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Critique de film
Le film
Affiche du film

No Trees in the Street

L'histoire

Dans les années 30, dans le quartier populaire de l’East End, une jeune femme Hetty (Sylvia Syms) rêve de quitter la rue où elle est née et a grandi. Mais elle est coincée entre son frère délinquant Tommy (Melvyn Hayes), sa mère alcoolique (Joan Miller) et le gangster Wilkie (Herbert Lom) qui veut à tout prix qu’elle soit sienne.

Analyse et critique

No Trees in the Street est un saisissant polar social signé par un Jack Lee Thompson habitué, durant sa remarquable première partie de carrière, à explorer les bas-fonds avec des réussites comme Yield to the Night (1956) ou Les Yeux du témoin (1959). Le film adapte la pièce de théâtre éponyme de Ted Willis (jouée en 1948) qui en signe également le scénario. Willis, en plus de ses multiples talents et d'une écriture frénétique (dramaturge, scénariste et écrivain, il figure au livre Guinness des records comme un des auteurs les plus prolifiques de la télévision, auquel s'ajoute 34 pièces et 39 scénarios de films), est aussi connu pour sa profonde sensibilité de gauche qui lui vaudra d'être secrétaire de la Young Communist League puis un des membres les plus actifs du Parti Travailliste. On ne s'étonnera donc pas du propos profondément engagé de No Trees in the Street dont la noirceur prolonge celle de tentatives hollywoodiennes comme Primrose Path de Gregory La Cava (1940) et anticipe Affreux sales et méchants d’Ettore Scola (1976) avec une même vision glauque des bas-fonds et un semblable regard désabusé et monstrueux sur la cellule familiale.

Dans le Londres d'avant-guerre, toute la fange, la misère et la criminalité semble s'être concentrée dans le quartier de Kennedy Street. Hetty (Sylvia Syms) est une jeune femme cherchant à quitter cet environnement et échapper à sa condition, mais qui y est enchaînée malgré elle. Son frère Tommy (Melvyn Hayes) est au bord de la délinquance tandis que sa mère (Joan Miller) la pousse dans les bras du parrain local Wilkie (Herbert Lom), fou de désir pour elle. Jack Lee Thomson brosse un portrait sordide des lieux et de ses mœurs, la caméra arpentant les ruelles crasseuses où défilent enfants en guenilles, explore les immeubles et appartements insalubres - c'est d'autant plus impressionnant que tout est filmé en studio - mais surtout scrute la débauche de ses habitants. Entre le père aveugle et impuissant face à la dérive de sa famille, la mère oubliant ses soucis dans la beuverie quotidienne et le frère sur la corde raide, le tableau est saisissant.

Lorsque Tommy est entraîné par Wilkie vers un hold-up avorté, la face sombre de celui-ci se révèle et les maigres espoirs d'Hetty de le ramener dans le droit chemin s’estompent. Melvyn Hayes, en post adolescent chétif, semble écrasé à la fois par un déterminisme social inéluctable qu'il ressent physiquement à travers la brutalité de sa mère, et les intimidations de Wilkie. La voie criminelle, et particulièrement le moment où il entrera en possession d'une arme, révèle son caractère faible et inconsistant dans le sentiment de toute puissance qu'il ressent alors. Se battre pour s'en sortir semble un combat vain et inutile qu'Hetty va bientôt abandonner pour céder à la facilité. La dimension théâtrale ressurgit dans la manière dont cet appartement semble concentrer l'horizon limité des personnages, que Jack Lee Thompson resserre par sa mise en scène. Lors de la scène-clé où elle arrête de lutter, la voix enjôleuse et hypocrite de sa mère et les effets de l'alcool isolent Hetty (Sylvia Syms plus poignante que jamais), l'exiguïté de l'appartement devenant une prison mentale où Thompson se fige sur son visage désormais sans expression.

Ce côté étouffant se traduit également par la photographie stylisée de Gilbert Taylor dont les jeux d'ombres semblent également emprisonner les protagonistes, notamment la scène de vol nocturne. Le scénario ose des moments très dérangeants avec la démence de Tommy, arme au poing, et une scène de simili viol assez glaçante. Une des forces du film est de ne pas avoir de véritables méchants, c'est la spirale de la misère passée ou présente qui aura fait des personnages ce qu'ils sont. La mère indigne jouée par Joan Miller pense réellement rendre l'existence de sa famille meilleure en "vendant" sa fille, son milieu ne l'a pas accoutumée à d'autre manière de s'en sortir et le final où tout s'écroule n'en sera que plus douloureux. Même le caïd qu'incarne Herbert Lom cède à sa passion réelle pour Hetty, qui l'empêche de commettre l'irréparable lors d'une scène-clé, mais amène à manipuler tout son entourage pour arriver à ses fins. Quant à Tommy, c'est un faible soumis à sa frustration et, malgré ses exactions, la figure la plus innocente du film. Les barres d'immeuble sociaux anonymes de l'Angleterre 60's, le passage de la guerre ayant détruit la Kennedy Street qu'on aperçoit dans l'épilogue, figurent autant l'espoir (symbolisé par les arbres ayant enfin leur place dans le quartier en allusion au titre du film) que d'autres lendemains qui déchantent pour les démunis. Ce croisement du kitchen sink drama et de polar constitue en tout cas une vraie belle réussite méconnue.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 17 juin 2022