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Critique de film
Le film
Affiche du film

Sous le ciel de Paris

L'histoire

Pendant une journée, on se balade dans les quartiers de la capitale où l'on croise sept personnages : une vieille dame qui cherche soixante francs pour nourrir ses chats ; un ouvrier coincé un jour de grève alors qu'il doit fêter ses vingt-cinq ans de mariage ; un sculpteur assassin ; une jeune provinciale ingénue qui débarque à la capitale pleine de rêves en tête et retrouve sa copine d'enfance devenue mannequin ; une écolière qui fait une fugue avec un poulbot ; un étudiant qui craint de rater pour la quatrième fois son examen d'entrée à l'internat de l'Hôtel Dieu. On les suit, les perd, les retrouve et eux-mêmes voient leurs destins se croiser...


Analyse et critique

On l'a vu de chronique en chronique, Julien Duvivier n'aime rien tant qu'innover. Se lancer un pari technique, s'attaquer à un genre inédit pour lui, explorer les possibilités du langage cinématographiques sont autant de moteurs venant constamment nourrir son envie de cinéma. Avec Sous le ciel de Paris, il prend pour personnage principal de son film une ville, utilisant une série d'historiettes presque comme excuse pour s'offrir une balade dans la capitale. Le tournage s'effectue en grande partie dans les rues de Paris, Duvivier nous promenant de Ménilmontant aux quais de Seine, de Montmartre aux entrepôts de Bercy. Dès l'ouverture, Paris s'impose comme l'héroïne du film. Un lieu où tout est possible, où toutes les histoires peuvent s'imaginer et advenir. La caméra flotte au-dessus de la capital qui s'éveille. Elle s'approche, agile, vole de rue en rue, glisse sur les toits, s'insinue par les velux tandis qu'une voix off nous présente les personnages qui vont être touchés par le destin lors d'une journée comme les autres.


« Paris dort dans les bras de la Seine. Paris dort et les parisiens rêvent (…) ils ne se doutent pas que le destin pense à eux... ». Le commentaire, écrit par Henri Jeanson, se fait d'ailleurs fort insistant sur les facéties du destin. Il s'avère également très naïf dans sa manière de chanter Paris et involontairement ironique tant il accumule les poncifs. Envahissant et lourd, fier de ses jeux de mots, ce commentaire constitue la grande faiblesse du film. Plus encore que l'artificialité de la construction, inhérente même au projet. Car malgré tout le talent de Duvivier, Sous les toits de Paris peine quand même à dépasser son cadre de film choral.

« Je ne sais pas si c'est un bon signe, mais c'est un des rares films que je peux supporter de revoir après y avoir longuement travaillé (…) je le trouve plus subtil, plus nuancé, plus profond que beaucoup de mes films précédents » déclarait Duvivier dans la revue Opéra. Son co-scénariste René Lefevre ne partageait pas ce sentiment et se disait très déçu du résultat. Il ne retrouvait pas dans le film l'humour et la légèreté qu'il avait mis dans le scénario et reprochait au cinéaste un penchant trop marqué pour la noirceur.


De fait, Duvivier tire le meilleur des segments dramatiques et noirs alors que les parties plus légères et romantiques s'avèrent les plus faibles du film. Les ouvriers en grève qui attendent en silence d'être délogés par la Garde républicaine, la frayeur de la petite Colette perdue dans les entrepôts de Bercy, l'assassin qui arpente un Paris nocturne, poursuivi par son obsession criminelle... autant de séquences fortes portées par des visions assez fulgurantes. Duvivier lorgne même du côté du film noir américain et de l’expressionnisme (les pulsions de l'assassin font forcément penser à M le maudit) lors des séquences mettant en scène le criminel, jouant sur des cadrages obliques, les perspectives, les ombres, et proposant même une surprenante fuite en caméra subjective.


Si Duvivier s'amuse de quelques exercices de style, il travaille à d'autres moments sur un réalisme assez cru : des vieux à la soupe populaire, des clochards échangeant une bouteille de vin sur un quai, des ouvriers en grève. Il force même le réalisme jusqu'à mettre en scène une impressionnante opération du cœur. C'est grâce à un neveu spécialisé dans les films scientifiques que Duvivier a la possibilité de filmer une véritable intervention et l'on imagine le plaisir qu'a pu prendre le cinéaste à enregistrer les images les plus réalistes qui soient. Des images au plus près de la vie et de la mort, le film montrant en gros plan les mains du chirurgien venant réanimer un cœur qui vient de s'arrêter. Cette recherche de réalisme se retrouve également dans le choix de Duvivier de faire appel à des têtes inconnues pour son casting, prenant le contre-pied complet de ce qui lui avait imposé la 20th Century Fox pour Six destins. Le film gagne énormément en vérité, mais l'interprétation approximative ou maladroite de certains acteurs fait échouer quelques séquences. On retiendra tout de même les interprétations intenses de Daniel Ivernel et Christiane Lénier.

A ce versant réaliste du film, Duvivier oppose des visions touristiques et enchantées, comme ces mannequins habillées par Christian Dior qui posent pour des photographies de mode dans des décors somptueux. Filmer Paris, c'est forcément filmer des contrastes. Duvivier l'a bien saisi et sa mise en scène n'arrête pas d’évoluer - élégante, abrupte, onirique, cauchemardesque, légère, grave - en fonction des enjeux de chacune des séances. Un effet patchwork parfois déroutant mais qui donne son réel sens au film. Il utilise ainsi tous les outils à sa disposition : jeu sur les sons, montage de plans courts, mouvements de caméra lents ou rapides, jump cuts, gros plans, profondeur de champ. Sans son savoir-faire et sa parfaite connaissance du langage cinématographique, on peut parier que le film n'aurait pas dépassé les faiblesses du scénario initial, du texte de Jeanson et d'une partie de l'interprétation.


Le film ne cesse ainsi de passer d'une ambiance à une autre, d'un genre à un autre, parfois même au sein d'une même séquence. Comme ces noces d'argent fêtées sur la pelouse face à l'usine en grève qui sont comme une parenthèse enchantée alors qu'en arrière-plan gronde le conflit social. Une séquence presque bucolique, bercée par un trio de musiciens (1) qui montre la joie simple d'une famille heureuse d'être ensemble. Mais ces scènes plus légères, Duvivier les met en boîte presque mécaniquement. Elles ne semblent pas l'intéresser, il n'y croît pas vraiment et cette posture fait comprendre les remontrances de René Lefevre. C'est lorsqu'il y a du drame que Duvivier se réveille et cette scène de repas prend une toute autre dimension lorsque la police intervient et y met brutalement un terme. Duvivier préfère toujours le tragique à l'anodin, la gravité à la légèreté. L'air de rien, il entraîne le film dans cette direction et Sous le ciel de Paris, qui débute de manière plutôt poétique et presque anecdotique, se charge peu à peu de drames et gagne en profondeur. On se retrouve au final avec un film bancal, parcouru de tensions et de contradictions. On imagine très bien chacun des scénaristes tirer le film à lui (2) et l'on peut se satisfaire que Duvivier ait remporté la joute la plupart du temps. Car au-delà de son talent de metteur en scène, c'est bien sa vision qui permet à Sous le ciel de Paris de dépasser le simple exercice de style.


(1) Ils interprètent la chanson éponyme du film. Ecrite par Hubert Giraud et Jean Dréjac et chantée par Jean Bretonnière, elle deviendra un tube discographique. Ce succès populaire sera encore relancé avec l'interprétation qu'en fera Edith Piaf en 1954.
(2) On peut imaginer qu'Henri Jeanson, témoin de la joute, et Duvivier aient trouvé dans cette collaboration difficile matière à écrire La Fête Henriette. qui raconte justement la bagarre entre deux co-scénaristes s'opposant lors de l'écriture d'un film.
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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 28 octobre 2016