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Critique de film
Le film
Affiche du film

Roughshod

L'histoire

1893 au Nevada. Trois hommes, avec à leur tête l’inquiétant Lednov (John Ireland), viennent de s’évader de prison et de tuer trois pauvres bougres afin de leur prendre leurs vêtements. Lorsque Clay Phillips (Robert Sterling) apprend la nouvelle, il décide immédiatement de se rendre en Californie où sa famille possède un ranch et où il espère amener à bon port une dizaine de ses chevaux. Il ne souhaite pas s’éterniser dans le coin pour la simple et bonne raison que c’est lui qui a livré Lednov à la justice pour avoir tué son meilleur ami et qu’il est persuadé que ce dernier va chercher à se venger. Il part donc pour Sonora avec son jeune frère Steve (Claude Jarman Jr). En cours de route, ils croisent le chemin d’un groupe de quatre Saloon Gal chassées de la ville d’Aspen où elles ‘officiaient’, bien décidées à ouvrir une nouvelle ‘maison’ en Californie. Parmi elles, Mary Wells (Gloria Grahame) qui n’est pas insensible au charme du beau ténébreux qui accepte de les escorter à bon port mais avec certaines réticences, notamment morales. Le voyage ne sera pas de tout repos, car, comme le pressentait Clay, Lednov a bien décidé de lui faire la peau quitte à semer des cadavres sur son passage…

Analyse et critique

Roughshod sera l’unique western du cinéaste d’origine canadienne, Mark Robson. Embauché à la RKO au début des années 40, il travailla aux côtés de Robert Wise et Orson Welles puis fut lancé dans la mise en scène par Val Lewton qui lui confia la direction de The Seventh Victim (1943) puis de Isle of Dead (1945), devenus depuis de petits classiques du film fantastique. Au vu de son talent et grâce aux succès honorables qu’eurent ses premières œuvres, les dirigeants du studio lui donnèrent à diriger des films plus prestigieux. C’est ainsi qu’en 1949, il réalise Le Champion (Champion), l’un des premiers grands films de boxe avec en tête d’affiche Kirk Douglas et Arthur Kennedy. La même année, il signait non moins que trois autres films : My Foolish Heart avec Susan Hayward et Dana Andrews, Home of the Brave qui abordait le thème du racisme ainsi que ce western mineur mais non déplaisant qu’est Roughshod. Ce dernier narre l’histoire toute simple de deux frères partis vendre leurs chevaux en Californie, se retrouvant devoir convoyer quatre saloon Gal s’y rendant aussi, le petit groupe étant poursuivi par trois évadés cherchant à se venger de l’homme qui les a envoyé en prison, en l’occurrence l’un des deux frères.

Deux cow-boys dont un adolescent, trois dangereux bandits, quatre ‘filles de mauvaises vies’ (car il s’agit bien de cela et non seulement de danseuses comme elles sont pudiquement présentées dans le film) : voici l’équation assez simple issue du scénario de Daniel Mainwaring (le réjouissant The Big Steal - Ca commence à Vera Cruz de Don Siegel la même année) et Hugo Butler. Les trois évadés ne sont pas vraiment dessinés comme des personnages mais comme une abstraite représentation du mal. D’ailleurs, on se demande même à la fin du film si nous avons vu le visage de deux d’entre eux tellement nous serions incapables de les reconnaître. Seul John Ireland est mémorable, non pour sa description psychologique pas plus fouillée que celle de ses complices (il ne s’agit que d’un tueur sans scrupules, cruel et violent), mais pour son inquiétant visage dont Robson se joue avec délectation lors des quelques séquences le mettant en scène. Alors qu’il avait un peu de mal à porter sur ses épaules l’imposant rôle principal qu’il avait dans I Shot Jesse James de Fuller quelques mois auparavant, il s’avère bien plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’endosser la défroque d'un personnage de second plan, et notamment un 'Bad Guy'. Il n’est ici que le symbole d’une extrême violence, violence pourtant très ténue au cours du film contrairement à ce qu’on aurait pu penser au vu de la fulgurante séquence pré-générique montrant le meurtre de sang froid de trois hommes uniquement pour leur voler leurs habits. Elle n’explosera ensuite qu’à une seule autre reprise, au cours d’une scène se situant vers la fin du film, celle où l’on voit les bandits violenter un couple pour avoir des informations sur l’homme qu’ils recherchent, tournée en gros plans très serrés d'une grande modernité et en tout cas d'une formidable puissance.

Les quatre femmes se disperseront au fur et à mesure de l’avancée du ‘voyage’, vers une délivrance amoureuse ou familiale pour deux d’entre elles alors qu’une troisième ne s’en sortira pas aussi bien, son issue se révélant bien plus tragique. Seul le personnage interprété par Gloria Grahame sera présent jusqu’au bout ; c’est d’ailleurs sur elle que s’appesantissent surtout les scénaristes, faisant d’elle le protagoniste le plus fouillé, une femme forte mais néanmoins blessée par le fait d’avoir été ‘bannie’, doutant et pas spécialement fixée sur ce qu'elle veut faire de son avenir : refonder une ‘maison’ qu’elle dirigerait ou bien trouver l’homme de sa vie auprès duquel elle pourrait finir paisiblement sa vie. Gloria Grahame, au début de sa carrière, s’avérait déjà excellente actrice et l’on peut regretter qu’elle n’ait pas persévéré dans le western. La prestation de Robert Sterling est également une bonne surprise et nous rend également attachant cet homme attiré par la danseuse tout en repoussant ses avances pour des questions d’ordre moral ; cette réaction rendra dubitatif son jeune frère qui, s’étant pris d’une affection filiale pour cette femme qui lui apprend à lire, n’acceptera pas que son ainé refuse son amour et le lui reprochera violemment. Le petit frère, c’est le Jody de The Yearling (Jody et le faon) qui tournera la même année que ce western dans un film remarquable, toujours de Clarence Brown, L’intrus (Intruder in the Dust). Il s'agit bien évidemment Claude Jarman Jr que l’on retrouvera l’année suivante dans le rôle du fils du couple John Wayne/Maureen O’Hara dans Rio Grande. Comme ses aînés, lui aussi nous offre une bonne interprétation.

D’ailleurs, la direction d’acteur est assez originale ; il semble qu’il ait été donné comme consignes aux comédiens de parler sans jamais hausser la voix et de ne surtout pas trop en faire ; ce qui amène une certaine douceur de ton et une sorte de sérénité à cette histoire se déroulant quasiment toute sa durée en extérieurs et faisant la part plus belle aux dialogues et aux relations entre les personnages qu’à l’action finalement restreinte à quelques rares séquences dont la fusillade finale plutôt bien faite. Signalons un ample et beau thème musical de Roy Webb accompagnant l’avancée du convoi ainsi que des paysages montagneux très bien utilisés. Si l’ensemble se révèle donc assez attachant et jamais ennuyeux, le scénario manque un peu trop d’épaisseur et d’enjeux dramatiques, la mise en scène d’ampleur et d’idées pour que le film arrive réellement à décoller, ne dépassant ainsi jamais le stade de l'honnête série B. Au final, loin d’être mémorable mais pas désagréable grâce à un ton pondéré, une absence de bruit et de fureur que son titre semblait pourtant vouloir annoncer, Roughshod se traduisant par ‘sans ménagement’.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 12 août 2021