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Critique de film
Le film
Affiche du film

Prince Vaillant

(Prince Valiant)

L'histoire

Parti de chez lui afin d’intégrer la cour du roi Arthur, pour devenir un chevalier de la Table ronde, le jeune Vaillant rencontre un traître à la cause du roi qui fomente un complot pour envahir l’Angleterre à l’aide de guerriers vikings. Lui-même fils d’un roi viking déchu, il va devenir le principal adversaire de ce mystérieux traître qui va tout faire pour l’éliminer...

Analyse et critique

Un peu moins présent à Hollywood depuis la fin des années 1930, le film d’aventures revient en force au début des années 1950 : le film maritime (Le Corsaire rouge de Robert Siodmak, Le Vagabond des mers de William Keighley, Capitaine sans peur et Le Monde lui appartient de Raoul Walsh...), le film de cape et d’épée (Scaramouche de George Sidney, Le Prisonnier de Zenda de Richard Thorpe...) et bien sûr le film moyenâgeux. Quoiqu’il soit toujours en activité, Errol Flynn vieillit prématurément : il incarne un temps révolu où il était le maître incontesté pour chacun de ces genres-là. Désormais, Burt Lancaster, Stewart Granger, Gregory Peck et d’autres sont les nouveaux tenants d’un genre redevenu très actif. Entre films prestigieux et séries B de consommation courante, le public est en tout cas très demandeur. C’est dans ce contexte que les plus puissants studios hollywoodiens sortent leurs films de chevaliers. La MGM connaît un triomphe avec Ivanhoé et Les Chevaliers de la Table ronde de Richard Thorpe, la Warner ne démérite pas avec La Flèche et le flambeau de Jacques Tourneur. Quant à la United Artists, elle se surpasse avec Les Vikings de Richard Fleischer, qui demeure encore aujourd’hui l’un des plus grands chefs-d’œuvre du genre, frénétique, massif et insurpassable. La 20th Century Fox ne pouvait décemment pas tourner le dos à cette mode appréciée du public, ce qui va l’amener à produire Prince Vaillant en 1954 : un pur produit de ce studio, au visuel grandiose, au budget conséquent et forcément en Cinémascope, le nouveau format de pellicule particulièrement apprécié par la Fox qui va le décliner sur la quasi-totalité de ses productions au cours des années 1950. Adapté d’une bande dessinée, avec un scénario compilant plus ou moins les éléments provenant de sa source, Prince Vaillant sera mis en scène par Henry Hathaway, grand cinéaste alors très en vu à la Fox. Après des succès comme Le Carrefour de la mort, Appelez Nord 777, L’Attaque de la malle-poste, Le Renard du désert ou encore Niagara, Henry Hathaway semble être l’homme de la situation pour réaliser ce grand film d’aventures chevaleresques. Une époque bénie pour ce metteur en scène, puisqu’il nous donnera également la même année ce que l’on peut considérer comme l’un des chefs-d’œuvre absolus du western, Le Jardin du diable (Garden of Evil).

Prince Vaillant est donc une superproduction à l’aura prestigieuse, non dénuée de défauts mais proposant un moment de divertissement étincelant, à l’image de l’épée si brillante de nos chevaliers. Simple, mais solide, le récit s’articule autour du chemin initiatique d’un jeune héros, fils d’un roi viking déchu en exil. Le jeune homme, fougueux et impétueux, sait faire preuve d’agilité et d’adresse, de ruse et d’intelligence, ce qui en fait un aventurier différent parmi les chevaliers de la Table ronde. Incarné par un Robert Wagner, alors encore jeune premier au sein de l’industrie hollywoodienne, le personnage gagne facilement la sympathie du spectateur. Wagner est un acteur très sportif et n’hésite pas à multiplier les exploits physiques, en montant à la corde, en s’agrippant à des leviers, en bondissant dès que l’occasion se présente, tout en maniant parfaitement l’épée. Sa fraicheur et son dynamisme enrichissent un rôle qui s’apparente à une sorte de pré-Luke Skywalker dans Star Wars. Car dans Prince Vaillant, il est avant tout question d’un chemin initiatique, dans lequel le héros, d’abord candide, découvrira les chemins de l’amour courtois, de l’amitié, de la chevalerie et de l’honneur, tout en affrontant les affres de la trahison, pour enfin retrouver un royaume qui est celui de sa famille et gagner son titre de chevalier de la Table ronde.

En près de 100 minutes, ni le scénario ni Henry Hathaway ne perdent une seule seconde, tous deux alignant les rebondissements et les scènes d’anthologie à une cadence soutenue : la course poursuite à cheval de la plage aux marécages, l’arrivée à Camelot, les séquences d’entrainement à l’épée, le tournoi des chevaliers, l’attaque finale du château viking... On ne compte plus les occasions de s’émerveiller devant tant de générosité artistique. La photographie, les effets spéciaux optiques, les décors, les costumes et la beauté de la nature parviennent, sous l’œil expert de Hathaway, à créer une synergie resplendissante, transcendant ainsi littéralement le script. Ce sont plusieurs dizaines de plans absolument remarquables de beauté qui ponctuent régulièrement le récit d’un souffle et d’un lyrisme intacts encore aujourd’hui. La musique surplombe cet ensemble par sa grâce et son énergie, ses violons et ses cuivres, donnant enfin à ce somptueux voyage un tour romanesque épique et très impressionnant. Découvrir Prince Vaillant pour la première fois constitue un voyage étrange et euphorisant. Pour autant, le film bénéficie d’une grammaire si simple et si limpide qu’il ne souffre aucunement d’être vu et revu, bien au contraire. Avec son identité visuelle bien établie et son récit initiatique, le film pioche sans cesse dans l’œuvre de Chrétien de Troyes, par le biais de petites touches distillées au fur et à mesure du récit, de l’échec à la victoire, de la recherche à l’accomplissement de soi.

Le film n’est cependant pas exempt de certains défauts. Curieusement, ce sont plus des détails mal assortis que d’importantes erreurs qui entachent le film. Le montage n’est pas toujours à son zénith, créant une légère disharmonie entre certaines scènes importantes. Il faut comparer pour cela la scène de tournoi et l’attaque finale du château viking. Si le tournoi est célébré par des coupes rythmiques faisant honneur à la caméra aérienne de Henry Hathaway, l’attaque du château manque parfois de mouvement. Dans celle-ci, il subsiste une nette différence entre ce qui se passe à l’intérieur, bien réglé (les exploits de Vaillant, l’attentat manqué contre Sligon...), et les scènes à l’extérieur, plastiquement belles mais enchainées de façon trop classique. Heureusement, les flammes dévorantes et les idées de scénario permettent à ces instants de continuer à captiver le spectateur. Ensuite, inutile de revenir trop longtemps sur la coupe de cheveux de Robert Wagner qui a fait sourire des générations de spectateurs. En restant fidèle à la bande dessinée pour l’apparence du personnage, la production a peut-être sacrifié en partie la crédibilité de sa retranscription en être de chair et de sang. Enfin, les acteurs n’ont pas tous l’accent racé exigé pour ce genre de films. Un récit de chevalerie se déroulant dans les plus hautes sphères du royaume d’Angleterre doit se parer d’acteurs possédant parfaitement les intonations attendues. Mais la distribution étant hétérogène, on ne peut que déplorer les invraisemblables ruptures de ton parcourant le film.

James Mason, Anglais de pure souche, compose un admirable félon, élégant et perfide, posant parfaitement sa voix en toute circonstance. Mais on ne peut pas en dire autant de Robert Wagner. Il est excellent mais son accent américain est parfois gênant, surtout durant son explication finale, lorsqu’il accuse Mason d’être le traître. Il donne davantage l’impression d’être un Américain en visite. D’un autre côté, cela renforce un peu plus sa jeunesse et son inexpérience. Le comédien le plus touché par ce problème est sans nul doute Sterling Hayden. Pour tous ceux qui connaissent Hayden dans ses polars hard boiled, tels que Quand la ville dort ou L’Ultime razzia, découvrir ce dernier en ces lieux constitue un choc. L’acteur s’amuse visiblement beaucoup, fait preuve d'un charisme impressionnant et d'une bonhommie attirant forcément les faveurs du public. Lui aussi est excellent, faisant de son Gauvain un chevalier valeureux et fort en gueule, mais que l’on dirait tout de même sorti d’un western. Il faut absolument l’entendre scander un « Vil faquin ! » pour mesurer le décalage qui existe entre son attitude de cow-boy et son appartenance à la chevalerie la plus pure. Comme on l’a mentionné auparavant, ce ne sont bien entendu que des détails mais ils sont suffisamment présents pour susciter un sourire, voire un rire de sympathie. Ensuite, il est toujours agréable de revoir la véritable "gueule" de Victor McLaglen, ici en Viking plus haut en couleur que jamais, avec sa hache et son casque cornu. Sa voix tonitruante et son physique barbare lui permettent de donner une prestation convaincante. Enfin, la magnifique Janet Leigh est malheureusement assez peu mise en valeur, banalisée par une mise en images qui lui confère autant une blondeur éternelle qu’un rôle peu marquant. Dans un style assez proche, on préférera la revoir dans Scaramouche de George Sidney, qui réussissait l’exploit de présenter deux actrices au sommet de leur beauté : Janet Leigh donc et Eleanor Parker.

Prince Vaillant constitue cependant un très grand spectacle, dans lequel on ne s’ennuie jamais. Couronné par un duel final entre Robert Wagner et James Mason, à la chorégraphie spectaculaire et dans lequel les deux acteurs donnent tout ce qu’ils ont, le film n’en finit pas d’éblouir les yeux et les consciences. Un magnifique livre d’images qui excite le rêve et enflamme les sens. Henry Hathaway a sans aucun doute réussi l’un des films les plus stylisés de sa carrière, grâce à un talent de plasticien qu’il poussera par ailleurs encore plus loin avec le Technicolor de l’inoubliable Jardin du diable.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 15 août 2010