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Critique de film
Le film
Affiche du film

Lune de miel mouvementée

(Once Upon a Honeymoon)

L'histoire

Autriche, 1938, à la veille de l’Anschluss. Pat O’Toole, un journaliste de la radio américaine en poste à Vienne tente désespérément d’approcher le riche Baron Von Luber qu’il soupçonne d’être un espion à la solde des Nazis. Il profite du prochain mariage du Baron avec une jeune Américaine Katie O’Hara pour s’introduire dans sa demeure en se faisant passer pour le tailleur. Il fait alors la connaissance de la belle et piquante fiancée qui ignore tout des activités de son futur mari. O’Toole est séduit par la jeune femme et finit par tomber amoureux d’elle tout en suivant le couple en déplacement dans l’Europe orientale. Quand Katie apprend la véritable identité de son époux, elle se fait passer pour morte lors du bombardement de Varsovie et s’enfuit avec Pat en voyageant jusqu’à Paris occupé par les Allemands.

Analyse et critique

Les films mêlant le drame et la comédie dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation nazie ne sont pas légion dans l’histoire du cinéma, et pour cause. Dans ce domaine particulier, deux œuvres phares originaires de l’âge d’or hollywoodien ont marqué les esprits des spectateurs à tout jamais : Le Dictateur (1940) de Charles Chaplin et To Be or Not to Be (1942) d'Ernst Lubitsch. 1942 justement, l’année de sortie de Lune de miel mouvementée, film presque totalement éclipsé par le chef-d’œuvre de Lubitsch. Etrangement, c’est exactement ce qui s’est produit pour le cinéma de Leo McCarey, lui aussi éclipsé par la plupart des hagiographes cultivés et des écrivains de cinéma au profit des œuvres de ses contemporains. Pourtant McCarey a toute sa place dans l’univers tant loué de la comédie américaine (et de la screwball comedy en particulier) aux côtés des illustres Frank Capra, Ernst Lubitsch, Howard Hawks, Preston Sturges ou Gregory La Cava. D’autant plus, et c’est là le plus étonnant, que McCarey connut à plusieurs reprises des succès retentissants au box-office ; il fut même l’artiste hollywoodien ayant engrangé le plus de bénéfices pour l’année 1944 (un million de dollars !) grâce au triomphe public de son film La Route semée d’étoiles (Going My Way, 1943) avec Bing Crosby.

Leo McCarey, qui fréquenta une école catholique dans sa jeunesse (ce qui aura son importance par la suite), fit des études de droit mais se révéla un avocat pitoyable. Mélomane et joueur de piano, il tenta ensuite une carrière comme compositeur mais ne remporta aucun succès dans ce domaine. Dépité, McCarey fit son entrée dans le milieu du cinéma en travaillant comme employé de bureau chez Mack Sennett. Puis il entra aux studios Universal en 1919 où il devint l’assistant du célèbre Tod Browning (L’Oiseau noir, 1926 ; L’Inconnu, 1927 ; Dracula, 1931 ; Freaks, 1932). Après quatre ans d’apprentissage à Universal, il fit la rencontre de sa vie en la personne de Hal Roach qui l’engagea dans ses Studios en 1923. Il gravit rapidement tous les échelons de la compagnie pour en devenir le vice-président en l’espace de deux années. McCarey abattit une somme de travail monumentale pour Roach. Débutant comme gagman puis devenant vite réalisateur, il eut à superviser près de 200 films courts et fit travailler les plus grandes stars du burlesque de l’époque : Charley Chase, Harold Lloyd, Eddie Cantor ou W.C. Fields. Jusqu’aux géniaux Marx Brothers qu’il dirigera dans Soupe au canard en 1933 (bien après avoir quitté le Studio Hal Roach en 1929), sans doute l’un de leurs meilleurs films grâce à la rigueur et au sens du rythme du cinéaste, bien que cette œuvre ne lui tint pas vraiment à cœur. Le plus grand fait de gloire de McCarey durant sa période burlesque fut certainement d’avoir créé le célèbre duo comique Laurel et Hardy dont il supervisa la majorité des courts métrages. Cette lourde contribution au burlesque américain ne fut connue que bien des années plus tard. Il acquit à cette époque tout ce qui fera le sel de son cinéma des années 30 : un sens du rythme haletant, des ruptures de ton inusuelles pour cette époque, une ironie mordante mais sans amertume, l’attention portée aux moindres détails d’une scène (et l’utilisation des seconds rôles en contrepoint) et une forte touche de romantisme. Cette sacrée vérité (1937), qui lui valut son premier Oscar, et Elle et lui demeurent ainsi parmi les plus grandes réussites de la comédie américaine de cette décennie bénie alors que le style visuel du cinéaste ne fut pas des plus identifiables.

Leo McCarey, désirant rapidement faire cavalier seul et prendre son indépendance, commença à cumuler tous les postes créatifs importants : scénariste, réalisateur et producteur. Car le cinéma ne fut pas pour lui qu’un simple spectacle comique mais aussi un vecteur d’émotions vraies et un lieu susceptible de délivrer des idées fortes. McCarey fut un être étroitement concerné par les problèmes de société, non pas d’un point de vue "libéral" (au sens américain du terme, donc de gauche) mais de celui d’un homme profondément catholique. Son chef-d’œuvre, Place aux jeunes (1937), traite de la place des personnes âgées dans la société avec une grande intelligence, une clairvoyance amère, un bon esprit toujours affûté et beaucoup d’émotion. Sa foi et son éducation le conduisirent parfois à une certaine lourdeur et un prosélytisme appuyé comme dans Les Cloches de Sainte-Marie (1945), ou bien à mettre en scène des pamphlets anticommunistes peu subtils comme My Son John (1951) ou encore son dernier film Une histoire de Chine (1961). Mais McCarey reste incroyablement juste, malicieux et émouvant lorsqu’il évoque les principes fondateurs de son pays ou le sentiment d’appartenance à une communauté d’esprit et de cœur. Le formidable L’Extravagant M. Ruggles (1935), qui met en scène un majordome anglais exilé aux Etats-Unis suite à la perte par son maître d’une partie de poker, témoigne de son attachement profond à ces valeurs sans que jamais il perde de son humour piquant. Ce film rejoint les plus grandes réussites de Frank Capra dans l’exaltation des valeurs positives américaines et de la communion spirituelle. Le cinéma de Leo McCarey s’assombrit nettement après la Seconde Guerre mondiale, car le déchaînement de violence et de haine le perturba profondément. Mais ce nouvel état d’esprit ne fit qu’enrichir encore plus l’une de ses plus belles œuvres : son propre remake d'Elle et Lui (An Affair to Remember, 1957), un film d’une grande beauté plastique, entre comédie pimpante, romance charmeuse et enjouée, profond désenchantement, émotions à fleur de peau et croyance profonde en l’avenir. Ce que le remake perdit en efficacité comique, il le gagna en profondeur thématique. Mais les deux films ne cesseront jamais de diviser les cinéphiles, entre défenseurs de l’original et partisans de sa relecture.


Lune de miel mouvementée se situe à une époque charnière, après les grands succès comiques des années 30 et avant les effets de la Deuxième Guerre mondiale (quatre années séparent ce film et Elle et lui). Leo McCarey sort également d’une période difficile de deux ans (1940/1942) au bout de laquelle il met fin à une association sans résultats créatifs avec le milliardaire producteur Howard Hughes. Le cinéaste connut quelques démêlés avec le studio lors du tournage de Lune de miel mouvementée et le film s’en ressent peut-être. Cependant les allers-retours entre comédie pure et drame se font de manière assez fluide, même s’ils peuvent désarçonner le spectateur peu habitué à ce type d’association. La réussite relative de ce film provient sûrement de la propension qu’a généralement le réalisateur de s’écarter de l’intrigue principale pour donner plus d’importance aux comportements de ses personnages, à leurs gestuelles particulières et à leurs situations tragi-comiques. Pris par la main par les comédiens, nous sommes censés passer du rire aux larmes, un peu comme Pat O’Toole et Kate O’Hara voyagent de ville en ville. Certes, le film fait partie de ces œuvres de propagande initiées par Hollywood pour supporter l’effort de guerre, et le triomphe patriotique est évidemment asséné sans atermoiements. Mais il faut rappeler que ce genre particulier connut presque autant de réussites artistiques que d’échecs . Ici nous prenons un certain plaisir à suivre les déambulations de nos deux apprentis espions épris l’un de l’autre, même si l’on eût souhaité une plus grande rigueur dans la narration. Car le film souffre de quelques longueurs et l’art de la digression propre à McCarey fonctionne moins qu’à l’accoutumée. On pourrait ajouter que la "McCarey’s Touch" se marie souvent difficilement avec une trame typiquement hitchcockienne (le suspense politique en temps de guerre).

Aujourd’hui, en effet, le film nous paraît bien maladroit dans le traitement de l’actualité dramatique de l’époque. Entre deux éclats de rires distillés par Cary Grant et Ginger Rogers, Lune de miel mouvementée passe assez superficiellement sur les épisodes tragiques qu’il est censé mettre en relief. Si la sincérité de McCarey ne peut être mise en doute, la succession de saynètes dramatiques sans profondeur minimisent leur portée tragique. Avancées et conquêtes nazies, scènes de meurtre, destruction massive de villes, fuite des Juifs, évocation des camps de concentration (auxquels échappent les deux héros qui y évoluent un peu comme des touristes alors qu’ils sont pris pour des Juifs...) : tout cela apparaît un peu léger et souvent caricatural. Bref, c’est souvent à juste titre que ce film de McCarey est éclipsé par les chefs-d’œuvre intemporels de Chaplin et Lubitsch cités en début d’article. Cela dit, une excellente idée de mise scène, que n’auraient pas reniée les deux artistes précités, ouvre Lune de miel mouvementée et revient scander le récit au fur et à mesure de la progression des troupes allemandes : une horloge singulière dont les aiguilles sont remplacées par une svastika.

Pourtant, on trouvera matière à se réjouir grâce à l’abattage du couple vedette. Cary Grant et Ginger Rogers affichent un tel charisme et véhiculent une telle énergie que nos réserves vis-à-vis du film parviennent à s’effacer par instants. Les quelques bons mots contenus dans les dialogues et les ruptures de ton du récit trouvent un réceptacle formidable dans leur association. Déjà lauréate d’un Oscar pour Kitty Foyle (1940) de Sam Wood, Ginger Rogers prouve qu’elle fut également une bonne comédienne et non pas seulement une danseuse hors pair. On ne remerciera jamais assez les spécialistes de la comédie tels que McCarey, Billy Wilder ou La Cava de nous avoir fait profiter de son tempérament de feu et de son élégance. Cary Grant, quant à lui, est fidèle à lui-même. Charmeur, mondain, distingué, pince-sans-rire, il illumine l’écran de sa classe et de ses saillies jouissives. Le troisième larron de cette farce tragi-comique est interprété par l’acteur viennois Walter Slezak, régulièrement cantonné à Hollywood dans des rôles de méchants fourbes et malins (il a souvent joué des espions et des pirates). Slezak fut présent dans plusieurs films contemporains de Lune de miel mouvementée produits par la RKO, tels que Vivre libre (Jean Renoir, 1943), The Fallen Sparrow (Richard Wallace, 1944), Pavillon noir (Frank Borzage, 1945) ou Sinbad le marin (Richard Wallace, 1947). On relèvera aussi la présence de la comédienne Natasha Lytess, une actrice peu prolifique (cinq films) plus connue pour avoir été la première coach et répétitrice de Marilyn Monroe et donc la terreur des réalisateurs qui la trouvaient trop envahissante sur les tournages.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 3 septembre 2003