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Critique de film
Le film
Affiche du film

Psaume rouge

(Még kér a nép)

L'histoire

XIXème siècle, dans la campagne hongroise, des ouvriers agricoles d’une exploitation seigneuriale sont en grève. L’intendant, l’armée, les religieux, essaient de les ramener à la raison. Chantant et dansant, les révoltés parlent d’une nouvelle société, d’une redistribution des richesses… mais tout autour les soldats guettent, prêts à tuer dans l’œuf la rébellion paysanne.

Analyse et critique

Psaume rouge nous raconte l’historie d’une révolte et de son oppression. Film allégorique, nous ne saurons rien du cadre historique des événements ou de leur véracité même. C’est un poème, une métaphore des enjeux politiques qui vont bientôt bouleverser la Hongrie. Le film est composé de longs plans-séquences, vingt-sept au total, extrêmement chorégraphiés. Les enjeux politiques et sociaux sont transmis à l’écran par l’emplacement des personnages et leur mouvements au sein de cette chorégraphie, que l’on pourrait qualifier de chorégraphie sociale. Large profondeur de champs, mouvements de grues, zooms, panoramiques, travellings, se succèdent dans chacun des plans-séquences. Le montage se fait au sein de chaque plan. Jancso crée même des ellipses au sein des plans-séquences, brisant la continuité temporelle qui prévaut dans cette figure de style.

La lutte des ouvriers agricoles passe par la danse et les chants. Des chants partisans ou révolutionnaires de tous les horizons adaptés en hongrois, comme ces variations de La Marseillaise et de Ah ça ira !, ou encore issues du folklore national. La première chose qu’ils ont à opposer au pouvoir, ce sont ces musiques et ces chansons. Face à eux, les soldats, par leur mutisme, représentent un ordre immuable et inhumain. Miklos Jancso effectue un travail considérable sur le son, tout en fondu entre paroles et chants, transitions, juxtapositions. La multiplicité des voix ne devient jamais cacophonie mais grand chœur des opprimés. Ces chants qui naissent du cœur des ouvriers ce sont les psaumes rouges du titre. Jancso fut étudiant en ethnographie, et a toujours manifesté un intérêt pour la musique folkloriques et les chants populaires. Il fit partie d’une « patrouille d’éclaireurs » dont la spécialité était l’étude des chants des villageois.

Les rondes des ouvriers sont porteuses de sens. Elles sont l’expression de leur solidarité, de la communauté qu’ils mettent en place. En face, les rondes des cavaliers sont dénuées de signification. On dirait un ballet sans maître d’œuvre. Les cavaliers passent et repassent, sans fonction, sans but. Les fantassins courent en tout sens, rejoignent les rangs des révoltés, avant de les encercler et de faire feu. Miklos Jacso montre ainsi l’autorité qui défaille, les soldats qui hésitent entre se mettre du côté du peuple et obéir aux ordres. On retrouve de nouveau des femmes dénudées. Mais ici, ce n’est plus le produit d’humiliations subies, de sévices issus de la guerre, mais une volonté farouche de s’opposer au régime. Cette nudité affichée, c’est la liberté brandie, c’est l’uniforme de l’égalité. La lutte des classes, les liens entre le pouvoir et le peuple, sont une obsession du cinéaste. La communauté en est une autre. Miklos Jancso nous emporte dans la joie du combat, de la dignité révélée. En face tous les pouvoirs se relaient pour tenter de mater la révolte. Le « bon sens » de l’intendant, le paternalisme du comte… rien n’y fait. Ce dernier meurt subitement, sans raison, fin d’un monde… « Le vieux qui plante une graine sait qu’il ne verra pas l’arbre, mais que ses petits-enfants le verront ». Si la lutte est mort-née, les ouvriers savent qu’ils s’inscrivent dans l’histoire, portent un courant qui en fera que grandir. La rivière qui se teinte du sang des opprimés, mènera ce sang dans tout le pays l’irriguera de la sève de la révolution. La fin est une véritable splendeur à l’invention visuelle remarquable. Les révoltés se disent adieu et s’embrassent, et dans un même mouvement de caméra qui les caresse, nous découvrons des corps à terre, criblés de balles qui bientôt cèdent la place à de simples habits entachés de sang. Le film obtint le prix de la mise scène au festival de Cannes 1972.

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 28 mai 2006