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Critique de film
Le film
Affiche du film

Quinze jours ailleurs

(Two Weeks In Another Town)

L'histoire

L'acteur Jack Andrus vient de séjourner trois ans en "maison de repos", suite à des crises d'alcoolisme répétées l'ayant mené à des excès. Il reçoit un télégramme de son ami, le réalisateur Maurice Kruger : celui-ci l'invite à passer quinze jours à Rome, sur le tournage de son nouveau film. Andrus s'y rend, pensant obtenir un rôle important. Mais Kruger, le jugeant imprévisible, ne lui confie qu'un modeste travail...

Analyse et critique

Quinze Jours ailleurs est souvent considéré comme une suite officieuse ou du moins une variation sur le même thème par Vincente Minnelli des Ensorcelés, réalisé dix ans plus tôt. Dans Les Ensorcelés, Minnelli signait une sorte de photographie magnifiée et lucide du Hollywood d’alors, inspirée de scandales bien réels qui avaient secoué l’usine à rêve ainsi que de figures authentiques dont un Kirk Douglas situé au croisement de Darryl Zanuck et David O Selznick. Aussi torturés et complexes dans leur quotidien que magnifiés et brillants dans l’expression de leur art, les personnages y renaissaient cependant toujours de leur cendres dans une célébration du fameux "The show must go on", notamment dans la belle scène finale.

Dix ans plus tard, Hollywood a subi bien des changements et le constat qu'effectue Quinze Jours ailleurs se veut plus amer. On pourrait comparer la différence entre les deux films de la même façon qu'entre Sunset Boulevard et Fedora de Billy Wilder, avec l'idée que le traitement d'un thème similaire par un même auteur à des stades différents de sa vie et de sa carrière donne un résultat bien opposé. Pour Wilder cela se manifestait par un intrigue référentielle posant un regard noir sur Hollywood à travers des destins brisés pour les déchus de l'industrie - avec la pathétique Gloria Swanson. Fedora développait une idée semblable sauf que cette fois le réalisateur sur le déclin s'identifiait plus à ses fossiles inadaptés, ce qui donnait un tout autre film. Dans un premier temps on peut penser que Quinze jours ailleurs suit cette voie avec une vision qui semble plus sombre et désespérée en tous points que The Bad and the Beautiful, la couleur et le CinemaScope marquant d'emblée la différence.

Kirk Douglas, une vraie force de la nature dans le film de 1952, est ici un homme psychologiquement fragile dont la carrière a été stoppée par des excès divers et les déconvenues conjugales avec son ex-épouse Carlotta (Cyd Charisse). L'appel de son vieil ami réalisateur Kruger (Edward G. Robinson) le convoquant sur un tournage semble être l'ultime chance de le relancer. Ce déplacement du cadre en Europe est également un symbole d'une magie disparue. Le système des studios de l'âge d'or amorce déjà sa chute avec une manière de faire des films qui évolue, emportant avec elle toute une culture et un certain type d'artistes. Le producteur exalté incarné par Kirk Douglas dans Les Ensorcelés laisse place ici à un nabab sans vision et uniquement préoccupé par les dépassements de budget. Là encore, une réalité amère se révèle : des producteurs d'autrefois qui, même dans l'erreur et l'abus de pouvoir, cherchaient malgré tout à délivrer le meilleur film possible font aujourd'hui place à des mécènes qui ont le seul profit comme motivation.

Le personnage d'Edward G. Robinson traîne son spleen et réalise sans entrain cette commande pour survivre financièrement dans ce milieu qu'il ne reconnaît plus. Le summum de cette nostalgie et de cette mélancolie est atteint lors de la scène où tous les personnages sont installés en projection pour regarder un extrait des Ensorcelés, emblématique de cet âge d'or. Si cette facette nostalgique est incontestablement présente, on aurait tort d'y résumer le propos du film qui est bien plus tourné vers l'avenir qu'il n'y paraît. Les Ensorcelés est un film qui n'existe que par et pour le cinéma, par la manière stylisée qu'a Minnelli de raconter son histoire et par les liens des personnages qui se désagrègent dès qu'ils s'échappent du milieu. Quinze jours ailleurs est bien différent ; hormis la scène de tournage à l'arrivée de Kirk Douglas en début de film, la première heure est totalement dépourvue des nombreux passages décrivant l'envers du décor qui truffent Les Ensorcelés.  A la place, une narration bancale et laborieuse montre l'errance mentale de Jack Andrus (Kirk Douglas), le couple brisé d'Edward G. Robinson et la nature autodestructrice de l'espoir déçu joué par George Hamilton. The Bad and the Beautiful voyait ses héros s'élever au sommet de la profession mais rater tout le reste, à l'inverse ici Minnelli les force à se reconstruire pour redevenir ce qu'ils ont été ou aspirer à devenir ce qu’ils pourraient être.

Pour Kirk Douglas, ce sera une belle histoire d'amour avec une jeune italienne (superbe Dahlia Lavi) qui va refréner ses angoisses, et Vincente Minnelli de délivrer de radieuses séquences romantiques dans une Rome entre fantasme et réalité bruyante. Le plus beau moment dans cette veine serait sans doute celui où Douglas, ébranlé par un appel de son ex-femme (Cyd Charisse, d'une sensualité décadente et ravageuse), constate, alors qu'il la croyait partie, la présence de Dahlia Lavi dans sa chambre. Celle-ci en un regard tendre l'apaise et ne quittera plus la pièce. Pour George Hamilton, on a des séquences miroir des Ensorcelés où Douglas tente de relancer sa star en le provoquant à la manière de Lana Turner poussée dans ses derniers retranchements. Cela se fera en deux temps : Douglas encore trop friable échoue au départ, puis la confiance en lui retrouvée ranime la flamme chez son interprète.

Pour un film supposé tourné vers le passé, c'est pourtant celui qui en est le plus représentatif qui s'avérera le personnage le plus négatif avec Edward G. Robinson. Douglas ragaillardi, l'ode au cinéma peut reprendre ses droits lors de splendides scènes de tournage ; et contrairement aux désirs d'un seul homme dans Les Ensorcelés, l'avancée du travail se fera désormais sous le signe de la collaboration collective. Kirk Douglas sera en dix ans passé du démiurge tout-puissant et tyrannique à l'aspirant réalisateur qui fait confiance à son équipe, faisant part de ses doutes (tout en sachant cajoler ou coller un coup de pied aux fesses de sa star féminine capricieuse) et s'assurant ainsi la confiance de tous. Le double du Jonathan Shields des Ensorcelés, c'est finalement Robinson et son attitude ambivalente, éveillant le talent ignoré de Douglas pour la réalisation mais prêt à le broyer de son lit d'hôpital quand il voit les lauriers et le pouvoir lui échapper.

Le film s'avère passionnant par ce retournement thématique magistral et finalement logique puisque contrairement à Billy Wilder sur Fedora, Minnelli est lui encore en pleine possession de ses moyens et signe même cette même année 1962 l'excellent Les Quatre cavaliers de l'Apocalypse. Quinze jours ailleurs est donc aussi réussi que son prédécesseur mais d'un abord plus difficile par cette extravagance dans la noirceur, comme le plan séquence cathartique dans la voiture qui renvoie à la même scène traumatisante avec Lana Turner dix ans plus tôt. La différence entre la finalité des deux scènes visuellement proches est aussi celle entre les films aux thèmes faussement identiques. En 1962 Kirk Douglas roule à toute allure pour définitivement se débarrasser de ses démons quand Lana Turner fait de même pour s'abandonner à eux. En 1952 le cinéma était plus grand que la vie, et dix ans plus tard Vincente Minnelli nous rappelle que c'est aussi et surtout grâce aux hommes (et non plus l'homme, la tirade de Douglas à George Hamilton lui disant de ne plus dépendre de personne et de croire en lui) qui s'y adonnent avec passion.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Portrait de Minnelli à travers ses films

Par Justin Kwedi - le 14 mai 2013