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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Prédateurs

(The Hunger)

L'histoire

Miriam est une femme-vampire née en Egypte il y a 4 000 ans. Elle possède le don de l'immortalité et de la jeunesse. Elle vit désormais à New York, avec son compagnon John depuis 300 ans. John est alors frappé d'un processus accéléré de vieillissement. Afin de tenter de le sauver, Miriam rencontre la séduisante Sarah, docteur spécialiste des mécanismes du vieillissement, sur laquelle elle jette son dévolu...

Analyse et critique

On peut réellement se demander ce qu’aurait pu être la carrière de Tony Scott si cet inaugural The Hunger avait été un succès. Son attrait pour le cinéma se révèle lorsqu’il tourne à seize ans dans le court métrage de son frère Ridley, Boy and Bicycle. Ces prémisses annoncent la comparaison constante qui se fera entre leurs deux carrières, toujours et injustement au détriment de Tony. Son parcours - diplômé en arts graphiques de la Sunderland Art School et du Royal College of Art de Londres puis une longue carrière dans la publicité - restera ainsi dans le sillage de Ridley Scott jusqu’à ce premier film dont le style visuel doit encore beaucoup à son aîné, tout comme la thématique avec le questionnement existentiel que partagent les réplicants de Blade Runner (1982) et les vampires des Prédateurs.

Le film adapte le roman éponyme de Whitley Strieber et s’avère tout simplement une des plus belles relectures modernes du mythe du vampire. Tony Scott débarrasse en grande partie l'intrigue de tout le folklore vampirique que constituent l'ail, la lumière du jour mortelle ou encore la crainte des symboles religieux. On ne gardera ici que la notion d'immortalité rattachée à l'addiction et à la consommation de sang, le statut de vampire conservant son mélange de séduction et de malédiction mais dans une approche inédite. Le vampirisme repose ici avant tout sur une notion d'amour et de soumission. Miriam (Catherine Deneuve, glaciale et troublante), femme vampire vieille de 4 000 ans, transforment ainsi en vampires les hommes et les femmes dont elle s'est entichée et leur offre par la même occasion l'immortalité. Ce don a pourtant un prix : l'amour de Miriam doit demeurer intact sans quoi le compagnon verra son vieillissement reprendre et s'accélérer jusqu'à un terrible statut de relique momifiée ne pouvant même pas se réfugier dans une mort paisible. C'est le sort terrible qui attendra John (David Bowie) après 300 ans de vie commune, qui dépérit à vue d'œil à mesure que l'amour de Miriam se tarit et surtout quand elle croise la route de la scientifique Sarah (Susan Sarandon).


La soif de sang n'est que l'aboutissement de cet assujettissement sur lequel repose le vampirisme dans le film. Ainsi Sarah est perdue dès sa première rencontre et les regards troubles échangés avec Miriam, comme un poison qui s'insinue déjà. Cela aboutira à une morsure accompagnant une scène saphique sensuelle qui fera date à l'époque. Visuellement, Tony Scott innove en transposant grandement toute l'esthétique publicitaire sophistiquée dont il est issu mais toujours à bon escient. Le récit fonctionne ainsi à deux vitesses, entre le monde normal et celui des vampires. La notion de temps étant toute différente pour les créatures immortelles, Miriam et John semblent constamment comme évoluer au ralenti et figés dans leur demeure, baignant dans la naphtaline que tisse la photographie diaphane de Stephen Goldblatt et à peine plus animés que les nombreux vestiges du passé qui décorent chacune des pièces. A l'inverse, le monde extérieur retrouve une imagerie plus terre-à-terre ; et lorsque nos vampires y évoluent, ils sont diminués physiquement (Bowie et son affreuse dégénérescence) ou alors conservent leur splendeur intacte mais sous la forme de visions et sans incarnations matérielles telle Catherine Deneuve se reflétant dans les miroirs et les songes d'une Susan Sarandon perturbée.


Tony Scott par ce grand souci formel déploie également d'emblée son brio de narrateur. The Hunger fait partie de ces films que l'on peut s'amuser à suivre en ayant coupé le son et dont l'intrigue demeure limpide. L'ouverture en boîte de nuit sur fond de Bauhaus révèle ainsi d'entrée la relation tordue et dépravée du couple John/Miriam, autant par les paroles incantatoires du titre Bela Lugosi's Dead (I'm Dead I'm Dead I'm Dead !) que par le savant montage alterné entre danses, scènes d'amour et mise à mort, pas loin des expérimentations d'un Nicolas Roeg mais en plus accessible. C'est quand cette imagerie léchée et ouvertement kitsch (les flash-back sur le lointain passé égyptien de Miriam) s'entrechoque avec le cadre contemporain que le récit bascule, les écarts sanglants commis par Susan Sarandon étant bien plus crus que les tueries raffinées du début du film. On le comprend aussi par cette opposition constante entre la science et l'irrationnel dans cette vision du vampirisme. Ce sont les signes annonciateurs d'une Miriam perdant de son emprise, jusqu'à un final cauchemardesque où les anciens amant(e)s vont enfin trouver le repos.

Le cycle peut alors recommencer dans une somptueuse conclusion où l'irréalité et la beauté de l'image nous ramènent dans l'univers des vampires mais avec une nouvelle maîtresse du jeu. Tony Scott arbore déjà mais de manière recherchée (le Trio op;100 Andante con moto de Schubert rendu fameux dans le Barry Lyndon de Stanley Kubrick, l'usage d'un passage de l'opéra Lakmé de Léo Delibes durant la scène saphique) tous les motifs étalés de façon bien plus putassière dans Top Gun (1986) trois ans plus tard. L'échec du film changera ainsi la trajectoire de la carrière de Tony Scott qui délaissera le raffinement de ce premier essai, certes pour quelques grosses machines discutables - Top Gun, Le Flic de Beverly Hills 2 (1987), Jours de tonnerre (1990)... - mais surtout pour l’expression d’un romantisme noir - Revenge (1990), True Romance (1992) - et une expérimentation formelle - Spy Game (2001), Man on Fire (2004), Domino (2005) - qui rendent sa dernière période finalement plus passionnante que celle de Ridley Scott.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 8 octobre 2016