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Critique de film
Le film
Affiche du film

Moi, moi, moi et les autres

(Io, io, io.... e gli altri)

L'histoire

Sandro (Walter Chiari) est journaliste à Rome. Il mène une enquête sur l'égoïsme de ses concitoyens, aidé en cela par son ami Peppino (Marcello Mastroianni). Il côtoie divers personnages de la ville : une diva (Silvana Mangano), un politicien véreux (Vittorio Caprioli)...

Analyse et critique

Moi, moi, moi et les autres est l’avant-dernier film d’Alessandro Blasetti, véritable vétéran du cinéma italien qui aura traversé l’ère des « téléphones blancs », contribué à la naissance du néoréalisme avec Quatre pas dans les nuages (1942) et de la comédie italienne sur Dommage que tu sois une canaille (1954). Moi, moi, moi et les autres est pour lui une œuvre très personnelle dans laquelle il s’applique à dénoncer l’égoïsme ordinaire à travers le personnage du journaliste Sandro (Walter Chiari). Sandro constitue en effet le double filmique de Blasetti dans le ton du film, qui se partage entre regard ironique et amusé sur ce thème de l’égoïsme et une dimension plus intime où le réalisateur alimente sa trame de nombreux éléments de sa vie.

On sent donc une démarche proche du Federico Fellini de Huit et demi (1963) mais malheureusement Blasetti n’en aura pas tout à fait la maestria visuelle et narrative dans sa tentative. Si la multiplicité des scénaristes est une tradition le plus souvent positive de la comédie italienne, elle atteint ici un excès - onze scénaristes pour des participations plus ou moins importantes, dont les prestigieux Suso Cecchi D'Amico ou le duo Age / Scarpelli - qui témoigne de la volonté de Blasetti de brasser à tout va et de brouiller les pistes sur la facette autobiographique de son récit. Ce sera le principal problème de Moi, moi, moi et les autres, qui hésite constamment entre le film à sketches thématiques très en vogue à l’époque - Les Complexés (1965) par exemple, pour en prendre une autre production explorant une tare humaine ordinaire - et donc la rêverie fellinienne. Le début du film très sautillant, où Sandro observe avec plein d’ironie la vilenie ordinaire de ses congénères, dresse plusieurs pastilles très amusantes que l’on pense voir creusées plus avant dans un sketch à part entière mais il n’en sera rien. C’est un même survol superficiel qui aura cours en suivant le fil conducteur très lâche autour de Sandro, où là aussi les situations arrachent quelques sourires - le quotidien conjugal avec son épouse jouée par une délicieuse Gina Lollobrigida - mais n’exploitent pas pleinement le sujet. De saynètes expédiées en personnages secondaires truculents mais trop en surface (hormis Marcello Mastroianni en meilleur ami lunaire et Silvana Mangano, le casting prestigieux n’a pas grand-chose à défendre), c’est donc l’ennui progressif qui domine faute d’ancrage comique ou intime consistant.

Alessandro Blasetti effleure pourtant par moment ce que Moi, moi, moi et les autres aurait pu être. Tout au long du film, Sandro critique certes les travers de ses concitoyens mais rappelle constamment qu’il ne vaut guère mieux - on y devine l’autodérision de Blasetti déjà manifeste dans Bellissima de Luchino Visconti (1951), satire sur l’univers de Cinecittà dans laquelle il jouait son propre rôle, et ici avec ce générique où son nom se démultiplie et écrase celui des autres. Si cette facette ne fonctionne guère dans le registre comique à la construction trop succincte, dès que les situations se font plus incertaines, méditatives et prennent surtout le temps de s’installer, l’introspection peut enfin agir. On pense à cette scène où Peppino (Marcello Mastroianni) emmène Sandro en forêt observer un couple de vieillards traverser les bois main dans la main. Sandro, tout à ses préoccupations personnelles, ne retient que la laideur et la pauvreté du couple tandis que Peppino, plus sensible, y décèle un amour intact à l’automne de la vie. Ce n’est que dans la dernière partie que sera ravivée cette vision car ramenée aux propres regrets de Sandro. Cet égoïsme lui aura fait fuir le vrai amour de sa vie via une Silvana Mangano bouleversante.

On dépasse enfin la vignette pour laisser la mélancolie s’installer, l’égoïsme n’en restant plus à son désagrément trivial mais pouvant bouleverser une existence. Toutefois, il ne faudrait pas complètement rejeter la dimension comique du film même si elle est très inégale. La scène où Sandro lors de l’enterrement de son ami s’interroge plus sur la graduation de sa tristesse (pleurer ou ne pas pleurer, là est la question) que sur le disparu est hilarante et aboutit à une réaction si théâtrale qu’elle émeut toute l’assistance dans une savoureuse ironie. Walter Chiari, acteur doué quand il s’agit de jouer les types ordinaires - le très beau Il Giovedi de Dino Risi - manque à la fois du génie comique et de l’intensité dramatique de la dream team de la comédie italienne (Vittorio Gassman, Nino Manfredi, Marcello Mastroianni, Alberto Sordi, Ugo Tognazzi) et peine à porter réellement le film sur ses épaules. Celui-ci n'est pas inintéressant donc, mais reste très inégal même si sa singularité sera récompensée - le David di Donatello du meilleur réalisateur en 1966, une nomination au Ruban d'argent du réalisateur du meilleur film et au Ruban d'argent du meilleur sujet en 1967 - parallèlement à un échec public qui signe un peu la fin de carrière de Blasetti.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 10 avril 2017