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Critique de film
Le film

Les Belles de St. Trinian

(The Belles of St. Trinian's)

L'histoire

A St. Trinian, un pensionnat de jeunes filles britanniques où les jeunes élèves sont plus intéressées par les courses que par les livres, en même temps qu'elles essayent de trouver le meilleur moyen pour devenir riches rapidement.

Analyse et critique


Les pensionnats anglais, leurs uniformes et leur discipline qui préparent des élèves à devenir des gentlemen et des ladies, toute cette imagerie bien connue se voit balayée avec fracas dans The Belles of St. Trinian's qui reste la plus grosse réussite commerciale du duo Frank Launder / Sidney Gilliat. Le tandem avait déjà malmené avec humour l’univers scolaire anglais dans The Happiest Days of Your Life (1954) et son école mixte improvisée bousculant les mœurs d’après-guerre. Le générique dessiné du film était signé Ronald Searle, qui y reprenait les motifs de son célèbre comic strip, St. Trinian's. Ronald Searle publie les premiers dessins dépeignant les péripéties du pensionnat imaginaire de St. Trinian's en 1941 dans la revue Lilliput. L'artiste fut mobilisé peu de temps après, officiant à Singapour durant la Deuxième Guerre mondiale où il sera fait prisonnier et subira nombre de privations dans les camps japonais. A son retour en 1946, forcément sa vision du monde a changé et lorsqu'il revient à l'univers de St. Trinians le ton évolue radicalement pour se faire plus sombre avec des adolescentes rétives à l'autorité, délinquantes et à la sexualité précoce. L'humour noir et la cruauté sont plus prononcés, certaines jeunes filles mourant dans d'horribles tourments suite à leurs mauvais penchants et leurs fréquentations douteuses. Tout cela baignerait dans une imagerie esthétiquement respectueuse des collèges anglais tout en la dynamitant, Searle s'inspirant des célèbres Perse School for Girls et St Mary's School de Cambridge, sa ville d'origine où il eut l'occasion d’assister aux passages bruyant des élèves. Searle tire donc son pastiche d'une vraie réalité, le nom de l'établissement imaginaire détournant d'ailleurs celui de la St. Trinnean's Girls' School d'Edimbourg où il fit ses classes en 1941 et croisa deux élèves particulièrement effrontées qui l'inspireront.


Le succès de la BD devait rapidement intéresser le cinéma, et en 1954 Frank Launder et Sidney Gilliat en acquièrent les droits. Les deux signent le scénario tandis que Launder s'attèle seul à la réalisation. Le matériau original se voit parfaitement respecté et le film s'avère aussi drôle qu'irrévérencieux, le changement principal étant de faire passer tous les outrages par l'humour en atténuant la noirceur. Symbole de ce virage, le double rôle absolument génial d'Alastair Sim qui joue à la fois la directrice Millicent Fritton ainsi que son frère et parent d'élève escroc Clarence Fritton. Tout comme le village d'Astérix dans l'Empire romain, le pensionnat de St. Trinian nous apparait comme un îlot de rébellion irrépressible et source de tourments pour le ministère de l'Education et plus généralement pour une Angleterre paisible. Avant de voir les élèves en action, on va d'abord les entendre dans une mémorable scène d'ouverture où elles font figure de ruche bourdonnante et terrifient les quidams sur leur passage, l’humour à retardement laissant découvrir leur mauvais tour comme cet agent de gare attaché à un chariot de bagages. Launder détourne aussi les codes du film d'horreur pour figurer l'épouvante que suscitent les écolières en usant de la vision subjective du bus qui les transporte et avance comme une menace indicible, tandis que les commerçants du village voisin de la pension ferment boutique en panique comme avant un duel de western. Une fois qu'elles apparaissent, c'est le chaos absolu, un ouragan de couettes, de socquettes et de jupettes qui transforme l'espace calme du pensionnat en véritable champ de bataille. On apprendra que le projet initial de la directrice Millicent Fritton était de créer un modèle d'éducation original et novateur. Comme le soulignera ironiquement un dialogue, d'ordinaire les jeunes filles issues de pensionnat ne sont pas préparées au monde extérieur et là au contraire c'est le monde extérieur qui ne sera pas préparé aux furies de St. Trinian.


La description du quotidien de l'école est tout aussi tordante : on fabrique du gin de contrebande en cours de chimie, le cours d'histoire-géographie consiste à désigner les meilleures années et régions pour ce qui est des crus de champagne. Les professeurs sans salaire depuis des mois et coincés dans cette galère ont abandonné la partie, et l'école est au bord de la faillite. Le salut viendra avec l'arrivée d'une élève étrangère, la princesse Fatima (Lorna Anderson), dont le père souhaite offrir le meilleur de l'éducation occidentale. Cette nouvelle élève va attirer les vautours et notamment Clarence Fritton (Alastair Sim), qui a un cheval en compétition dans le même challenge que celui du père de Fatima et qui tentera de soutirer des informations par sa propre fille Arabella (Vivienne Martin). Parallèlement, le ministère de l'Education (dont les deux inspecteurs dépêchés ne sont jamais revenus, on découvrira leur sort) tentera enfin de faire fermer St. Trinian en envoyant un policier infiltré en professeur pour mettre à jour les agissements douteux de l'établissement. Parmi les élèves va également se mener une redoutable partie d'échecs entre les élèves, les plus jeunes et les amis de Fatima ont parié sur la victoire du cheval de son père alors que les plus âgées soutiennent Arabella et les manigances de son père.


Le scénario est parfaitement équilibré pour entremêler ses différentes sous-intrigues tout en réservant son lot de dérapages et de gags délirants. On aura entre autres une partie de hockey très particulière contre une école extérieure, où nos teignes ont un lot d'astuces pour ne pas gagner dans les règles comme réduire la taille de leurs cages ou assommer l'arbitre. Alastair Sim est grandiose dans son double emploi, roublard et carnassier en père de famille gangster et hilarant avec cette Millicent Fritton à l'attitude précieuse et délicate mais ne manquant pas de pragmatisme pour exploiter à merveille les mauvais penchants de ses élèves. Le seul défaut pourrait être le manque de caractérisation spécifique des élèves, ces derniers étaient d'ailleurs déjà en retrait et réduits à des silhouettes dans The Happiest Days of Your Life. Launder rectifie pourtant ce défaut du film précédent en jouant à fond de l'origine comic-strip de St. Trinian. Sans forcément retenir leur nom, on s'attache aux personnages à travers les vignettes de leur méfaits les plus mémorables, les bouilles enfantines se retenant plus vite par le gag et faisant ainsi filer l'intrigue à toute vitesse. Dans l'opposition même de caractère et de génération, on constate même une grande fidélité aux cases de Ronald Searle. Les plus jeunes (The Four Form, préadolescentes et toute jeunes fillettes) sont les plus mignonnes et attachantes et se rapprochent le plus du dessin originel de Searle dans sa première mouture de 1941, tandis que les plus âgées (The Six Form, déjà femmes et pour certaines trop vieilles pour être encore accueillies dans le pensionnat) se révèlent les plus dépravées, néfastes et dangereuses, et correspondent à la seconde vision plus noire que donna le dessinateur de sa création durant l'après-guerre. Frank Launder trouve ainsi un prolongement amusé à certaines thématiques de ses films plus sérieux où il s'interrogeait sur le devenir de la société anglaise face aux conséquences de la guerre, que ce soit avec la jeune femme mobilisée de Ceux de chez nous (1943) ou le couple de Waterloo Road (1945). Ici c'est un questionnement sur la jeunesse pervertie par une enfance vécue sous l'ère du marché noir et des privations et qui crée une génération de bambins sans morale et calculateurs.


Le constat pourrait être très noir d'autant que Launder ne censure guère la BD, les Six Form n'hésitant pas à jouer de leurs charmes pour parvenir à leurs fins alors que la sexualité précoce et agressive est bien appuyée par leur attitude et leurs poses lascives. C'est cependant la débrouillardise et le bagout des Four Form que l'on retient et c'est elles que l'on souhaite voir sortir gagnantes, Launder parvenant à susciter tendresse et empathie notamment grâce à Alastair Sim qui reflète ces deux facettes (la perversion et la tendresse "pratique") avec ses deux personnages, la plus mémorable étant bien sûr celle travestie en Millicent Fritton. Courses-poursuites, rebondissements inattendus et trouvailles géniales peuvent donc exploser dans une dernière partie de haut vol dans laquelle le pensionnat devient un véritable champ de bataille où circulent des individus louches en tout genre. L'équilibre parfait atteint par le film lui évitera les mailles de la tatillonne censure anglaise malgré les multiples outrages, et The Belles of St. Trinian's sera le troisième plus gros succès de 1954 au box-office. Véritable film culte, il engendrera trois suites - Blue Murder at St Trinian's (1957), The Pure Hell of St Trinian's (1960), The Great St Trinian's Train Robbery (1966) - toutes signées Frank Launder et Sidney Gilliat et qui contribuèrent à installer St. Trinian dans la culture populaire anglaise au point de générer deux tentatives récentes de de revival avec St Trinian's (2007), dans lequel Rupert Everett reprend le flambeau d'Alastair Sim, et St Trinian's 2 : The Legend of Fritton's Gold (2009). L’original demeure en tout cas un classique de la comédie anglaise dont l’irrévérence fait toujours mouche.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 9 avril 2015