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Critique de film
Le film

Pendez-les haut et court

(Hang 'Em High)

L'histoire

Jed Cooper, ancien shérif adjoint de la ville de Saint Louis reconverti dans l’élevage, est sauvé de justesse après avoir été lynché par une bande l’accusant d’avoir tué un homme et volé du bétail. Innocenté par le juge Fenton, seul représentant de la loi sur le territoire de l’Oklahoma, Cooper devient marshal. Tout en remplissant son rôle avec efficacité, il va s’attacher à retrouver et punir ceux qui ont essayé de le tuer.

Analyse et critique

Après son succès dans la trilogie de l’Homme sans nom, Clint Eastwood prépare son retour aux Etats-Unis et fonde la compagnie Malpaso Productions, qui produit toujours ses films aujourd'hui. Pour son premier film dans cette nouvelle partie de sa carrière, il jette son dévolu sur le sujet de Pendez-les haut et court et le propose dans un premier temps à Sergio Leone. Celui-ci refuse pour se concentrer sur la réalisation d'Il était une fois dans l’Ouest, et après avoir envisagé quelques autres cinéastes réputés l’acteur se retourne alors vers Ted Post, prolifique réalisateur de séries télévisées mais peu expérimenté au cinéma, avec lequel il avait sympathisé lors du tournage de plusieurs épisode de la série Rawhide dont Eastwood était l’un des acteurs principaux. Grand succès public, le film lance la carrière d’Eastwood aux Etats-Unis. Pendez-les haut et court est un film de son époque, s’inscrivant dans la grande tradition américaine du genre tout en annonçant les bouleversements qui feront le Hollywood des années 70 et en posant les premières pierres du mythe Clint Eastwood, qui perdure jusqu’à nos jours.


Les premières minutes du film sont révélatrices de ses diverses influences, et de la manière dont les traite Ted Post. D’abord un troupeau qui traverse un fleuve, sous la conduite de Jed Cooper, le personnage principal. Image traditionnelle du western, jusqu’au sauvetage d’un petit veau qui nous plonge presque dans une imagerie Americana caricaturale. Ted Post filme le tout d’une manière classique, sans stylisation particulière. Les séquences qui suivent en prennent totalement le contre-pied, alors que le lynchage de Cooper a lieu. Il est trainé à travers le fleuve, battu puis pendu dans une mise en scène bien plus moderne, avec de nombreux gros plans et une suspension du temps lors de certains plans qui relève bien plus des innovations du western italien que du classicisme américain. La totalité du film va présenter cette alternance, ce qui fera dire à quelques critiques que Pendez-les haut et court est une mauvaise imitation du style de Sergio Leone et des cinéastes transalpins. Cette accusation nous semble fausse. Si l’influence italienne est présente, Ted Post la digère plutôt bien et, comme nous l’avons vu pour les premières séquences, l’utilise à bon escient. Tel un artisan disposant de plusieurs outils, il utilise au gré des scènes un style ou l’autre en fonction des besoins et de l’effet recherché, tout en faisant conserver une grande fluidité et une belle unité esthétique à son film.

Si le style est hybride, le sujet est, quant à lui, dans la plus pure veine du cinéma américain classique. Nous sommes sur le territoire de l’Oklahoma en 1889, alors qu’il n’est pas encore devenu un Etat. La seule justice officielle repose sur les épaules d’un homme, le juge Fenton, secondé par une équipe de marshals trop restreinte pour un territoire si vaste dans lequel règne donc encore la justice expéditive des lynchages. Nous sommes au cœur de la tradition westernienne et de sa problématique de prédilection, celle de la frontier, cette limite entre le monde civilisé et la terre sauvage souvent symbolisée par le passage de la loi du Talion à une justice organisée et respectueuse des lois de l’Union. Les pendaisons sont une figure typique du western américain, les lynchages aussi - on pense bien sur à L’Etrange incident de Wellman comme film symbolique sur ce sujet - et les histoires de vengeance qui découlent de ces évènements sont multiples. Pendez-les haut et court reprend cette problématique à son compte et la traite de fond en comble : le lynchage de Cooper, sa quête de vengeance derrière l’insigne de marshal, la justice officielle telle que la prône le juge Fenton, voire même le pardon qu’accordera Cooper à certains de ses agresseurs. Toutes les formes de justice sont présentées et analysées, comme une somme de tout ce que nous a montré le western hollywoodien depuis sa naissance. Nous sommes ici thématiquement très loin du western italien, qui oublie généralement cette notion de frontier pour explorer - c’est bien normal - des problématiques politiques et sociales propres à l’Italie telles que l’opposition entre Nord et Sud ou l’illusion du miracle économique.

La modernité dans Pendez-les haut et court provient de la manière de traiter ce sujet éternel. Visuellement d’abord, les personnages hirsutes, la poussière omniprésente et les décors principalement désertiques proviennent évidemment de la révolution transalpine. Il n’est plus possible de filmer l’Ouest et ses personnages comme on le faisait vingt ans plus tôt, Ted Post l’a très bien compris et intègre très naturellement cette nouvelle esthétique à son film. Le cinéphile retrouvera également quelques visages indissociables du Nouvel Hollywood qui font planer un vent de fraicheur sur le film. D’abord celui de Dennis Hopper dans le court rôle d’un prisonnier illuminé puis surtout celui de Bruce Dern incarnant un meurtrier arrêté et mené en prison après une longue marche par Cooper. Intense et effrayante, la performance de Dern dans ce rôle secondaire est remarquable et mémorable. Enfin et surtout, c’est le traitement du sujet de Pendez-les haut et court par Ted Post et les scénaristes qui en fait un film annonçant déjà les années 70. Si le lynchage et la violence des habitants du territoire de l’Oklahoma sont vus comme barbares, la justice officielle est elle aussi perçue de manière ambigüe, aussi violente et potentiellement injuste que les exécutions expéditives. Ce point de vue culmine dans ce qui est certainement la séquence la plus passionnante du film, celle qui nous présente la pendaison simultanée de six condamnés, dont les trois tueurs ramenés par Cooper après une longue traversée du désert. A l’image, la ville de Fort Grant le jour de l’exécution apparaît comme une Babylone moderne, attirant les camelots, les prostituées et un public qui fréquente le bordel local avant d’assister à la pendaison précédée d’une cérémonie religieuse. L’ensemble est remarquablement mis en scène, dans de très beaux mouvements d’appareil. Ted Post parvient a nous faire comprendre par l'image ce qui se joue, cette avalanche de civilisation, avec ses bons et ses mauvais côtés, qui envahit la ville le jour ou la justice est rendue. L’image la plus frappante étant celle qui incarne la justice elle-même, cette potence à six places comme une forme d’industrialisation de la mort, symbole à la fois de l’aspect légal et ordonné de la justice du juge Fenton mais aussi de son arbitraire. Est-ce que ce spectacle est véritablement une avancée par rapport à l’horreur du lynchage ? Pendez-les haut et court ne tranche pas réellement, ne donne pas de leçon de morale sur cette situation, la justice de Fenton apparaissant à la fois comme scandaleuse par le spectacle mortuaire qu'elle génère et comme une étape indispensable sur le chemin de la civilisation. C’est au spectateur de se faire son avis et, en cela, le film rejoint ce que proposera le cinéma des années 70 aux Etats-Unis, invitant plus à la discussion qu’à l’acceptation d’une thèse absolue.


Au centre de cette problématique, il y a évidemment le personnage de Cooper et son interprétation par Eastwood. Cooper a lui aussi régulièrement basculé dans sa vie. D’abord shérif adjoint, puis éleveur, puis hors-la-loi puis enfin marshal de l’Etat de l’Oklahoma, son parcours fait écho à la démonstration du film, et sa situation d’homme de loi travaillé par son désir de vengeance illustre le débat proposé. Eastwood, extrêmement sobre et presque mutique comme il l’était chez Leone, incarne parfaitement cette hésitation, ce duel intérieur que vit le personnage. Eastwood fait aussi parti des éléments qui apportent de la modernité au film, en véhiculant avec lui tout le passé des ses personnages leoniens et en construisant également sa figure future, celle des rôles qu’il incarnera dans ses propres westerns comme Josey Wales ou Pale Rider. On peut voir également une ébauche de la mythique figure de l’inspecteur Harry, qui d’une certaine manière incarne un dilemme similaire vis-à-vis de la justice. Hormis son interprétation, il est également certain que Eastwood, de sa position de producteur, a eu un poids non négligeable sur la mise en scène. Il est difficile d’évaluer précisément la nature de cette contribution, mais la patte naissante du cinéaste Eastwood se fait sentir. Toutefois, il serait certainement injuste de ne pas attribuer à Ted Post une partie importante de la réussite du film. Si sa filmographie au cinéma sera ensuite courte et inégale, il ne faut pas oublier qu’il sera également l’auteur du remarquable Merdier, là aussi film dominé par la figure d’un auteur-producteur, celle de Burt Lancaster, mais dont la réussite ne peut pas être une nouvelle coïncidence. On peut sûrement lui attribuer quelques idées étonnantes et plaisantes de Pendez-les haut et court, notamment cette vision de Clint Eastwood la bouche couverte de sang après son combat face à Bruce Dern, tel un mort-vivant, qui donne une autre idée de lecture du film, celle qui aurait vu Eastwood mourir réellement au bout de la corde et revenir se venger d’entre les morts. Une interprétation bien évidemment excessive, mais qui existe en filigrane d’un film finalement très riche, somme de l’histoire westernienne classique modernisée par la figure d'Eastwood et par le pressentiment d’une production hollywoodienne proche d’une bascule historique.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 30 décembre 2017