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Critique de film
Le film

Les Griffes de Jade

(Zhong kui niang zi)

L'histoire

Chung Kuei, la chasseresse, (Cheng Pei-pei), une combattante devenue légendaire, s’est retirée secrètement auprès de Maître Wang (Fang Mien) après avoir été grièvement blessée par le Diamant noir (Wang Hsieh). Une jeune combattante, Tsui-ping (Shih Hzu), la cherche inlassablement afin de devenir son apprentie. Acculée par les hommes du Diamant Noir, Chung Kuei est poussée à sortir de sa retraite et voit dans les capacités martiales de Tsui-ping, qui manie le fouet avec panache, l’occasion de mettre une fois pour toute fin au règne du démon. Mais les affaires de cœur vont venir compliquer l’affaire quand elles vont toutes deux essayer de s’attirer les faveurs de Chan-chung (Lo Lieh), l’apprenti de Maître Wang.

Analyse et critique

Ho Meng Hua est moins salué que Chang Cheh ou Chu Yuan, mais il est cependant l’un des piliers de la Shaw Brothers. Si sa patte est moins immédiatement reconnaissable que ces illustres confrères, s’il a tendance à se plier volontiers au rouage infernal de la production de la Shaw Brothers et au diktat de Run Run, assumant parfaitement son rôle de réalisateur commercial, il n’en demeure pas moins un cinéaste important à la filmographie riche en savoureuses réalisations où son côté iconoclaste prend bien souvent le dessus.

Il débute sa carrière dans des compagnies indépendantes sous l’égide de Yen Chun, un des créateurs du studio Cathay, dont il devient l’assistant réalisateur. Ce dernier est considéré par Ho Meng hua comme un véritable maître, et son mentor lui offre sa première opportunité comme metteur en scène avec The Wild Girl, qui connaît cependant des soucis de distribution et sort après sa première réalisation pour la Shaw Brothers, An Appointment after Dark en 1957. Il rejoint la Shaw à la demande de son tuteur qui, prévoyant de rejoindre les Etats-Unis, souhaite que ses collaborateurs habituels trouvent du travail. Yen Chun négocie donc avec la Shaw la réalisation du film par Ho Meng Hua et la reprise de ses techniciens. Alors en plein essor, la société est à la recherche de tous les talents de la péninsule et Run Run, enthousiasmé par le film, fait signer Ho Meng Hua à la Shaw, où il passera toute carrière.

Ho Meng Hua embrasse toutes sortes de genre : mélodrames, comédies, arts martiaux (The Flying Guillotine en 1975, The Dragon Missile avec Lo Lieh en 1976), films fantastiques (Black Magic et ses penchants grands guignolesques est une date du cinéma d’horreur hongkongais), films de monstres (le culte Colosse de Hong Kong (Mighty Peking Man), sorte d’hommage déjanté à King Kong et première incursion de la Shaw dans un genre purement japonais), il se frotte au légendaire Wong Fei Hung (1973) ou encore au arts martiaux de Shaolin avec Les Crochets mortels de Shaolin (Shaolin Hand Lock, 1978) et Le Combat mortel de Shaolin (Abbot Of Shaolin, 1979) tous deux avec David Chiang.
Ho Meng Hua enchaîne les films à une cadence infernale, s’étant engagé par contrat à tourner quatre films par an. Même s’il ne respecte pas toujours ce rythme, il s’ingénie à tourner ses films en un minimum de temps et sans jamais dépasser le budget imparti, deux atouts qui aux yeux de Run Run valent tous les talents du monde. Quand en plus le succès est au rendez-vous, Ho Meng Hua peut se targuer d’être un modèle pour les cinéastes maison ! Et le succès colossal, il le rencontre dès 1965 avec Pèlerinage vers l’ouest (The Monkey Goes West) qui inaugure une série de films consacrés au mythique Roi singe (Xi you ji). Il réalise au moins trois suites (six nous indique le réalisateur dans l’interview présenté en bonus) dont Princess Iron Fan (1966) qui est pour beaucoup un des sommets de sa carrière. Dans ce film, Cheng pei-pei et Lily Ho forment un couple de sœurs diabolique, qui n’ont d’égale dans leur cruauté que l’espièglerie avec laquelle elles commettent leur méfaits. La saga du Roi Singe est toute entière dédiée à la folie, qui vire souvent même à l’hystérie, aux acrobaties délirantes prenant vie dans un chatoiement de couleurs et des décors bariolés.
C’est par ce côté iconoclaste que se distingue Ho Meng Hua des réalisateurs qui, tel Chang Cheh, prennent le genre avec sérieux et signent de remarquables fresques épiques, sombres et violentes. Ses films sont à l’opposé de cette conception du genre. Pas de grande mythologie, pas de drames shakespeariens, mais un plaisir enfantin pris au joutes démesurées qui animent ses histoires. Ho Meng Hua ne se définit pas autrement qu’en cinéaste purement commercial, qui entend offrir au spectateur les scènes d’action délirantes qu’il réclame, les hectolitres de sang si c’est dans l’air du temps, ou encore du sexe (le sulfureux Kiss of Death en 1973 avec Lo Lieh et Chen Ping) et des monstres géants ! Il gère sa carrière avec désinvolture, mais sans gâcher son réel talent de conteur.

Apprécié de tous pour sa sympathie et sa courtoisie, pour l’ambiance décontractée qui règne sur ses tournages, loin du perfectionnisme confinant parfois à la tyrannie qui habitait les plateaux de King Hu ou Chang Cheh, Ho Meng Hua a ainsi eu une relation privilégiée avec la star Cheng pei-pei. Ils tournent ensemble Lady of Steel (1970), The Jade Rakshaw (1968) et elle offre au réalisateur son dernier film, alors qu’âgée seulement de 25 ans elle décide de mettre un terme à sa fulgurante carrière, Les Griffes de Jade.
Ho Meng Hua débute le tournage sans même avoir un scénario prêt, et c’est dans l’histoire même du studio qu’il trouve l’inspiration pour son histoire. Run Run Shaw, apprenant le départ de Cheng pei-pei, veut lui trouver une remplaçante au plus vite. Ce qui caractérisait l’actrice, et expliquait en partie son succès, était son passé de danseuse. C’est sa capacité à accomplir des prouesses athlétiques, des acrobaties bien loin du réalisme des arts martiaux, qui la distinguait des autres acteurs aguerris aux techniques du combat. Run Run cherche donc une actrice avec la même ascendance artistique prête à prendre la relève. Il jette son dévolu sur Shih Szu. Les Griffes de Jade s’appuie ainsi sur le passage de relais entre la star et sa prétendante. Dans le film, Cheng pei-pei prend sous son aile Shih Szu, et la soumet à un entraînement martial strict et épuisant. Lors du tournage les même relations naissent entre les deux actrices. Cheng pei-pei est d’une exigence implacable, et demande énormément à celle qui doit reprendre son flambeau. Shih Szu s’effondre souvent, et Ho Meng Hua capte ce difficile apprentissage qui nourrit la progression dramatique du film.

Cheng pei-pei se donne entièrement à ce qu’elle pense être son dernier film, et sa prestation est d’une précision et d’une force émotionnelle qu’elle n’avait jusqu’ici jamais atteint. Elle fait preuve d’une maturité étonnante, et nous fait croire malgré son jeune âge au long parcours de combattante et aux drames qu’a vécu son personnage. Les Griffes de Jade repose énormément sur ses deux actrices, et Ho Meng Hua capte avec sensibilité les relations qui se nouent entre elles et Lo Lieh, qui vient compléter un trio amoureux certes classique mais bien souvent plus troublant qu’il n’est de coutume.
S’il paraît clair que le réalisateur s’intéresse en premier lieu à ses actrices, leur redonnant la place d’honneur traditionnelle d’un genre qui se masculinise sous l’impulsion de Chang Cheh, il donne également à Lo Lieh l’occasion de s’échapper des rôles de méchants dans lequel il est habituellement cantonné, et où il se confronte à Cheng pei-pei à quelques occasions mémorables (Le Retour de l’hirondelle d’or de Chang Cheh (Golden Swallow,1968), Dragon Swamp de Lo Wei en 1969).

Ho Meng Hua ne s’en tient pas, loin s’en faut, aux seules relations entre les personnages. Les scènes d’action (chorégraphiées par l’incontournable Liu Chia-liang) se multiplient dans des décors variés et enchanteurs et le réalisateur excelle dans leur mise en scène, privilégiant les travellings et la fluidité plutôt qu’un montage serré. Cette utilisation des travellings prouve d’ailleurs s’il en est besoin le talent d’un réalisateur qui ne se présente autrement qu’en honnête artisan. Un combat de rue baigné dans l’obscurité où la Chasseresse apparaît tel un fantôme, un autre vertical qui accompagne l’ascension de Shih Szu en haut de la tour du Diamant Noir, et surtout une impressionnante traversée d’un pont de corde qui n’est pas sans rappeler les aventures d’Indy et d’un autre temple maudit. Autant de scènes mémorables, filmées brillamment, qui rythment un film au charme fou, à l’inventivité constante. Un film qui brille au firmament de la production de la Shaw Brothers et constitue l’un de ses plus grands succès, et notamment en France où il marque la découverte du genre pour de nombreux spectateurs.

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 28 mai 2005