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Critique de film
Le film
Affiche du film

Que le meilleur l'emporte

(The Best Man)

L'histoire

Le parti du Président américain se réunit en convention afin de choisir quel sera le candidat pour la prochaine élection. Cinq hommes se présentent mais deux seulement sont favoris : William Russell (Henry Fonda) est un intellectuel issu de l’élite et semble le mieux armé pour l’emporter. Mais face à lui se dresse Joe Cantwell (Cliff Robertson), outsider proche du peuple et prêt à tout pour renverser la tendance. Pour arbitrer ce duel, le Président Hockstader (Lee Tracy) doit jouer un rôle prépondérant en apportant son soutien à l’un des deux prétendants...

Analyse et critique

En 1964, Franklin J. Schaffner réalise Que le meilleur l’emporte. Adapté d’une pièce de théâtre, le film décrit une convention des primaires aux USA avec en point d’orgue, la nomination du candidat du parti du président pour l’élection de novembre. Œuvre politique par excellence, Que le meilleur l’emporte (The Best Man en version originale) s’inscrit dans une grande tradition du cinéma hollywoodien. Une tradition qui voit le monde du spectacle s’emparer de la sphère politique afin d’en faire l’apologie, la critique, ou simplement d’en décrire les rouages. A la différence du cinéma français, Hollywood s’est toujours intéressé à la politique et continue de le faire avec entrain, en particulier depuis les évènements du 11 septembre 2001. De Abraham Lincoln (D.W. Griffith, 1930) à W. (Oliver Stone, 2008), il existe un nombre incalculable de films relatant les grandes phases de l’histoire politique américaine ou utilisant le décor politique à des fins de fictions. Parmi ces œuvres, citons Vers sa destinée (1939), véritable chef-d’œuvre dans lequel John Ford décrit avec lyrisme la prise de conscience politique du jeune Abraham Lincoln. La même année Frank Capra signe également une pièce maîtresse du genre, bien que totalement dans la fiction, avec Monsieur Smith au Sénat. Henry King réalisera lui aussi un maître étalon du film politique avec Adieu jeunesse en 1941. Nous pourrions ainsi dresser une liste impressionnante d’œuvres s’accaparant cet univers avec brio. Toutefois, il faudra attendre les années soixante et Tempête à Washington (Otto Preminger, 1962) pour voir le premier film décrivant avec précision et réalisme le fonctionnement du système exécutif américain. Avec son sens aigu de l’analyse, Preminger pose alors un regard d’une rare acuité sur les rouages du Congrès et signe certainement le film politique "ultime", une œuvre à la fois dense, exhaustive, et où son sens du détail et sa maitrise de la mise en scène atteignent des sommets. Tempête à Washington marque alors un véritable virage dans la perception de la politique au cinéma. Un virage qui mènera le cinéma américain vers une représentation à la fois réaliste et critique de la politique. Pendant les années 60 et 70, cette critique se nourrira des nombreux évènements qui viendront émailler l’actualité américaine et mondiale. La Guerre Froide, le Vietnam, les assassinats des frères Kennedy, Martin Luther King et Malcolm X ou le Watergate seront autant d’éléments d’inspiration pour de nombreux dramaturges. La littérature, la musique, le théâtre et le cinéma deviennent alors le vecteur d’une prise de conscience politique collective. Et il suffit de citer quelques chefs-d'œuvre du septième art parmi lesquels Un crime dans la tête (John Frankenheimer, 1962), Les Trois jours du Condor (Sidney Pollack, 1975), ou encore Les Hommes du président (Alan J. Pakula, 1976) pour illustrer la vitalité de ce genre cinématographique pendant ces deux décennies.

Figurant parmi les précurseurs de ce mouvement, Que le meilleur l’emporte décrit de façon détaillée le fonctionnement du système politique américain et se rapproche en de nombreux points de Tempête à Washington. Si le film de Preminger détaille le fonctionnement de la "machine" politique après la nomination d’un nouveau secrétaire d’Etat par le Président, The Best Man s’intéresse pour sa part aux rouages qui mènent à la nomination du candidat à la présidentielle d’un parti. Dans les deux cas, l’action n’est pas menée par un seul homme ou par un quelconque groupe, mais par un nombre incalculable de protagonistes. Chacun de ses films montre ainsi la complexité du système exécutif dans une démocratie comme celle des Etats-Unis. Autre point commun avec le film d’Otto Preminger, Que le meilleur l’emporte est l’adaptation d’une pièce jouée à Broadway en 1960. Tempête à Washington fut d’ailleurs mise en scène sur les planches par le réalisateur auquel nous nous intéressons ici, Franklin J. Schaffner. Avec pas moins de 520 représentations, Que le meilleur l’emporte connut pour sa part un véritable succès. Comme le rappelle Bertrand Tavernier dans le documentaire qui accompagne le DVD édité par Sidonis, l’auteur de la pièce, Gore Vidal, était un passionné de politique. Cousin éloigné de Jimmy Carter et issu d’une famille démocrate engagée, Vidal brigua sans succès un poste de représentant dans le district de Hudson River en 1960. Avec Que le meilleur l’emporte, il signe une œuvre décrivant avec précision et modernité les mécanismes d’une convention de parti aux USA. Documentée et réaliste, sa pièce fait preuve d’une finesse de dialogue aigue et d’une connaissance des coulisses de la politique approfondie. Ainsi Vidal met le doigt sur quelques non-dits de la politique américaine des années 60. Des non-dits qui aujourd’hui ne choquent plus mais qui, à l’époque, pouvaient surprendre. Vidal montre en particulier le rôle prépondérant joué par le couple présidentiel et l’image de mari parfait que doit donner le candidat. Il met également en avant les moyens de pression utilisés pour obtenir le pouvoir avec notamment la recherche de chaque faux pas commis par l’adversaire depuis sa plus tendre jeunesse. Et, comme le montre le récit, cette recherche, pour le moins répugnante, donne ensuite lieu à des négociations de couloir qui pouvaient certainement paraître incongrues aux citoyens américains des années 60. Ici, Vidal désacralise totalement l’activité politique et n’hésite pas à égratigner l’image du Président. Un Président sur le déclin, malade, alcoolique, et des candidats à sa succession dont certains sont prêts à toutes les bassesses pour arriver à leurs fins.

Lorsque la United Artists décide d’adapter la pièce, elle fait appel à un jeune cinéaste, fraîchement débarqué de la télévision, Franklin J. Schaffner. Agé de 44 ans, Schaffner n’a alors réalisé qu’un seul film pour le grand écran, The Stripper avec Joanne Woodward. Juriste de formation et vedette de la télévision, Schaffner est à cette époque réalisateur d’émissions à succès (Studio One) ou d’adaptations pour le petit écran (Peter Ibbetson, 12 hommes en colère). Mais il avait également une autre casquette et non des moindres puisque jusqu’à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, il est à la fois son conseiller télévisé et le responsable de toutes ses apparitions TV. Schaffner est donc un fin connaisseur du système politique et il n’est guère étonnant que la United Artists lui confie la réalisation de Que le meilleur l’emporte. Si Franklin J. Schaffner marquera ensuite l’histoire du cinéma avec La Planète des singes réalisé en 1968 et Patton en 1970, il fait déjà preuve de talent lorsqu’il adapte la pièce de Gore Vidal. Un talent qui n’est pas celui d’un auteur au sens "nouvelle vague" du terme, mais un talent de mise en scène où son sens du détail et sa maîtrise de l’espace, associé à l’intérêt qu’il porte à ses personnages, lui confèrent un savoir-faire d'une très grande qualité.

Avec Que le meilleur l’emporte, Franklin Schaffner transpose avec intelligence la pièce de théâtre sur grand écran. Si la profusion des dialogues et la recherche de "bons mots" de Vidal nous rappellent parfois que nous assistons à l’adaptation d’une pièce, Schaffner a su s’éloigner de la théâtralité du texte de Vidal et donner une dimension cinématographique à son film. Par exemple, il n’hésite pas à multiplier les lieux où se déroule l’intrigue et fait ainsi un parallèle entre la complexité de la machine politique et celle du centre hôtelier qui abrite la convention. Schaffner utilise également des "stock shots" filmés lors de conventions de partis afin d’illustrer son récit et accroître son réalisme. On remarque aussi que le montage est extrêmement dynamique avec notamment ces scènes pendant lesquelles les candidats s’adressent au public avec une utilisation du champ/contre-champ particulièrement rapide (orateur/foule). Et si les deux protagonistes principaux du film sont de superbes orateurs, la foule qui les écoute est quant à elle extrêmement réactive. Schaffner le montre notamment en plaçant des caméras équipées d’objectif grand angle en plein milieu du public afin de capter aux mieux un maximum d’expressions. Et si ces séquences sont le fruit d’une mise en scène élaborée, elles laissent pourtant une impression de réel évidente. Il est clair qu’à ce niveau Schaffner a su recréer pour le cinéma des prises de vues maintes fois réalisées lorsqu’il filmait les interventions de Kennedy devant un public. Et le réalisateur multiplie les effets de mise en scène avec pour objectif de retranscrire au mieux l’ambiance de la convention. On observe par exemple une utilisation très marquée de la profondeur de champ. Schaffner montre ainsi ses protagonistes dans un premier plan, tandis que l’arrière-plan met en évidence d’autres discussions, d’autres hommes et femmes eux aussi à l’œuvre au sein de cette grande machinerie politique. Et en donnant du mouvement et de la vitesse à ses prises de vues, il met en avant l’urgence avec laquelle chaque candidat doit agir. Afin d’accentuer ce sentiment, il utilise de nombreux figurants en arrière-plan, et même en premier plan, et donne l’impression que les protagonistes sont plongés au cœur d’une arène de discussions, une sorte de République ancrée en plein milieu de la société américaine. Schaffner offre alors au spectateur une impression de vitesse et d’empressement qui est pour beaucoup dans la modernité du film.

Côté interprétation, Que le meilleur l’emporte est un véritable régal. Avec Henry Fonda, Lee Tracy et Cliff Robertson, le film est doté d’un trio de comédiens absolument remarquables. Pour interpréter le personnage de Bill Russell, il n’y avait certainement pas de meilleur choix que celui de Fonda. Russell est un homme intelligent, intègre, il refuse les coups bas et il a une haute estime de la politique. Fonda connaît sur le bout des doigts ce type de personnages dont la moralité est mise à rude épreuve. Il l’a interprété à maintes reprises, que ce soit dans la peau du Président américain (Vers sa destinée de Ford en 1939), d’un candidat au secrétariat d’Etat (Tempête à Washington, 1962) ou d’un homme du peuple (Tom Joad dans Les Raisins de la colère de John Ford en 1940). Si plus tard, il montrera son côté sombre devant la caméra de Sergio Leone (Il était une fois dans l’Ouest, 1968), il garde encore à cette époque une forme de pureté virginale. Grâce à son regard rempli de sagesse, mais également à la douceur de sa voie et à l’élégance naturelle de chacun de ses mouvements, il impose une forme d’idéalisme absolu à son personnage. Un homme avec une attitude et un mode de pensée inscrits dans une moralité trempée dans l’acier. Mais une moralité qui commence déjà à paraître quelque peu désuète dans l’Amérique des années 60 et qui convient en tous points au personnage de Bill Russell.

A ses côtés, Cliff Robertson joue le rôle de Joe Cantwell. A la fois inspiré de Robert Kennedy et de Richard Nixon, Cantwell est à l’image de l’homme politique moderne des années 60. Très proche du peuple, il adapte ses discours et ses actions avec pour seul but de séduire le plus grand nombre. A la limite du populisme, Cantwell ne cherche pas à élever le débat mais s’en remet à toutes les postures et coups bas possibles afin d’obtenir le pouvoir. Ainsi, il n’hésite pas à jouer sur la peur de ses électeurs ni à provoquer le scandale pour arriver à ses fins. Cantwell a parfaitement compris qu’avec l’avènement de la télévision, il doit séduire à tout prix. Robertson incarne ce personnage avec rage et détermination. Nerveux, violent, pressé et déterminé il est à l’exact opposé d’Henry Fonda et semble annoncer l’homme politique des décennies à venir que ce soit aux USA, en France, en Italie ou ailleurs…

Enfin, ce duel est arbitré par le Président en place, Art Hockstader, interprété par un Lee Tracy absolument savoureux. Le comédien, qui tenait déjà ce rôle lors des représentations de la pièce à Broadway, incarne ici un personnage complexe. Un homme à la fois soucieux de sa succession, effrayé par la maladie qui le ronge: et d’une intelligence politique très fine. Tracy, qui était une star au temps du cinéma muet, est idéal pour ce rôle auquel il apporte à la fois naturel, vivacité et malice. Il fut d’ailleurs nominé pour l’Oscar du meilleur second rôle qui malheureusement lui échappa au profit de Peter Ustinov dans Topkapi de Dassin. C’était d’ailleurs le dernier rôle de Lee Tracy sur grand écran avant que la maladie ne l’emporte quatre années plus tard...

Adapté d’une pièce de théâtre remarquable, Que le meilleur l’emporte est un des films politiques les plus intéressants qu’il nous ait été donné de voir. Mise en scène avec beaucoup de modernité par Franklin J. Schaffner, ce film au parfum quasi documentaire n’a absolument pas pris une ride. Mieux encore, il paraît en totale adéquation avec le regard que porte aujourd’hui le cinéma ou la télévision sur la politique. Ainsi, les manœuvres politiques de couloir et le réalisme de la réalisation semblent déjà préfigurer des séries comme 24h Chrono ou des films récents tel que W. d’Oliver Stone. Aujourd’hui, cette forme de cinéma politique est extrêmement en vogue. Depuis les évènements du 11-Septembre et plus largement depuis la présidence de George W. Bush, il semble que Hollywood ait décidé de participer à une sorte de (re)prise de conscience collective. Ce mouvement de réaction, que l’on verra peut-être s’essouffler en cas d’investiture de Barack Obama, n’en demeure pas moins passionnant. A l’image de Tempête à Washington, Que le meilleur l’emporte est indiscutablement l’un des grands précurseurs de cette approche moderne de la politique dans le monde du septième art. Une approche que l’on ne peut qu’espérer visionnaire lorsque l’on écoute le personnage du Président, incarné par Lee Tracy, déclarer lors d’un dîner : « Autrefois, on ne pouvait avoir un Président catholique ou juif ou noir. Un catholique peut désormais devenir Président et viendra le jour ou nous aurons un Président juif, noir ou une femme. » On aurait presque envie de lui crier « Yes we can ! »

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Par François-Olivier Lefèvre - le 5 octobre 2008