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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Sentier de la vengeance

(Gun Fever)

L'histoire

Simon (John Lupton) décide de quitter le gang de l’effrayant Trench (Aaron Saxon), écœuré par la sauvagerie de ses membres. Durant les années qui suivent, Trench poursuit ses vicieux méfaits en incitant les Indiens à attaquer les colons tandis que Simon est devenu chercheur d’or en compagnie de Lucas Rand (Mark Stevens) dont les parents tiennent un relais de diligence. Avec le peu de gisement récupéré, Lucas a dans l’idée de partir en Arizona pour y devenir éleveur. Avant cela, il rend visite à ses parents pour leur faire ses adieux. Ce jour-là, les exactions de Trench, de ses Indiens et de son complice Amigo (Larry Storch) se portent malheureusement sur le relais où tous ceux qui s’y trouvaient sont massacrés. Le lendemain Simon vient retrouver Lucas dont il découvre qu’il est l’unique survivant de cette tuerie. Lucas ne va désormais avoir qu’une seule idée en tête, se venger de Trench même s’il doit y consacrer le restant de sa vie...

Analyse et critique

Comme on peut le constater à la lecture du pitch ci-dessus, et même si l’on sait qu’il existe un élément de surprise quant aux relations familiales entre certains personnages - spoiler : le meilleur ami du vengeur se révèle être le fils de celui dont on cherche à se venger -, l’intrigue de départ de Gun Fever s’avère on ne peut plus banale puisqu’elle ne raconte rien d’autre qu’une vengeance, un honnête prospecteur partant à la recherche du meurtrier de ses parents. Le budget est ridicule, l’auteur complet qu’est Mark Stevens - coscénariste, acteur et réalisateur - ayant eu l’idée de filmer la quasi-totalité de son film dans le vent et la poussière dans le but très probable de cacher la pauvreté des décors et les lieux de tournage qui ne correspondaient peut-être pas vraiment à ceux de son histoire. Mais cette absence de moyens et l'aspect fauché qui en découle ne sont aucunement rédhibitoires, ils servent au contraire parfaitement bien le western de Stevens, l’atmosphère ainsi créée se révélant assez unique, se situant paradoxalement entre irréalité et hyperréalisme, en parfaite corrélation avec le ton brutal et sordide de l’ensemble. Et d’ailleurs d'emblée, les lettres du générique à la manière d’un film d’épouvante nous immergent sans tarder dans un climat d’étrangeté et nous font comprendre immédiatement que ce western noir et étouffant ne ressemblera à aucun autre.

Lors de sa sortie, le Protestant Motion Picture Council écrivait à propos de Gun Fever : "The cruelty, senseless beatings and killings, the ugliness of the villains, the lack of motivation outside of vengeance and sheer desire for murder, the inducements offered to Sioux Indians to provoke them to robbing, raiding and massacre combine to produce a fearful, overdone, vicious, sinister, objectionable picture of the old West." Le conseil de la censure avait d’ailleurs refusé la première version du script pour brutalité inacceptable et l’Allemagne a toujours refusé de le sortir en salles pour la même raison. Si vous pensiez tout cela exagéré - et à condition bien évidemment de se replacer dans le contexte de l’époque - sachez qu’il n’en est rien ! Effectivement, rarement un film des années 50 n’aura dégagé une telle férocité, une telle sauvagerie et une telle brutalité. Si les séquences ouvrant le film pouvaient faire craindre le pire - avec notamment ces gros plans en surimpression sur le visage grimaçant et ricanant de l’acteur Aaron Saxon -, le ton d’ensemble très original créé par Stevens aide presque immédiatement à nous rendre le film captivant malgré l’extrême dépouillement des décors, la simplicité de l’intrigue, la rudesse du ton et la lenteur du rythme, des éléments qui participent d’ailleurs au contraire de sa réussite.

Peu nombreux en effet sont les films qui peuvent se targuer de nous intriguer de bout en bout par la seule force/originalité de leur mise en scène, en sachant que l’écriture manque en revanche singulièrement de rigueur, ayant parfois l’impression que certaines séquences ont été coupées, ayant de temps en temps du mal à comprendre les motivations ou réactions des différents protagonistes ou encore s'étonnant du manque de fluidité d'une histoire pourtant simplissime. C’est donc le cas du troisième film de Mark Stevens en tant que cinéaste après qu'il a débuté sa carrière derrière la caméra dans le domaine du film noir. Un western inhabituel qui devient très vite entêtant avant tout aussi par le hiératisme voulu du jeu des comédiens - excepté ceux qui interprètent les hors-la-loi qui n’hésitent pas au contraire à en faire des tonnes -, la sobriété absolue des décors (notamment ce saloon sans aucune table ni chaise, son sol en terre battue servant de ring à un fistfight redoutablement teigneux), ainsi que par son intrigante bande originale signée Paul Dunlap, d’un étonnant modernisme et dont l’utilisation du hautbois amène parfois le film à un haut degré de lyrisme  -voire à ce propos la superbe et douce séquence au cours de laquelle l’Indienne se promène en forêt avant d’aller se baigner nue dans le point d’eau le plus proche, puis être rejointe par le jeune Simon avec qui ils partageront la seule et brève séquence romantique du film.

John Lupton dans ce rôle est assez convaincant - voire même attachant -, tout comme Mark Stevens d’ailleurs moins renfrogné que dans son fameux Jack Slade qui, malgré ses gros défauts, était déjà troublant par son atmosphère assez originale et son réalisme sordide très éloignés du classicisme westernien de ces années-là. Si Larry Storch et Aaron Saxon cabotinent en revanche à outrance, c’est peut-être pour apporter un fort contraste ; et du coup il est vrai que ces deux psychopathes démoniaques sont assez effrayants et que les séquences de violence qu’ils provoquent font partie de ce que l'on a pu voir à l'époque de plus sec et de plus rude, d’autant que pour augmenter leur sauvagerie elles sont précédées pour beaucoup de brusques, perçants et puissants cris d’Indiens. Non seulement les séquences violentes marqueront les esprits - des tirs à bout portant, de brutaux coups de couteau - mais également à plusieurs reprises les impressionnantes images hyperréalistes d’après massacres. Difficilement oubliables également les énormes tumbleweeds (buissons de poussière) qui, soulevés par des vents violents, déboulent à tout bout de champ devant les protagonistes, les incessants nuages de poussière qui cachent les décors naturels ou encore - ce qui était encore rarissime dans les westerns des années 50 - les vêtements crasseux des personnages, leur perpétuelle sueur coulant de leurs visages mal rasés...

A son avantage, nous noterons également un sous-texte pro-Indien lorsque le père dit que les relations avec les natives se passeraient mieux si les hommes blancs usaient d’honnêteté et d’humanité à leur égard et si certains d’entre eux ne les incitaient pas à perpétrer des tueries. Malgré des "méchants" fortement caricaturaux et une écriture pas toujours satisfaisante, voici un curieux western non-conformiste et épuré qui mérite vraiment que l’on s’y arrête plus que quelques secondes puisqu’il s’avère valoir bien mieux que sa seule rareté ! Un film sans fioritures, intrigant et presque captivant par la seule unicité de son ton et de son atmosphère.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 27 mai 2017