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Critique de film
Le film
Affiche du film

Naissance d'un Empire

(Tide of Empire)

L'histoire

La Californie au milieu du XIXème siècle, en 1848 plus précisément. Ce sont encore les gros propriétaires terriens espagnols qui règnent sur la région depuis des générations. La vie est belle pour la famille Guerrero. Don José (George Fawcett), veuf, coule des jours paisibles dans son ranch aux côtés de son roublard de fils, Romauldo (William Collier Jr.) et de sa charmante fille Josephita (Renée Adorée). Mais la découverte de la première pépite d’or et le flot ininterrompu d’émigrants qui s’ensuit viennent troubler la quiétude de ces riches et grandes familles. Parmi ces nouveaux pionniers, Dermod d’Arcy (Tom Keene / George Duryea), un jeune aventurier qui espère bien faire fortune, accompagné par le gardien de prison d’une ville désormais désaffectée en raison de la ruée vers l’or, Bejabbers (James Bradbury Sr.). Lors d’une fête organisée par les Espagnols, Dermod gagne la traditionnelle course de chevaux sur Pathfinder, son fidèle destrier. José Guerrero, trop confiant en ses propres chevaux, a parié son ranch que Dermod serait perdant. Malheureusement pour lui, il en va tout autrement et voilà Dermod à la tête du domaine des Guerrero. Mais, en parfait gentleman, ne voulant pas dépouiller le perdant, Dermod offre son gain à la fille du vieil homme sous le charme de laquelle il est tombé dès leur première rencontre. Don José l’apprend trop tard ; son cœur avait lâché auparavant d’autant que dans le même temps, ayant appris la nouvelle de leur "ruine", dépité, son fils était parti rejoindre un gang de bandits conduit par Cannon (Fred Kohler). Très injustement, Josephita en veut au bel aventurier pour tous les malheurs qui se sont abattus sur la famille...

Analyse et critique

Ayant eu pour professeur rien moins que D.W. Griffith, Allan Dwan fut l’un des réalisateurs les plus prolifiques et adulés de la période muette. Il dirigea les plus grandes vedettes de l’époque (Mary Pickford, Norma Talmadge, Gloria Swanson...) et son Robin des Bois de 1922 avec Douglas Fairbanks est resté un modèle du genre. Simplicité et efficacité, tels ont toujours été ses maîtres mots ; ces modestes préceptes lui avaient toujours réussi durant les premiers temps du 7ème art. En revanche, avant sa collaboration avec Benedict Bogeaus dans les années 50 et à quelques exceptions près (le superbe Iwo Jima par exemple), on peut dire que, vu de France, il sera passé par une longue traversée du désert. Tide of Empire se situe aux confluents de sa filmographie muette et de sa filmographie parlante. Il est d’ailleurs référencé comme faisant partie des films "sonores" du cinéaste, un hybride assez malheureux entre muet et parlant. Il s’agit bien d’un film muet avec intertitres pour les dialogues, mais des sons ont été ajoutés ainsi qu’une musique spécialement écrite à cette même époque. Malheureusement, ce procédé a très mal vieilli et le film aurait probablement été meilleur en restant totalement muet. En effet, non seulement la partition s’avère médiocre mais les bruits adjoints (caquètements de poules, cris et hourras de la foule, coups de feu, chanson...) paraissent aujourd’hui totalement datés. Un conseil serait donc peut-être de visionner Tide of Empire en coupant la bande-son ; néanmoins, en l’état, le film se laisse suivre sans déplaisir.

 Au vu de son titre et des moyens alloués, pour l’un des derniers films muets de la prestigieuse Metro Goldwyn Mayer, on aurait pu s’attendre à une œuvre épique ; ce que Tide of Empire n’est finalement pas, car s’attardant plus longuement sur les relations et l’attachante romance entre Renée Adorée et Tom Keene que sur toute autre chose malgré un background historique sacrément intéressant, la suprématie espagnole vacillante en Californie suite à la ruée vers l’or et à ses milliers de nouveaux arrivants venus leur faire de l’ombre. Ce dernier point n’est évidemment pas évacué mais on ne peut pas dire que le scénariste ait eu grand-chose à dire à son sujet, en fin de compte peu approfondi ; il faut dire que l’intrigue dans son ensemble se révèle bien anodine et que les espoirs fondés au vu du postulat de départ s’amenuisent au fur et à mesure de l’avancée de ce western, certes bien enlevé et bénéficiant de la perfection des équipes techniques du studio, mais néanmoins sacrément conventionnel et finalement peu captivant. Rétroactivement cependant, à l’époque, la ruée vers l’or de 1848 n’avait probablement été que rarement décrite au cinéma. On pouvait alors surement s’étonner de ces images de villes désertées du jour au lendemain suite à la fièvre de l’or qui avait atteint tous ses habitants, ou au contraire devant celles de l’érection subite et l’activité bouillonnante de "Boom Town" sur les lieux même des filons. Intéressant également de participer à la fondation de la célèbre compagnie de messieurs Henry Wells & William G. Fargo qui avaient décidé de se lancer au départ dans le transport des richesses trouvées sous le sol californien.

Les figurants sont nombreux, les décors cossus et les costumiers s’en sont donnés à cœur joie. Le film est donc loin d’être désagréable à regarder, d’autant que les séquences mouvementées sont efficacement filmées par un Allan Dwan qui connait parfaitement son métier. Que ce soit la course de chevaux, la chevauchée des outlaws, l’attaque par ces derniers de la ville afin de s’emparer de l’or qui y a été entassé, etc., la vivacité est de mise. Mais le scénariste ayant voulu courir trop de lièvres à la fois sans s’appesantir sur aucun, le film semble du coup manquer d’ampleur et le spectateur de s’en détacher un peu. Dommage d’ailleurs que Tide of Empire n’ait pas constamment été du niveau de ses premières séquences vives et enjouées, dignes des meilleurs comédies américaines, qui nous décrivaient la vie quotidienne de la famille noble espagnole dont les membres nous sont immédiatement attachants par leurs liens de complicité, le père n’étant pas dupe de la roublardise de son fils tout en s’en amusant, de mèche avec sa fille. Par la suite, surviennent trop d’incohérences (le baron qui parie carrément son domaine) et un manque de rigueur dans la description des caractères ; nous ne comprendrons jamais par exemple l’animosité de Josephita à l’encontre de Dermod, pourtant affable et éminemment sympathique de la première à la dernière minute. Enfin, on a comme l’impression que dans l’ensemble les deux héros du film sont un peu déconnectés du reste de l’histoire et de ce qui les entourent, presque spectateurs passifs des évènements qui s’y déroulent.

Tide of Empire s’avère intéressant lorsqu’il montre le mode de vie de deux mondes qui vont entrer en collision, celui de l’aristocratie espagnole face aux pauvres prospecteurs venus sur leurs terres pour y faire fortune. On peut y apprécier aussi une cocasserie bienvenue, comme cette séquence du gardien de prison qui voudrait bien lui aussi participer à la ruée vers l’or mais qui ne s’y décide pas, ayant encore des "pensionnaires" dans son établissement ; il finira par construire une cage roulante pour les y emmener. Et puis, les deux comédiens principaux forment un couple attachant. La charmante Renée Adorée jouait la paysanne dans le célèbre La Grande Parade (The Big Parade) de King Vidor en 1925 alors que Tom Keene sera lui aussi à l’affiche d’un autre film du même Vidor en 1934, le très beau Notre pain Quotidien (Our Daily Bread). Un film pas inoubliable, mais pas désagréable non plus ; juste un peu trop banal et pas spécialement passionnant !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 février 2013