L'histoire
Kit (Doris Day), une jeune et riche héritière américaine, est l'épouse d'un puissant banquier britannique (Rex Harrison). Malgré le fait qu’elle soit comblée, Kit déplore les absences répétées de son époux, trop pris selon elle par son travail et les diverses obligations qui en découlent. Un soir dans le fog londonien, alors qu'elle rentre chez elle, Kit entend une voix aiguë qui l’épouvante par les menaces de mort qu’elle profère à son égard, d’autant plus effrayante que l'inconnu semble bien connaitre son identité. Pour son époux, il ne s'agit que d'une plaisanterie de mauvais goût. Le lendemain, Kit échappe de peu à un accident alors qu’elle sort de son immeuble. Peu après, un inconnu lui téléphone avec la même voix inquiétante qu’entendu précédemment. Les "incidents" se multiplient, Kit panique de plus en plus. Commençant à prendre l'affaire au sérieux, les époux décident de faire appel à Scotland Yard ; l’inspecteur Byrnes (John Williams) va être chargé de l’enquête. Kit est-elle folle ou sa vie est-elle réellement mise en danger ?
Analyse et critique
Après plusieurs comédies à succès - ou non signées George Seaton, Richard Quine, Michael Gordon ou Charles Walters, et Confidences sur l’oreiller (Pillow Talk) et Ne mangez pas les marguerites (Don’t Eat the Daisies) ayant crevé le box-office, Doris Day revient au thriller psychologique, un genre qu’elle avait déjà abordé à deux reprises la même année 1956. Ce fut le médiocre Diabolique Dr Benton (Julie) d'Andrew L. Stone ainsi que le génial L’Homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much) d'Alfred Hitchcock. David Miller ayant toujours été un réalisateur intéressant mais inégal - surtout connu et reconnu pour avoir réalisé le très beau western moderne Seuls sont les indomptés (Lonely Are the Brave) -, on pouvait s’attendre à une œuvre lorgnant vers le second thriller - d’autant que cela aurait été un sujet en or pour le "maître su suspense". Malheureusement le résultat s’avère très moyen, se rapprochant plutôt du ratage d'Andrew L. Stone et même si l’actrice principale n’y est pas pour grand-chose.
En effet, Doris Day se révèle plutôt convaincante dans ce rôle assez difficile car sans arrêt au bord de la crise de nerfs et d’angoisse. Elle expliquera d’ailleurs dans son autobiographie que le film lui fut nerveusement assez difficile à interpréter : “I became that woman to the best of my ability. To create the fear which the character I played had to project, I recreated the fear in myself which I had once felt in my own life. I relived it. It was painful and upsetting. I wasn’t acting hysterical, I was hysterical, so at the end of the scene I collapsed in a real faint.” Le réalisateur dut d’ailleurs arrêter quelques jours le tournage afin que sa comédienne puisse récupérer moralement et physiquement. Le personnage de Kit n’est néanmoins pas spécialement bien écrit, l’actrice n’ayant quasiment qu’un seul sentiment à exprimer tout du long, l’angoisse. L’histoire est celle du harcèlement de cette jeune femme par un homme qui se cache derrière une voie suraigüe assez effrayante, comme si c'était celle d’une "poupée" la décrira assez justement la victime. Cette voix inconnue dépourvue d'une présence physique concrète la menace de mort sans donner de raisons précises. L’intrigue ne tournera en fait autour que de ce seul et constant suspense pour une femme dont la vie devient un enfer, d'autant plus que certains de ses proches se demandent si elle ne serait pas devenue folle. Le spectateur n’a même pas à se poser ces mêmes questions puisqu’il aura vu et entendu la même chose que Kit ; ce qui fait perdre dès le départ à l'intrigue une bonne partie de son mystère. Les auteurs n'ayant pas tiré profit de ces éléments dramatiques à leur disposition, le spectateur n'a plus qu'à suivre sagement un suspense assez convenu et somme toute assez insipide voire parfois soporifique. On imagine très bien ce que tout cela aurait pu donner sous la direction d’un génie comme Hitchcock.
Ce n’est pas le fait non plus que la star féminine la mieux payée de l’époque soit mal entourée : Rex Harrison, Herbert Marshall, Roddy McDowall, John Gavin, John Williams, Myrna Loy, Anthony Dawson... on a connu bien pire casting ! Seulement les deux scénaristes les ont bien mal utilisés voire même pour certains carrément sacrifiés ; concernant l’intrigue proprement dite, hormis les éléments de suspense que nous avons déjà évoqués plus haut, on ne peut pas dire non plus que l’écriture du background soit très rigoureuse ni très intéressante. Dommage, car il y avait vraiment du potentiel à tous les niveaux. Détail assez amusant cependant mais qui accentue le gouffre qu’il peut y avoir dans le genre entre David Miller et Alfred Hitchcock, Midnight Lace réutilise les deux acteurs John Williams / Anthony Dawson qui officiaient déjà en tant que détectives dans Le Crime était presque parfait (Dial M. for Murder). La comparaison entre les deux films - qui possèdent d'ailleurs beaucoup d’autres points communs - n’est évidemment pas à l’avantage du plus récent ! Quant à la mise en scène, parfois efficace - la séquence pré-générique dans le brouillard ou celle de l’ascenseur bloqué dans le noir -, si elle n’est pas déshonorante, reste assez plate et hormis lors des séquences sus-citées ne fait dans l’ensemble guère d’étincelles. Et du coup, très logiquement, la mayonnaise du suspense a du mal à prendre.
Pour résumer : un scénario qui s’amuse à brouiller les pistes et à jouer avec les codes du genre mais se montre dans l’ensemble bien trop laborieux avec des éléments inexploités et des acteurs sous-exploités pour un suspense psychologique assez prévisible, guère palpitant, sans grande tension et bien trop grandiloquent dans son final. Reste un tripotée de comédiens de haut vol et une Doris Day bien mise en valeur - habillée avec classe par Irene, qui revenait à l’occasion à Hollywood après avoir déserté les plateaux hollywoodiens pendant 10 ans - dans un contre-emploi interprété avec un grand professionnalisme mais sans vraiment d’âme. Il n’y a pas à dire, même si elle fut souvent excellente dans le drame, la fantaisie lui sied bien mieux. Ceci étant dit, par un morne après-midi pluvieux, Piège à minuit peut se révéler distrayant d’autant que le décor londonien est assez sympathique. Quoi qu’il en soit, le succès aura été à nouveau au rendez-vous pour Martin Melcher, Ross Hunter et leurs partenaires de la Universal. Doris Day était loin d’avoir fini d’attirer les foules !