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Critique de film
Le film
Affiche du film

Magnum 44 spécial

(La Legge violenta della squadra anticrimine)

L'histoire

A Bari, Dante Ragusa règne sur la ville, par la corruption et le meurtre. Le commissaire Jacovella échoue systématiquement à faire chuter son empire, devant faire face à des procès truqués et des témoins silencieux, ou réduits au silence. Ses méthodes, violentes, sont largement critiquées par Maselli, le patron du journal local, qui comprend le combat de Jacovella mais conteste ses méthodes. Un jour, lors d’un braquage, le jeune Antonio Blasi abat un policier, puis prend la fuite en volant la voiture du frère de Ragusa, qui contient des documents compromettants. La police, la mafia et la presse se mettent à sa poursuite.

Analyse et critique

De tous les artisans qui ont fait le succès du cinéma de genre durant l’âge d’or du cinéma italien, Stelvio Massi est peut-être celui que l’on peut le plus clairement associer au Poliziottesco, genre dans lequel il s’est presque exclusivement exprimé après son passage à la réalisation au milieu des années 70 et jusqu’au début des années 80, au moment où la chute du modèle de production italien l’obligera à se consacrer à des travaux purement alimentaires. Il faut dire que Massi passe à la mise en scène en plein essor du genre. Rien de plus logique, alors qu’il avait travaillé sur de nombreux western en tant que directeur de photographie, que de le voir prendre en marche le train du filon le plus en vogue. Ce qui peut surprendre, en revanche, c’est la subtilité du regard politique et social qu’il développe dans ses premières œuvres, dès Brigade Volante, puis dans le diptyque qu’il consacre au personnage du commissaire Mark Terzi, Marc la gâchette et Un Flic voit rouge et donc dans Magnum 44 Spécial. Une caractéristique qui doit certainement autant aux préoccupations du cinéaste qu’à sa collaboration récurrente avec le scénariste Dardano Sacchetti.


Magnum 44 Spécial présente une situation relativement classique, celle d’une petite ville, Bari, sous la coupe d’un mafieux influent contre lequel tente de lutter un flic qui a le sentiment, comme l’expriment régulièrement les dialogues des polars italiens, d’avoir les mains liées. Ce qui change, c’est d’abord la complexité du personnage de flic, le commissaire Jacovella. Prêt comme ses alter-ego à enfreindre les règles pour arriver à ses fins, usé par les non-lieux qui remettent dans la rue les mafieux comme l’illustre la scène du procès en début de film, il conserve une volonté d’éducation morale, il reste un homme qui croit encore à sa mission. C’est pour cela qu’il rosse le jeune voleur de cigarette, pour l’empêcher de sombrer du mauvais côté de la ligne rouge, et c’est pour cela qu’il remotive ses hommes face aux critiques des journaux et face au cadavre de leur collègue, abattu lors du casse du camion blindé. Jacovella n’est pas une réplique des flics incarnés par Maurizio Merli, exemples typiques des personnages du genre, il est plus mesuré, on sent la fibre sociale du personnage dans le jeu fin de l’excellent John Saxon. Jacovelli n’est pas seulement là pour nettoyer les rues l’arme au poing, sans réfléchir aux conséquences.


Autre singularité, celle du personnage d’Antonio Blasi, le jeune homme dont la vie va basculer en participant au casse du camion blindé. Il est le personnage qui incarne la fin du miracle économique italien. Pour pouvoir sortir de sa condition et grimper l’échelle sociale, pour simplement pouvoir se marier et permettre à sa famille de vivre, il doit passer du côté d’une violence qu’il réprouve. Pour preuve son remord immédiat alors qu’il tue le policier lors du braquage, une scène très rare dans un genre qui regorge de criminels sans vergogne. Ce personnage, incarné par un Lino Capolicchio plus habitué au cinéma d’auteur et pourtant très à l’aise dans le film, oriente le propos vers une thématique plus souvent présente dans la comédie à l’italienne que dans le polar, celle du mirage qu’a constitué le miracle économique, et la condition précaire de la jeunesse italienne qui s’enfonce dans l’ombre, ce qui est traduit par l’assombrissement progressif des décors dans lesquels évolue Blasi tout au long du film.


Magnum 44 Spécial introduit également une composante rare, celle de la presse, qui vient s’immiscer entre policiers et criminels pour alimenter le débat moral proposé par le film. Maselli, le patron du journal local, s’oppose à Jacovella sur ses méthodes mais n’est pas, d’une manière simpliste, la voix d’un lobby anti-police. Comme Jacovella, il ne dort pas, et s’engage totalement dans son enquête pour trouver Blasi et le sauver, de son point de vue, de la police comme de la mafia. Cours-t-il après un idéal de justice ou veut-il simplement gonfler les ventes de son journal ? Les deux, Massi ne tranche pas, et filme tout à la fois la course de Maselli vers le sensationnel et son idéal de justice, sa volonté d’éduquer ses lecteurs pour sortir de la logique de violence impliquant police et crime organisé qui va tuer Blasi. Massi filme ainsi trois pouvoirs italiens, la Police, le Crime et la Presse. Alors que le polar met généralement au prise les deux premiers, pour démontrer à quel point les deux sont des rouages équivalents dans la violence qui ravage l’Italie des années 70, Magnum 44 Spécial ajoute avec la Presse une donnée supplémentaire dans l’équation, qui vient à la fois ajouter du danger dans la société, en exposant ici Blasi, dont la vie est menacée, mais qui incarne aussi une porte de sortie, une solution morale à la situation dramatique de l’Italie des années 70. C’est d’ailleurs le constat que fait le mafieux Ragusa lorsqu’il dit que le journaliste Maselli est son ennemi le plus dangereux, comprenant que son message est la menace la plus dangereuse à la spirale de la violence dont il profite largement. Ragusa lui-même un mafieux inhabituel. Puissant, violent et ayant accès par la corruption au pouvoir politique, il a le statut de nombreux mafieux cinématographiques, mais sa cécité lui donne une posture différente. Il est très influent sur un cercle très proche, mais concrètement aveugle au reste du monde, on comprend qu’il ne perçoit en aucun cas son impact, ni même son pouvoir finalement limité aux quelques hommes de main qu’il connaît. Ragusi est un homme très puissant, comme on le voit dès l’ouverture du film, mais aussi très isolé et finalement très limité, un personnage complexe brillamment interprété par le vétéran Lee J. Cobb, qui collaborait alors pour la quatrième fois avec Massi, et dont on sent une véritable implication dans le rôle.


Comme dans ses précédents films, notamment ceux consacrés au personnage de Mark Terzi, Massi passe avec Magnum 44 Spécial par tous les codes du genre, filmant des poursuites, des scènes de violence policière, de fusillade, de corruption, mais il n’en fait pas l’essence absolue de son film, se concentrant plus volontiers sur son dispositif politique. Massi n’étend pas plus que nécessaire les scènes d’action et de violence, les utilisant pour ce qu’ils sont, des points de passage nécessaire à l’avancée du récit, mais sans en faire le cœur de son film. Massi cherche à comprendre une situation, et ce qu’elle est dans l’esprit du public, ce qui explique la présence du journaliste, vecteur naturelle de l’information vers la population. Magnum 44 Spécial par d’un postulat exprimé par Jacovella en début de film, celui selon lequel les héros d’aujourd’hui sont les bandits. Jacovella pense combattre cet état de fait en dépassant les règles, Maselli par l’éducation. Jacovella reconnaît lui-même que Maselli a raison, mais il constate aussi que c’est la police qui se fait tuer. Une équation difficile à résoudre, à tel point que la conclusion du film laisse un goût amer. Baldi a tué un flic, participé à un casse, mais nous ne voulons pas sa mort, qui apparait comme un échec de la police comme du journal, un succès du système violent de Ragusa, que l’on peut imaginer perdurer malgré son arrestation. Magnum 44 Spécial ne propose ainsi aucune conclusion définitive, se tenant éloigné de tout manichéisme et de toute position extrême, grâce à une écriture riche, qui est probablement le fait de Dardano Sacchetti, collaborateur régulier de Massi, mais aussi grâce à une mise en scène intelligente qui est elle le fait de Massi, et que l’on retrouve dans plusieurs de ses polars et font de lui un des véritables auteurs du genre.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 14 mars 2024