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Critique de film
Le film
Affiche du film

Placido

(Plácido)

L'histoire

Placido (Cassen) fait tout son possible pour payer la première traite du triporteur qu'il vient d'acquérir à crédit. Mais il a toutes les peines du monde à réunir l'argent et surtout il est emporté dans l'organisation d'une grande fête de bienfaisance organisée par la municipalité et un industriel de la ville, roi de la cocotte-minute. Il devient l'homme à tout faire du comité d'organisation qui lui promet d'avancer l'argent nécessaire à sa traite mais sans lui laisser le temps de déposer la somme chez le notaire. Ce réveillon de Noël, où les bourgeois de la ville sont invités à accueillir à leur table un pauvre ou un vieillard isolé, va être bien agité pour Placido, sa famille et les habitants d'une ville sous pression...

Analyse et critique

Berlanga s'inspire pour écrire cette satire d'une campagne de charité lancée par Franco. Ici ce n'est pas un politique mais un industriel, le « roi de la cocotte-minute », qui a l'idée de se faire une belle publicité sur le dos des pauvres en organisant une grande fête de soutien en leur faveur à l'occasion du réveillon de Noël. Venue de stars - de seconde zone - du cinéma espagnol, organisation d'un gala, élection de la miss de la ville, émission radio en direct, grand défilé... tout est bon pour montrer la générosité des bourgeois et la qualité de la Cocinex produite dans la région.

Bien sûr, toutes ces personnalités altruistes sont d'une hypocrisie totale. Les croquants et les bourgeois de la ville s'achètent une bonne conscience en ce soir de Noël en invitant à leurs tables un pauvre ou un vieux isolé. C'est seulement pour un soir, bien sûr, et il est bien convenu que dès le lendemain chacun reprendra sa place. Mais même ces quelques heures en compagnie de la plèbe sont pénibles à ces gens de bonnes mœurs qui n'apprécient guère les manières brutes de leurs convives. Sans compter les souffreteux qui gâchent la fête avec leurs dégoûtantes quintes de toux, lorsqu'ils ne se mettent pas à trépasser en plein milieu du repas ! Des manants qui, pas dupes de la supercherie, ne montrent en sus guère de reconnaissance à leurs vénérables hôtes. Et pour cause...

On rit beaucoup de cette bourgeoisie qui se ridiculise en se livrant à cette charité facile, cette générosité de façade qui ne vise qu'à se faire briller aux yeux des autres membres de leur caste. Ils sont comme monsieur Cocinex, affairés à vendre leur produit, leur image. Ils n'ont cure du pauvre bougre ou du vieillard malade qu'ils ont à leur tablée : seul compte le fait que leurs voisins, leurs amis puissent mesurer leur prétendue générosité. Une charité chrétienne qui n'est qu'orgueil, poudre aux yeux, égoïsme.

A la lecture du pitch, on pense immédiatement à la comédie à l'italienne et, de fait, on retrouve dans le film ce même mélange d'humanité et de férocité qui caractérise le genre. Le regard de Berlanga pour les gens du peuple est plein de générosité, de chaleur, et ce même s'il n'hésite pas à filmer leurs travers. Mais dès que l'on grimpe dans l'échelle sociale, c'est une galerie de portraits assassins que propose le cinéaste. Plus aucun personnage n'est sauvé et le jeu de massacre touche aussi bien les industriels, les politiques, les financiers que l'Eglise, bien égratignée dans une hilarante scène de mariage forcé où un curé et un attroupement de bourgeois scandalisés s'échinent à faire dire à un vieillard agonisant ce « oui » qu'il leur refuse obstinément.

Si le film le dispute en férocité avec les comédies italiennes, il faut rappeler que c'est dans un tout autre contexte. Nous ne reviendrons pas sur celui-ci, déjà très largement évoqué par Antoine Royer dans sa chronique de Mort d'un cycliste. Ce courage politique dont fait preuve Berlanga en s'attaquant aux puissants et en critiquant si ouvertement ceux qui font l'Espagne franquiste rappelle la tradition de la farce picaresque. Le film partage avec ce genre profondément ancré dans la culture populaire ibérique cette même vision à la fois comique et réaliste de la vie des pauvres gens. Penser que Berlanga et son scénariste trouvent leur inspiration dans la comédie italienne est en fait un raccourci facile et hâtif. Même s'il y a une parenté de ton, c'est bien du côté du récit picaresque qu'il faut chercher les origines de cette fable caustique. Les auteurs respectent ainsi à la lettre la structure du genre, et l'on retrouve ici un héros de basse extraction plongé dans des aventures (les multiples missions que le comité confie à Placido) qui le font entrer en contact avec les différentes couches de la société, soit autant d'occasions de se moquer des travers et de l'hypocrisie des puissants.


Les séquences se suivent sans temps mort, le film faisant montre d'une grande vivacité, l'efficacité narrative le disputant au rythme des dialogues hilarants pour emporter le spectateur dans cette folle nuit de Noël. Les situations sont exagérées comme il faut, les rebondissements aussi farfelus qu'imprévisibles. Les personnages s'agitent en tout sens, se bousculent, se disputent. Le jeu exagéré des acteurs, leurs mimiques, leurs grimaces servent à merveille leurs personnages de bourgeois qui à cause de cette idée saugrenue de fête de bienfaisance sont obligés de jouer un rôle pour lequel ils n'ont aucun don. Ils deviennent des pantins, des mauvais acteurs qui peinent à faire croire à cette mansuétude envers les pauvres qu'on leur commande, qui n'arrivent pas à se forcer suffisamment pour rendre un instant crédible leur empathie, qui se lassent très vite de devoir jouer cette comédie sociale dont ils n'ont cure. Chacun essaye donc d'interpréter - sans succès - son rôle et ce qui est particulièrement frappant dans le film c'est que personne n'écoute personne. Chaque personnage jacasse, répète ses lignes, tourne en rond dans son piètre registre mais n'écoute ni ne voit ce qui se passe autour de lui. Berlanga rend admirablement bien cette totale absence de communication en filmant des scènes de groupe en plan-séquence et en mettant en scène plusieurs actions simultanées tout en isolant les individus à l'écran. L'absence de champ / contrechamp fait que tout le monde parle et s'agite dans un même plan, en même temps, ce qui produit une impression de cacophonie aussi harassante qu'efficace pour décrire un ensemble d'individus qui a aucun moment ne fait communauté.

Malgré ses multiples péripéties, le film évite la simple accumulation de vignettes, la tendance « film à sketchs » que l'on aurait pu craindre. Les séquences s'imbriquent, se répondent, se complètent au lieu de simplement se succéder les unes aux autres. Une réussite qui tient beaucoup donc à la construction des intrigues mais aussi à des dialogues savoureux et enlevés et des seconds rôles parfaitement croqués, grotesques juste comme il faut. Outre la mise en scène très juste de Berlanga et le talent indéniable des acteurs, il faut donc saluer le travail de Rafael Azcona. Après avoir débuté en écrivant pour Marco Ferreri L'Appartement (El pisito, 1959) et le formidable La Petite voiture (El Cocheccito, 1961), qui n'est d'ailleurs pas sans faire penser à Placido, le scénariste deviendra le collaborateur attitré du cinéaste. Deux ans plus tard, ils signeront Le Bourreau, autre pamphlet sans concession contre le régime franquiste et les dérives de la bonne société espagnole.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : tamasa

DATE DE SORTIE : 27 mai 2015

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 27 mai 2015