Menu
Critique de film
Le film

Meurtre

(Morderstwo)

L'histoire

Il ne s’agit ni d’un film traditionnel ni d’un film à sketches, mais d’un rassemblement de sept des dix courts-métrages existants réalisés en Pologne par Roman Polanski. Soit les titres suivants : Meurtre, Rire de toutes ses dents, Cassons le bal, Deux hommes et une armoire, La lampe, Quand les anges tombent et Les mammifères. On y retrouve de nombreux thèmes de prédilection du cinéaste : voyeurisme, humour décalé, violence, et un goût certain pour l’étrange et les situations insolites.
Les films sont présentés chronologiquement, et offrent divers aspects du talent du cinéaste.

Analyse et critique

Roman Polanski a réalisé ses courts-métrages (à l’exception du dernier, Les mammifères) alors qu’il était étudiant à l’école de Lodz, en Pologne. Quand les anges tombent, le plus long des sept films, est d’ailleurs son film de fin d’étude.
Après avoir réalisé Le vélo, en 1955, et qu’une partie des bobines fut perdue, Polanski tourne en 1957 le terrifiant Meurtre, où un homme est froidement assassiné dans son sommeil par un inconnu. Puis il réalise Rire de toutes ses dents, où le voyeurisme, un thème cher à Polanski, est déjà à l’œuvre. Dans Cassons le bal, c’est un groupe de jeunes qui vient gâcher une fête. Le plus connu des courts-métrages présents sur le DVD est Deux hommes et une armoire, qui, nous le verrons plus loin, annonce bien certains thèmes que l’on retrouvera par la suite dans l’œuvre polanskienne. Après La lampe, où nous voyons une boutique détruite par les flammes, nous pouvons admirer la pièce-maîtresse de la période étudiante de Polanski : Quand les anges tombent. Curieusement d’ailleurs, ce film fait presque figure d’OVNI dans la filmographie du réalisateur, car il s’agit de sa seule incursion, en près de 50 ans de carrière, dans l’univers du film de guerre... De plus, il faut avouer que ce film ne ressemble pas trop au reste de la production de Polanski. Mais rappelons que c’est une marque de fabrique du cinéaste, que de ne jamais faire deux films qui se ressemblent, précepte déjà en vigueur pour cette suite de courts-métrages. Le septième film, visuellement aux antipodes des précédents (l’image baigne dans un blanc immaculé du début à la fin), est donc Les mammifères. Polanski l’a réalisé après avoir quitté l’école de Lodz, et c’est, si l’on excepte sa participation au film à sketches Les plus belles escroqueries du monde (1963), le dernier court-métrage que le cinéaste tourna.

Comme souvent avec les grands réalisateurs, les premiers essais de Roman Polanski derrière la caméra sont très représentatifs de toute l’oeuvre qu’il allait bâtir par la suite. Tout d’abord, cette série de courtes histoires porte indubitablement la marque de Polanski puisqu’il les écrivit toutes ; seul Les mammifères est signé Polanski et Andrzej Kondratiuk.
Les musiques originales, lorsqu’il y en a, sont de Krzysztof Komeda, et là encore, c’est un nom connu pour les familiers du cinéma de Polanski, puisqu’il composa également les bandes originales de certains des premiers longs-métrages de son compatriote cinéaste (Cul-de-sac, Le bal des vampires et Rosemary’s baby). Peut-être Polanski et Komeda auraient-ils poursuivi leur fructueuse collaboration, si le musicien n’était décédé prématurément en 1968.

Dès ses courts essais, Polanski aime se réserver des petits rôles : ainsi, il campe un personnage bagarreur dans Deux hommes et une armoire, ce qui fait penser à son apparition, 16 ans plus tard, dans Chinatown, où là aussi, il maltraite le personnage principal (il tranche la narine de Jack Nicholson avec un couteau !)
Polanski apparaît également dans Quand les anges tombent, et au sujet de ce film, justement, il faut noter que l’actrice Barbara Kwiatkowska (qui eut aussi comme nom de comédienne Barbara Lass), qui joue le rôle de la jeune paysanne, n’est autre que la compagne du cinéaste à l’époque. Il l’épouse en 1959, et divorce trois ans plus tard

Nous l’avons dit, ces petits films, globalement très réussis, annoncent, volontairement ou non (Polanski lui-même n’aime pas ‘intellectualiser’ sur les corrélations de ses films entre eux), de nombreux thèmes et éléments qui seront plus ou moins récurrents dans sa carrière.
Ainsi, dès Meurtre, l’assassinat, tant dans sa mise en scène que dans sa méthode d’exécution, fait penser à la mort du Roi dans MacBeth (1971).
Le voyeurisme est le sujet de Rire de toutes ses dents, un court-métrage qui montre un homme en train de regarder en cachette une femme aux seins nus dans sa salle de bains. La nudité n’est déjà plus un obstacle pour Polanski, et c’est avec Lunes de fiel (1992) qu’il associera à nouveau érotisme et voyeurisme, jusqu’à en faire l’un des thèmes principaux du film.
Cassons le bal est important car, d’une part, il est beaucoup plus long que les deux précédents courts-métrages, donc beaucoup plus élaboré au niveau de la construction, d’autre part c’est le premier film où Polanski utilise du son. A tel point qu’il semble que ce soit sur ce dernier qu’est basée la construction du court-métrage : il s’agit dans un premier temps de la musique sur laquelle les jeunes dansent pendant le bal, puis la musique s’arrête avec l’arrivée des casseurs, et là, le son ne consiste plus qu’en des bruits de coups et de chutes.
Signalons enfin que le mot ‘bal’ reviendra dans l’un des titres les plus connus du cinéma de Polanski, Le bal des vampires. Dans ce dernier, une fois encore, la cérémonie finira assez mal !

Encore un peu plus long, le film suivant, Deux hommes et une armoire, est non seulement assez connu (le plus célèbre avec Le gros et le maigre, réalisé en 1960), mais présente une des grandes figures de style du cinéma de Roman Polanski : nous suivons en effet deux hommes, à qui il va arriver bien des aventures. L’utilisation d’un duo d’hommes comme personnages principaux va être récurrent dans l’oeuvre du cinéaste : dans les courts-métrages, déjà, avec Le gros et le maigre et Les mammifères, puis dans les longs, avec Le bal des vampires et Pirates. D’ailleurs, la quasi-totalité de ses films avec duo fonctionne selon un principe de boucle : nous retrouvons les deux héros à la fin du film dans une situation très proche de celle du tout début. Ainsi, dans la première image de Deux hommes et une armoire, les personnages sortent de l’eau avec leur armoire, et à la fin du film, ils retournent d’où ils viennent, et disparaissent dans la mer.
Ce qui frappe dans la majorité des courts-métrages proposés sur le DVD, c’est l’esprit de destruction de Polanski : dans Meurtre, il nous montre un assassinat. Dans Cassons le bal, une fête est saccagée par des voyous. Dans Deux hommes et une armoire, on retrouve une bagarre, et le miroir placé sur l’armoire qui est au départ intact, finit brisé en morceaux. Dans La lampe, c’est une petite boutique qui est ravagée par les flammes. Avec Quand les anges tombent, les scènes de guerre montrent bien évidemment leur part de destruction. Alors qu’il n’a pas encore 30 ans et qu’il est toujours étudiant, Roman Polanski porte déjà sur le monde un regard désabusé et sans illusion (sa jeunesse chaotique et peu joyeuse y fut peut-être pour quelque chose).
Pour revenir une dernière fois sur Deux hommes et une armoire, on peut mentionner un cinéaste qui a vraisemblablement influencé le jeune Polanski, au moins en ce qui concerne le ton donné au film : Chaplin. En effet, en plus de mener son histoire sans dialogues (ce que Chaplin fit aussi pendant longtemps, bien après que le parlant eut fait son apparition), l’insouciance, la façon de se déplacer, et les rapports avec le monde extérieur des deux personnages évoquent de façon assez frappante Charlot et son univers.

Quand les anges tombent est le plus ambitieux, le plus sophistiqué, et certainement le plus beau des sept films de Polanski proposés sur le disque : déjà par sa durée, il dépasse tous les autres titres. De même, sa construction, qui fait des allers et retours entre passé et présent, est très élaborée : il faut à ce propos noter un parti pris formel qui va à l’encontre de ce qui se fait habituellement ; toutes les scènes avec la vieille dame dans les toilettes publiques, qui se déroulent au présent, sont filmées en noir et blanc, tandis que les séquences où l’on voit les souvenirs du passé de la vieille dame sont en couleurs (c’est d’ailleurs la seule fois parmi ses sept courts que Polanski a recours à la couleur).
Une certaine poésie se dégage de ce film, visuellement splendide. On aimerait à ce titre voir les films de diplôme des camarades de Polanski, car si tous sont du même niveau, il est certain qu’on ne perdrait pas son temps à les visionner !
Quand les anges tombent est dépourvu de l’humour plus ou moins grinçant qui caractérisait presque tous les titres précédents. Le ton est résolument dramatique, et si l’on devait faire le rapprochement avec un long-métrage du cinéaste, nul doute qu’on évoquerait Tess. Dans les deux cas, c’est une femme qui est le personnage principal, et dans les deux cas, leur destinée est plus ou moins tragique. Encore peut-on voir une note optimiste à la fin de Quand les anges tombent...
Nous l’avons vu plus haut, les seules séquences de guerre que Polanski ait filmées (si l’on excepte une ou deux séquences du Pianiste, qui montre de rapides batailles dans la rue) sont contenues dans ce court-métrage : la violence qui y est montrée est à rapprocher de la mise à mort dans Meurtre et du pugilat général de Cassons le bal ; mais ici, bien entendu, l’ampleur est plus importante, et en l’espace de quelques courtes séquences, Polanski nous montre un certain dégoût de la guerre (lui-même ayant connu la chose).
Enfin, côté mise en scène, le cinéaste s’est surpassé, nous offrant des plans très élaborés, sophistiqués, toujours au service de son histoire. Quand les anges tombent est à lui seul un parfait exemple de la maîtrise cinématographique, tant narrative que technique, du jeune Polanski, et ce, dès ses premiers petits films.

Les mammifères, qui marque la fin d’une époque pour Roman Polanski (c’est d’une part son dernier court-métrage avant de passer au long, et c’est, après Le gros et le maigre, son deuxième tournage en dehors de l’école de Lodz), est lui aussi, à plus d’un titre, annonciateur de la suite : pour commencer, l’image qui baigne dans un blanc immaculé (de la neige à perte de vue) et le traîneau utilisé par les deux personnages évoquent bien entendu le début du Bal des vampires. Et l’on peut ajouter comme autre point commun les deux personnages, des hommes, qui font penser d’un côté à Deux hommes et une armoire et de l’autre aux longs-métrages déjà mentionnés, qui ont pour héros deux hommes. La similitude va plus loin : il y a comme un perpétuel rapport de force entre les deux ‘mammifères’ de ce petit film : et c’est bien un rapport similaire que l’on retrouve dans Le bal des vampires (le jeune Alfred obéit au Professeur Abronsius) et dans Pirates (La Grenouille est sous les ordres du Capitaine Red). Dans Les mammifères cependant, le dominant et le dominé intervertissent les rôles tout au long de l’histoire.
Le film, tourné en noir et blanc, utilise toutes les ressources possibles pour bluffer le spectateur : ainsi, l’un des personnages a l’idée, à un moment donné, de se recouvrir de blanc, et disparaît dans le décor. Toujours sans paroles, c’est la musique de Komeda qui couvre la plus grande partie du métrage, et pour la seconde fois, l’influence de Chaplin est palpable, tant visuellement que musicalement.
On trouve enfin dans Les mammifères un écho au pansement sur le nez de Jack Nicholson dans Chinatown : l’un des personnages fait mine d’être blessé au nez et se bande alors en partie le visage.
Le ton de ce court-métrage est assez humoristique et s’avère être par conséquent le plus léger des sept films proposés.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par John Anderton - le 13 juin 2003