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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mon chemin

(Így jöttem)

L'histoire

1945. A la fin de la guerre, Joseph, un Hongrois, est fait prisonnier par des soldats soviétiques. Il est envoyé dans une bâtisse isolée afin d’aider un jeune soldat à collecter du lait pour l’armée. Tous deux se lient d’amitié.

Analyse et critique

Après avoir obtenu en 1951 son diplôme de l’école supérieure d’art dramatique, Miklos Jancso réalise de nombreux documentaires (une trentaine) avant de passer à la fiction à partir de 1957. Des premières œuvres visiblement dans le courant du réalisme socialiste alors en vigueur, dotées d’un fort symbolisme. C’est de sa rencontre avec le romancier Gyula Hernádi, scénariste de la quasi totalité de ses films, que va naître à partir de Cantate en 1963, la partie la plus passionnante de son œuvre. Mon chemin est le troisième film de Jancso. Un petit rappel historique s’impose. En 38, l’amiral Horthy s’allie aux puissances de l’Axe afin de récupérer les territoires perdus à l’issue de la première guerre mondiale. Dès 1941, la Hongrie entre en guerre contre l’U.R.S.S., avant d’être occupée par l’Allemagne en 1944 qui impose le gouvernement des Croix-Fléchées. Elle est délogée par l’armée soviétique qui à son tour occupe le pays.


Retour au « présent ». Une dizaine d’années avant la réalisation de Mon Chemin, une insurrection a mené de nombreux opposants au régime en prison. En 1965, ceux-ci commencent à être libérés en masse, réponse d’un Etat qui ne croit plus tout à fait au communisme tel qu’il l’avait pratiqué jusqu’alors. Le cinéma se libéralise également, manière pour le gouvernement hongrois de montrer cette ouverture à l’étranger. Miklos Jancso va donc parler du passé de son pays, mais également, et plus largement, de son histoire contemporaine. Jancso ouvre au maximum sa vision, utilise un langage symbolique qui résonne de façon aussi politique qu’historique. Il met en scène des histoires qui parlent de son pays, mais également, de manière universelle, de l’histoire de tous les soulèvements, de toutes les oppressions. Jancso est attiré par l’abstraction, forme de rejet du réalisme soviétique jusqu’alors imposé dans la production cinématographique. « Je reviens aujourd’hui sur mes anciens documentaires, que j’ai faits à l’époque de Rakosi. A cette époque, nous avons fait des documentaires faux. C’était le temps du mensonge total. Il fallait démontrer que la vie était belle, et qu’elle était plus belle ici que dans le reste du monde. Il y avait une règle, on devait jouer le réalisme. Vous savez bien qu’avec le style réaliste, vous pouvez mentir profondément, mentir facilement ». (1)

Si l’abstraction, la peinture des oppressions, les chants des résistants, vont être le ferment du cinéma de Jancso, Mon chemin se situe encore à l’écart de cette œuvre en devenir, par un style très classique, Jancso utilisant la grammaire cinématographique de manière appliquée. Quelques ébauches de plans-séquences annoncent ses futures recherches formelles, sans quoi le réalisateur utilise un montage très scolaire, récusant ses propres dires quant à son incapacité à monter un simple champ/contrechamp. Jancso emploie également de la musique afin de souligner « l’action », utilisation qui va disparaître dans ses films suivants, qui vont dans la plupart des cas n’avoir comme accompagnement que des chants diégétiques. Ici, une phrase musicale revient à plusieurs reprises, d’abord angoissante avec son mélange dissonant de cordes, puis petit à petit s’adoucissant jusqu’à devenir presque élégiaque. Cette musique suit l’évolution des rapports entre Joseph, le prisonnier magyar, et Kolya, le soldat russe. De la méfiance à la compréhension, puis à l’amitié, la partition suit le cheminement des sentiments entre les deux jeunes hommes. Ce rapprochement entre deux personnages antagonistes du fait de leur position respective dans l’histoire de la guerre est le sujet principal du film. La capacité de la jeunesse à passer outre les rancœurs, les peurs et les haines est décrite par Jancso de manière presque sentimentale, très éloignée de l’opacité qui viendra mettre un voile entre le film et le spectateur dans les œuvres à venir. Joseph et Kolya sont saisis, et leurs relations mises en avant, par des moments propres à la jeunesse : chasser des grenouilles, se bagarrer dans les herbes hautes, visiter des ruines, jouer avec des statues, manger au coin d’un feu, poursuivre des filles qui se baignent… autant d’instantanés qui nous éloignent de la guerre et nous replongent dans la vie. Si Jancso n’explicite pas les faits historiques (au début Joseph est fait plusieurs fois prisonnier et on ne comprend pas vraiment quels sont les enjeux ni les différents camps) il donne clairement à voir les relations entre ses personnages. Mon chemin s’écarte en cela des figures plus hermétiques des Sans-espoir ou Rouges et Blancs, et le film lui-même joue la carte du réalisme et non celle de l’abstraction. Un camp de prisonniers est patiemment décrit, on suit le quotidien des soldats à la fin de la guerre (se vêtir, être soigné, manger, produire du lait, être désinfecté, rapatrié…), on voit les cortèges de réfugiés regagner leur pays natal… autant d’éléments concrets qui donnent les clés du récit, sans que Jancso ait besoin d’expliquer précisément la donne historique.

Mon chemin est un très beau film, qui prône le pardon et tend à rapprocher les hommes. Jancso montre l’absurdité des conflits à travers l’amitié des deux jeunes hommes. Il pointe du doigt la stupidité des hommes qui s’affrontent, montrant que l’on peut être, selon le vent de l’histoire, dans un camp ou un autre. Joseph est ainsi pris pour un soldat allemand par des réfugiés hongrois, puis se fera passer pour un soldat russe, menaçant envers ses compatriotes avant d’être plus tard battu par eux. Une vision idéaliste qui s’inscrit dans la volonté du pouvoir communiste hongrois de vanter l’amitié entre l’U.R.S.S. et la Hongrie, malgré les errements de l’histoire. Une vision que Jancso sert avec beaucoup de talent, et à laquelle, malgré un style très proche du réalisme promulgué par les autorités, il parvient à insuffler un rythme lent très personnel. Une entrée en douceur dans l’univers si particulier de son auteur qui va la même année radicaliser et son propos et son style avec Les Sans-espoir.

(1) Propos recueillis par Michel Ciment, Petite planète cinématographique (Stock)

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 28 mai 2006