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Critique de film
Le film
Affiche du film

Melody

L'histoire

Daniel Lattimer (Mark Lester) se lie d'amitié avec Ornshaw (Jack Wild), un garçon perturbateur. Un jour, Daniel tombe amoureux de Melody Perkins (Tracy Hide) et ils annoncent à leurs parents leur intention de se marier, non pas à l'avenir, mais dès maintenant. Cependant, les adultes, les parents comme les professeurs, ne les prennent pas au sérieux. Ornshaw non plus car il pense que Melody lui vole son ami. Plus tard cependant, Ornshaw et leurs autres camarades aident le jeune couple.

Analyse et critique

Melody est un des plus beaux films évoquant le monde de l'enfance, et une merveille injustement méconnue du cinéma britannique. On retient surtout le film pour être le premier script pour le cinéma d'Alan Parker (affirmant son intérêt pour ce monde de l'enfance avant le Bugsy Malone (1976) en culotte courte qu’il réalisera). Le film dépeint plus précisément l'ère de la préadolescence, ce moment coincé entre la candeur de l'enfance et les premiers émois amoureux maladroits de l’adolescence, les prémices d'une affirmation de soi. C'est le sentiment que vivent Daniel (Mark Lester) et Ornshaw (Jack Wild), deux jeunes écoliers aux antipodes l'un de l'autre. La scène d'ouverture dévoile en partie le propos en introduisant nos deux héros embrigadés bien malgré eux dans la fanfare locale. Lors du minutieux examen des uniformes, Orsnshaw débraillé et désinvolte raille l'adulte inquisiteur tandis que le plus introverti Daniel est tiré à quatre épingles tout en avouant ne pas saisir les raisons de sa présence. Le caractère franc et innocent de Daniel fonctionne ainsi en complément de celui renfrogné d’Orsnshaw. Waris Hussein s'attarde longuement sur leur amitié naissante, scrutant leur différence de classe sociale et un quotidien où pour chacun s'exprime la faillite des adultes.


Entre un père immature et une mère snob, Daniel est comme invisible, suscitant l'indifférence (cf. une scène de dîner au montage remarquable où la boucle de plans répétitifs est brisée par une bêtise de Daniel, seul moyen d'attirer l'attention) ou le repli lâche (l'absence de réaction de sa mère quand il s'exerce au dessin avec des revues de charme). Cette invisibilité répond à celle des parents d’Orsnshaw que l'on ne verra jamais, puisqu'ils le laissent livré à lui-même. L'espace de l'école catholique qu'ils fréquentent reflètera cette idée avec des professeurs assénant dogmes et châtiments corporels sans passion ni explications (Orsnshaw rabroué par un professeur de latin rigide). En contrepoint nous aurons donc ce monde de l'enfance, merveilleusement capturé dans l'espace de l'école avec la caméra de Waris Hussein accompagnant, entre style documentaire et pure poésie, les pérégrinations des élèves. Salles de classe agitées, selfs bondés, récréations où chacun vaque à des occupations diverses, tout cela est scruté avec grâce et réalisme, et s'étend avec plus de libertés à la sortie de l'école où Daniel et Ornshaw se baladent à Londres. Le réalisateur propose une vraie imagerie bigarrée de la ville, de sa population métissée, de ses quartiers nantis et ceux plus difficiles, des terrains vagues constituant autant d'espaces de jeu pour nos deux héros et leur bande.


Peu à peu, cet univers se trouve contaminé par une préoccupation toute nouvelle : les filles. Celles-ci constituent d'abord un objet qu'on ignore, puis qu'on observe de loin (les garçons lorgnant une leçon de danse) et enfin duquel on tombe amoureux lorsque Daniel sera sous le charme de Melody (Tracy Hide). Approfondissant moins l'univers des fillettes, le scénario ne s'en montre pas moins juste tant dans leur maturité précoce (ça se préoccupe des garçons et s'entraîne déjà à s'embrasser) que par une faillite des parents s'exprimant de façon fort différente. Le père joué par Roy Kinnear sera plus causant avec Daniel que sa propre fille, en bonne promiscuité masculine attendue ; et à l'absence des parents des personnages de garçons répond l'omniprésence de la mère et de la grand-mère de Melody (notamment dans une hilarante scène où une explication trop vague de Melody leur laisse croire qu'elle a croisé la route d'un pervers). Dès lors, ce cadre de l'enfance savamment dépeint devient aussi celui d'une séduction maladroite de Daniel, Waris Hussein excelle à illustrer l'entre-deux des mondes des garçons bruyants et puérils (vers lequel est irrémédiablement retenu Daniel par le tapageur Ornshaw) et celui des filles dont il tente de se rapprocher non sans mal. Tout cela est narré en situation, dans un va-et-vient entre l'intime et le collectif où les vrais sentiments se révèlent furtivement sous la posture adoptée face aux camarades. Le charisme et le naturel du trio de héros est pour beaucoup dans le charme de l'ensemble, Tracy Hyde (une enfant mannequin dont c'est le premier rôle) imposant une présence lumineuse, tandis que Mark Lester et Jack Wild (tous deux plus expérimentés et déjà réunis dans Oliver ! (1968) de Carol Reed) se complètent parfaitement entre un silencieux rêveur et un Gavroche tapageur.

Tous s'estompe et plus rien n'existe que l'autre dans la dernière partie où s'épanouit enfin l'histoire d'amour. L'espace se restreint et tout ce qui concerne le monde extérieur à la romance s'avère oppressant : les railleries des camarades, les cours qui les obligent à se séparer, les adultes incrédules face à cet attachement. Là encore, pas de dialogues superflus, le charme du couple juvénile, la mise en scène ample de Waris Hussein et la superbe photo de Peter Suschitzky suffisent à façonner un écrin chatoyant et intime pour les personnages (la superbe scène du cimetière sous la pluie). L'autre atout majeur repose sur la magnifique bande originale des Bee Gees dont les chansons (In the Morning, Melody Fair, Give Your Best, To Love Somebody, First of May) se substituent aux dialogues, apportent un lyrisme, une consistance et finalement une vérité qui ne fera jamais prendre cette romance à la légère - même quand il sera le plus sérieusement du monde question de mariage. Un élan de rébellion fort ludique fait le triomphe de l'utopie enfantine et amoureuse dans une magnifique conclusion, la dernière image éloignant Daniel et Melody de toutes les entraves du monde des adultes. Le film sera hélas un échec en Angleterre et aux Etats-Unis, mais fera un triomphe au Mexique et au Japon où Tracy Hyde deviendra une véritable icône (une production japonaise autour d'elle faillit se faire dans les années 70 et les Japonais iront la traquer en Angleterre dans les années 90 pour un reportage alors qu'elle est retirée du métier). Mais surtout, c'est une des œuvres de chevet d'un certain Wes Anderson qui y puisera une inspiration évidente pour son merveilleux Moonrise Kingdom (2012).

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Extrait d'un reportage japonais réunissant le casting en 1999

Par Justin Kwedi - le 20 novembre 2020