Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Vainqueurs

(The Victors)

L'histoire

Quelques histoires courtes à propos de l'horreur de la guerre, pendant la seconde guerre mondiale, qui montrent que l'individualisme fait toujours perdre.

Analyse et critique

Grand scénariste et producteur hollywoodien, Carl Foreman sort de deux énormes succès avec les scripts de Le Pont de la Rivière Kwai et Les Canons de Navarone lorsqu'il décide de passer enfin derrière la caméra pour donner sa vision de la Seconde Guerre Mondiale.

J'ai fait Les Vainqueurs parce que je voulais dire que nous avions perdu la guerre, que tout ce moment d'espérance qui avait secoué le monde n'avait abouti à rien, qu'il n'y avait plus de cause, plus d'espoirs, que les hommes étaient morts pour rien.

Victime du Maccarthysme et placé sur la liste noire suite à son passé communiste et son refus de donner des noms à la commission des activités anti-américaines (son scénario de Le Train sifflera trois fois produit à l'époque de ses démêlées est souvent vu comme une allégorie du Maccarthysme) Foreman tirera de ses douloureuses expériences une profonde amertume sur le genre humain bien résumé dans cette note d'intention sur sa vision de The Victors. Le film est une adaptation de The Human Kind, troisième et dernier volet d'une série de romans de l'auteur britannique Alexander Baron et basé sur sa propre expérience du front. Le film fonctionne un peu (en beaucoup moins niais) sur le principe de Le Cri de la Victoire de Raoul Walsh, c'est à dire ne reposant pas sur les combats mais plutôt sur les expériences humaines vécues par les soldats. La narration obéit à un motif narratif répétitif qui mêle constamment la grande Histoire avec les destins collectifs comme individuels. Le film s'ouvre ainsi sur des actualités, où les informations les plus futiles (les chorus girl qui testent les équipements militaires) se mêlent aux plus essentielles, nous informant sur la période et le cadre du conflit pour ensuite introduire le groupe de personnages que nous allons suivre. On commence ainsi d'abord dans le chaos de la Bataille d'Angleterre, suivra ensuite la campagne d'Italie puis la reconquête suivant le débarquement en France, et en conclusion Berlin tronçonnée annonçant les heures sombres de la Guerre Froide.

Le ton se fait léger et tendre dans un premier temps avant que le désespoir contamine progressivement le film, sans retour possible. L'épisode italien est donc l'occasion de joyeux moments comiques avec notre groupe de soldats dissipé qui mène la vie dure à leur sergent joué par Eli Wallach en dévalisant les boutiques des villes abandonnées, courant les femmes ou mettant à sacs les caves à vin délaissées par leurs propriétaires. En quelques vignettes on s'attache immédiatement à ses soldats où sont surtout mis en avant George Peppard (grand habitué de l'uniforme à l’écran) et George Hamilton. C’est dans ces premiers instants que Foreman laisse court à sa facette la plus tendre avec la romance (presque) platonique entre un soldat américain et Rossana Schiaffino, même si la douleur n'est jamais loin puisqu'elle élève un bébé mis au monde suite au viol d'un allemand. Ombres et lumières s'alternent ainsi lors de ses rares instants de répit comme la poignante intimité qui s'instaure un court instant entre Eli Wallach et Jeanne Moreau, terrorisée par le bombardement et qui va trouver refuge dans le lit du soldat.

Pour le reste le constat est très noir et l’on n’a même pas besoin de se confronter à l'ennemi pour perdre toute fois en l'humanité : tabassage en règle des noirs dans l'armée américaine, profiteurs de guerre cyniques menant la grande vie, filles à soldats avides dénuées de tout sentiments (dont un épisode assez douloureux avec Romy Schneider), soldats qui abattent un chiot auquel s'était attaché un camarade (tout jeune Peter Fonda)... Les deux instants les plus marquants restent cependant une cruelle fusillade pour désertion d'un jeune soldat le soir de noël avec les chants donnant un terrible contrepoint à la situation et surtout la conclusion où un soldat russe et américain s'entretuent de la manière la plus stupide qui soit.

En dépit de cette touche intimiste le film n'en oublie pas d'être très spectaculaire par instants et offre des vues impressionnantes du Londres sous les bombes de 1942 ou encore Berlin en ruines durant l'épilogue, le tout reconstitué à grande échelle en studio (les extérieurs se partageant entre la Suède, l'Angleterre et la France. Pour un premier (et unique) film, Foreman délivre un objet formellement impressionnant avec un scope parfait et un noir et blanc somptueux de Christopher Challis. Un grand film de guerre désespéré qui ose même alors que le sujet était encore tabou à l'époque montrer les camps de la mort et ses prisonniers décharnés le temps d'une terrible séquence. Rarement un titre de film aura eu un tel fossé avec son contenu.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 16 juin 2023