province quand le film de Joan Littlewood se passe à Londres) semblent absentes ici, où la bigamie "involontaire" de Maggie est connue et acceptée de tous sans jugement, où les jeunes gens flirtent ouvertement (la jeune nièce jouée par Barbara Ferris et ses deux prétendants, sources de quelques situations amusantes) sans le regard moralisateur des adultes. Tout cela est symbolisé par le personnage de Maggie, jouée avec une fougue sexy et candide de tous les instants par Barbara Windsor, qui sera d'ailleurs nominée aux BAFTA pour sa performance. L'alchimie fonctionne idéalement avec James Booth, tout en moments tendres maladroits et bons mots complices, notamment la très belle scène des premières retrouvailles au pub. Un film très plaisant donc et si subtilement mené que l'issue reste incertaine jusque dans les derniers instants, sans qu'un choix constitue forcément un happy-end ou un drame d'ailleurs. Une tranche de vie cockney (dont le respect du slang en fera la première production anglaise sous-titrée lors de sa sortie au Etats-Unis) qui met de bonne humeur.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 27 novembre 2020