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Critique de film
Le film
Affiche du film

Pygmalion

(Bernard Shaw's Pygmalion)

L'histoire

Le professeur Henry Higgins, alors qu'il étudie de loin les manières d'une pauvre vendeuse à la sauvette de Piccadilly Circus, parie avec un collègue qu'il peut, en quelque temps et à titre d'expérience, complètement corriger l'allure et le langage de celle-ci, pour en faire une femme de la haute société.

Analyse et critique

Si la comédie musicale My Fair Lady (à la scène et au cinéma) reste désormais la transposition la plus connue de la fameuse pièce Pygmalion de George Bernard Shaw, celle-ci connut une adaptation plus classique avec ce film de 1938. Shaw signe d'ailleurs lui-même le scénario tandis que la mise en scène se partage entre le plus aguerri Anthony Asquith et Leslie Howard dont c'est la première réalisation. Dans l'ensemble le film est très fidèle à la pièce si ce n'est certains personnages secondaires un peu moins développés et la conclusion bien plus sentimentale et romantique que le cynisme de Shaw. On suit donc les aventures de Eliza Doolitle (Wendy Hiller dans son premier rôle cinéma et qui fut aussi la première interprète de Eliza Doolittle sur scène), jeune fleuriste des rues sans éducation qui se voit prise en main sur un pari par le professeur Higgins (Leslie Howard) qui s'est juré de lui donner la prestance et la diction d'une duchesse en six mois.

Le script conserve toute la causticité et l'humour méchant de la pièce à travers le personnage hautain et méprisant de Higgins, magistralement incarné par un Leslie Howard sautillant et rudoyant plus qu'à son tour Wendy Hiller. Cette dernière donne dans un registre à mi-chemin entre le loufoque (hilarante scène où on tente de lui donner un bain) par les manières et le parler rustre de l'héroïne et une dimension plus profonde et intériorisée, qui domine au fil de l'avancée du film et de l'acquisition du savoir par Eliza Doolitle. L'origine théâtrale se ressent clairement par la construction du film obéissant à celle des actes de la pièce et se divisant donc en cinq grandes et longues séquences abordées de manières constamment variées par Asquith. Les deux premiers "actes" (la rencontre farfelue en pleine rue, la mise en place du pari et le début de l'apprentissage) donne ainsi volontairement dans le pur théâtre filmé avec son verbe assassin, le défilé de personnages délirants (Wilfried Lawson d'une vulgarité grandiose en Mr Doolitle) et l'abattage du duo Hiller/Howard, elle en victime ne s'en laissant pas compter et lui en professeur tyrannique et odieux. Les séquences d'apprentissage par leur montage (signé David Lean !) dynamique aux multiples inventions visuelles se chargent donc d'apporter l'énergie empêchant le tout d'avoir un aspect trop figé.

La mise en scène s'enhardit au fil des progrès de Eliza Doolitle et la première hilarante sortie pour un thé, par son jeu des champs contre champs et la disposition des personnages dans l'espace. On constate l'extraordinaire travail effectué sur les intonations et les modulations de voix à travers la prestation de Wendy Hiller et l'impression que donne son personnage pas encore mûr, la diction quasi parfaite désormais exprimant encore des anecdotes vulgaires. L’important n'est pas seulement la manière de dire mais ce qui est prononcé également. Cette nuance se voyant approfondi en conclusion lorsque Eliza fera remarquer à Higgins que c'est autant le regard respectueux porté sur elle que son attitude propre qui en fera réellement un Lady. Wendy Hiller est constamment sur la corde raide du cabotinage et de la caricature mais fait finalement preuve d'une maîtrise surprenante, toujours cette étincelle de mélancolie lorsqu'elle en fait des tonnes en pauvresse ignare et le regard malicieux en coin quand elle donne dans un registre ouvertement dramatique. Tout cela fait merveille dans le sommet du film qu'est la superbe scène de bal où Eliza dégage une grâce et un mystère inattendu qui époustoufle l'assistance. Mais savoir c'est finalement être conscient de sa position et en décalage avec comme elle va le constater lors d'une cruelle séquence où son statut de simple cobaye éclate au grand jour. Le récit passionne lorsqu'il aborde cet entre-deux troublant où se trouve Eliza, trop éduquée pour retourner dans un milieu qui n'est plus le sien, et d'origine trop modeste pour intégrer celui que ses nouvelles manières exige. Wendy Hiller est à nouveau épatante et Howard tout aussi brillant par sa goujaterie suscitant une incompréhension totale des sentiments d'Eliza.

Les derniers échanges désormais d'égal à égal même si tirant un peu trop en longueur sont brillants dans le renversement des forces, le marionnettiste Howard étant totalement dépassé par la vivacité de sa création désormais libre de ses pensées. Le film conserve ainsi toute l'acidité de la pièce tout en ménageant une issue plus romantique attendue lors de la belle conclusion où est néanmoins restée malgré le rapprochement des héros l'audace de ne pas les marier ce qui surpris grandement le public de théâtre à l'époque. Superbe adaptation donc qui exerça d'ailleurs une influence directe sur la pièce puisque tous les ajouts du film (les scènes d'apprentissages, le bal et le phonétiste hongrois qu'on y rencontre) furent intégrés par la suite par Shaw dans les futures représentations de la pièce.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 14 décembre 2021