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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Roman de Renart

L'histoire

Le royaume de Noble le Lion est sans dessus dessous suite aux malversations de Maître Renart. Il chaparde, trompe et ment sans vergogne et les doléances des sujets s’accumulent. Excédé Noble rend un édit royal interdisant à quiconque de manger de la viande ou du poisson. Renart ne l’entend pas de cette oreille et continue à défier l’autorité. Arrêté, il est condamné à être pendu. Il parvient à convaincre Noble de le libérer avant que ce dernier ne se rende compte de la supercherie et assiège le château de Malpertuis où le filou a trouvé refuge.

Analyse et critique

Le Roman de Renart est l’œuvre la plus emblématique de Ladislas Starewitch avec ses animaux humanisés qui sont florès dans son œuvre, son cadre moyenâgeux, ses songes, son humour noir. Le Roman de Renart est à l’origine une suite de poèmes écrits par différents auteurs entre la fin du XIIème et la fin du XIIIème siècle. Ces récits font souvent intervenir le narrateur, procédé qui permettait aux conteurs ambulants d’appréhender directement le public. Starewitch retrouve cet aspect dans la conception de son film, la voix off du narrateur s’amusant à mener la danse. Ce n’est pas une vision sage et scolaire de la version de Goethe (ici adaptée), mais un film souvent iconoclaste, qui joue de son statut d’œuvre animée et affiche son artificialité avec panache. Ainsi un singe ouvre le récit, mettant en route une caméra comme s’il s’agissait d’un limonaire. Starewitch conçoit son film comme un prolongement moderne des spectacles de troubadours du moyen âge, n’hésitant pas à faire appel à un côté légèrement grivois ou encore à s’amuser de certains anachronismes (un duel entre Renart et le Loup est commenté comme une rencontre sportive retransmise sur les vieilles TSF).

Adapter Le Roman de Renart, c’est l’occasion pour Starewitch de mettre en scène tout un bestiaire animal, dont l’humanité n’a rien à envier aux futures fables de La Fontaine (qui a d’ailleurs repris Le Corbeau et le Renart qui ouvre le film). On y trouve Isengrin le loup, Renart le goupil (à l’époque le Renart, l’animal, se nommait Goupil et c’est le succès rencontré par Le Roman de Renart qui va modifier son appellation dans la vie courante, Renart perdant son T au profit d’un D avec les années), Noble le lion, Brun l’ours… autant d’animaux qui ont pour fonction de moquer les différents travers de l’époque féodale, où corruption et intrigues règnent en maître, mais qui trouvent tout autant dans notre monde contemporain. Renart est un anar. Il n’a de Dieu ni de maître et cet aspect du personnage ne pouvait laisser Starewitch insensible. Antimilitariste convaincu, athée, le cinéaste vit d’ailleurs son film subir les foudres de l’église, scandalisée par une scène où des animaux prient dans une église et une autre où le paradis est représenté comme le palais des délices gastronomiques, couvert de chapelets de saucisses. Renart est un personnage haut en couleur, malicieux, parfois cruel, qui emporte immédiatement l’adhésion. L’humour noir est omniprésent, ainsi qu’une petite dose de méchanceté on ne peut plus réjouissante et détonnante dans l’univers de la fiction enfantine. Comme dans les fabliaux d’origine, nulle morale ne vient sanctionner les ruses de Renart. Il s’échappe toujours et ne paie jamais pour ses crimes. Starewitch aime la dérision et ne s’encombre pas de morale lénifiante. Il ne se pose pas en juge de ses personnages, et par là de ses contemporains, préfère les décrire avec humour et une grande tendresse pour leurs défauts.

Ce qui est saisissant dans chacun des films de Starewitch, c’est la capacité de leur auteur à faire vivre ses personnages. La finesse, la précision, la justesse des mimiques et des gestes est tout simplement foudroyante. Les expressions des visages sont d’un réalisme incroyable et Starewitch trouve à chaque fois le ton juste, le détail qui nous fait pleinement croire dans ses créatures animées. Il n’a pas peur de filmer les visages en plans serrés, ainsi l’on voit les larmes poindre aux coins de yeux, les plumes des volatiles se soulever, les poitrines respirer… Starewitch utilise pour ses personnages trois tailles de figurines selon la grosseur du plan voulu : quatre-vingts centimètres (Le roi lion mesurait même un mètre !), vingt et enfin deux centimètres pour les plans les plus larges. Une technique qui fera école mais qui demande une somme de travail considérable, soit un an et demi de tournage pour la petite heure que dure Le Roman de Renart. Starewitch est un bricoleur, un inventeur né qui adore les petites mécaniques, le bricolage. On retrouve ce plaisir évident dans la grande scène du Roman de Renart, le siège du château de Malpertuis où le cinéaste s’amuse à inventer moults pièges et chausses trappes aussi farfelus les uns que les autres. Ingénieux, malicieux, il multiplie les astuces pour donner vie à ses personnages. Ceux-ci respirent grâce à deux planches cachées dans leurs poitrines qui se rapprochent ou s’éloignent selon un système de vis. Starewitch, méticuleusement, multiplie ce genre de détails. Ainsi chaque poupée, sculptée dans du bois ou du liège, est pourvue d’une dentition, de vêtements en peau de chamois cousus le plus souvent par Anna Star. Chaque marionnette est complètement articulée et pour chacune d’elle Starewitch utilise cinq cents masques différents. Le cinéaste crée des dizaines de figures immédiatement identifiables et surtout incroyablement attachantes, même dans leurs défauts. Un lapin enfant de chœur couard et pleurnichard, un chat ménestrel qui minaude et fait la cour à une reine lionne aux œillades aguicheuses, un blaireau avocat beau parleur…d’autres animaux jouent de la musique, dansent, s’amusent, trichent, jouent, pleurent, tout un petit monde miniature qui respire la vie.

Starewitch travaille également sa mise en scène, essayant de compenser la fixité de sa caméra (techniquement, il ne peut se permettre des mouvements fluides) en utilisant des zooms, des travellings avants, des panoramiques. Des effets pas toujours heureux, leur exécution étant toujours brusque, la vitesse excessive des mouvements et des effets optiques étant la seule possibilité de masquer l’immobilité des sujets lors de leur exécution. Nous ne sommes pas encore à l’ère de Wallace et Gromit et nul ordinateur ne peut venir calculer les déplacements de caméra en fonction de l’animation image par image. Mais ces tentatives de Starewtich sont attachantes, car elles nous montrent bien que le cinéaste a le désir de repousser toutes les barrières qui se mettent en travers de son chemin, qu’il veut rivaliser techniquement et artistiquement avec le cinéma de prise de vue réel. On ressent constamment que pour lui, cinéma pour enfant ne signifie pas cinéma "au rabais". C’est dans cette optique qu’il fait appel à Jean Nohain pour les dialogues et à Vincent Scotto pour la musique. Starewitch veut se donner les moyens de son imaginaire. C’est d’ailleurs à cause de cette volonté de réaliser un film sonore que la sortie du film sera retardée pendant dix ans. En effet, le film est prêt dès 1930, mais sortira en France seulement en 1941. Malgré un très bel accueil public et critique, il disparaîtra des écrans jusqu’aux années quatre-vingt dix où il connaîtra une résurrection amplement méritée. Cette édition dvd est une nouvelle occasion de redonner à ce chef d’œuvre la place qu’il mérite au panthéon du cinéma d’animation. Une œuvre phare, aussi drôle que touchante, impertinente, unique, un enchantement de chaque instant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Portrait de Ladislas Starewitch

Par Olivier Bitoun - le 28 juillet 2006