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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Miraculé

L'histoire

Papu est un marginal, qui vit de petites escroqueries. Alors qu'il est victime d'un accident, il décide de simuler une paralysie pour arnaquer les assurances. Ces dernières délèguent un inspecteur, Ronald Fox-Terrier, pour démasquer la supercherie.

Analyse et critique

Les rapports entre Jean-Pierre Mocky et la religion catholique ont parfois été réduits à l’anticléricalisme primaire d’un anarchiste provocateur, ce qui – quand bien même il y aurait un réflexe de cet ordre chez lui – semble ne pas suffire. Enfant, il avait été baptisé, selon la volonté de sa mère, et durant les vingt-cinq premières années de sa carrière de cinéaste iconoclaste, il a semblé conserver une forme de réserve vis-à-vis de l’Église : évidemment, quand il s’agissait dans ses comédies satiriques de brocarder l’hypocrisie des dominants, il se trouvait forcément un curé ou un évêque dans le lot (voir Snobs!), mais si on compare son traitement à celui qu’il y réserve aux autres formes d’ « autorité » sociale (policiers, dirigeants politiques, bourgeois…), son fleuret semble presque moucheté.

Seul film, durant ce début de carrière, à vraiment ancrer son récit dans un cadre ouvertement religieux, Un drôle de paroissien (1963) a évidemment entretenu cette image publique d’un "bouffeur de cureton", mais là encore, à bien le regarder, le film, qui raille abondamment l’aristocratie désœuvrée ou le zèle absurde des fonctionnaires de police, ne prend pas spécialement la ferveur des pratiquants comme sujet de moquerie. En somme, s’il ne se prive pas d’aborder plus ou moins directement le sujet religieux, Mocky n’attaque alors pas l’institution en elle-même mais la bêtise ou l’aveuglement de ceux qui s’y soumettent sans réfléchir ou, pire encore, pour servir leurs propres intérêts.

Néanmoins, sa réputation – fondée ou pas, donc – le précède. Et quand, courant 1986, l’Église Catholique française apprend que Jean-Pierre Mocky s’apprête à tourner un film à Lourdes, elle décrète d’emblée qu’il y a une menace à prendre au sérieux. D’autant que Mocky, qui était du genre à souffler sur les braises dès qu’on lui en mettait sous le nez, sort – avant même la fin du tournage – une bande-annonce mémorable (voir ci-contre à droite), qui le voit se rendre lui-même, en son nom de cinéaste, dans un « confessionnal virtuel », y avouer, sur l’air de la repentance, qu’il tourne actuellement un film intitulé Le Miraculé et qu’il craint le résultat : « voyez-vous mon père, je viens à confesse car Satan m’habite »... Double effet antagoniste du calembour impie : le public est dans sa poche et l’Église ne lui fera pas de cadeau.

Dès la lecture du scénario, les sollicitations de la production pour tourner sur les lieux mêmes de l’Apparition sont naturellement refusées : qu’à cela ne tienne, d’une part, Mocky utilise des images tournées à la volée lors d’une retraite aux flambeaux durant les repérages, et d’autre part, il reconstitue la Grotte (« plus authentique que l’originale », clamera-t-il volontiers) dans une carrière de plâtre à proximité de Salies-de-Béarn, à une centaine de kilomètres de là.

Le projet du film, adaptation d’une nouvelle de George Langelaan (auteur de La Mouche), remonte à 1982 : initialement, dans l’esprit de Mocky, Le Miraculé doit confronter Coluche dans le rôle de Papu (et la première collaboration entre Mocky et Coluche est vouée à faire événement) à Marty Feldman, comédien britannique au physique pour le moins insolite, habitué des comédies de Mel Brooks, dans le rôle (quasi-muet) de Fox-Terrier. Après la disparition de Feldman, on parle du comique britannique Benny Hill (mais Mocky n’est pas enthousiaste) ou de Michel Blanc, finalement pris sur le tournage de Tenue de soirée. Suite à l’accident tragique dont Coluche est victime en juin 1986, Mocky réussit finalement un « coup » en réunissant le mythique duo Jean Poiret-Michel Serrault, brouillé et absent des écrans depuis La Gueule de l’autre (1979).

Comédien hyper-expressif, au regard de limier et à la fantaisie de clown, Serrault est à son aise dans le rôle du détective des assurances, quitte à paraître parfois un peu en roue libre (c’est une sensation assez commune face aux films de Mocky, qui sélectionnait attentivement ses comédiens mais les dirigeait peu). Pour Poiret, par contre, le défi est de taille : lui qui s’est construit une image d’élégance mondaine et de spiritualité doit explorer ici le fond du caniveau, avec une allure rustaude, un langage de charretier et des croûtes sur le visage. Cela ne fonctionne pas toujours parfaitement, mais il faut encore et toujours reconnaître à Jean-Pierre Mocky cette capacité, dont il a témoigné pendant plus de cinquante ans de carrière (et y compris dans des films désolants), à engager des personnalités fortes mais à ne pas se contenter de leur proposer d’opérer dans un registre confortable, en les incitant, sinon à un véritable contre-emploi, en tout cas à explorer une facette inédite de leur talent.

Sur ce point, il faut évidemment mentionner la prestation de Jeanne Moreau, alors plutôt dans un creux de sa carrière, qui bouscule assez largement son image avec ce rôle de la Major (au départ pensé pour Danielle Darrieux), fille de joie reconvertie en petite sœur des pauvres… Au milieu du film se déroule une séquence d’intimité, toute en caresses et sifflements, entre les personnages incarnés par Michel Serrault et Jeanne Moreau et disons que si on nous l’avait décrite sans la voir nous-même, on n’y aurait pas cru… Comme toujours très porté sur la bagatelle (on pourrait parler des « zobsessions » du cinéaste), Mocky se délecte également à imaginer l’attraction irrépressible entre deux hommes de foi, juste pour se réjouir du malaise que cela peut générer.

De manière générale, Le Miraculé s’inscrit dans la veine burlesque, exagérée, du travail de Jean-Pierre Mocky, avec gags visuels, travestissements, cérémonies secrètes… Le cinéaste s’est toujours revendiqué de l’influence de Federico Fellini, dont il avait été l’assistant sur La Strada, dans son propre travail : avec pas mal d’imagination, par son sens du baroque et de l’immodération, Le Miraculé ressemble parfois à ce qu’aurait pu donner le travail d’Il Maestro si, un peu las, il avait troqué la poésie pour la trivialité.

Le film s’achève sur une ultime pirouette, prévisible mais réjouissante, qui permet en partie de répondre à la question soulevée au début de ce texte. [SPOILER] Propulsé dans l’eau de la grotte, Papu le simulateur se retrouve réellement paralysé, tandis que Fox-Terrier, qui a sauté dans l’eau, retrouve l’usage de la parole (1). Le film, qui reposait sur l’opposition entre un mécréant et un bigot, punit le premier et récompense le deuxième. [/SPOILER] Difficile alors de croire que le film ait été pensé "à charge" contre l’Église ou la foi catholique : les véritables cibles de Mocky, qui n’était pas un dogmatique mais un moraliste, cherchant envers et contre tous à exhorter au "bon sens", ce ne sont pas les croyants, mais les exploiteurs, les hypocrites, les menteurs ou les arrivistes de toutes sortes comme il s’en trouve partout, au sein de l’Église comme ailleurs. En interview, Mocky opérait volontiers une distinction, au sein du clergé lourdais, entre les Jésuites (« ils sont très gentils et surveillent les escroqueries » (2) ) et le rectorat, propriétaires des boutiques, « vendeurs de babioles », les Marchands du Temple auxquels il ne réservait que son mépris

Ultime bravade, la sortie fut programmée le 18 février 1987, jour de… la Sainte Bernadette. Réunissant un peu plus de 820 000 spectateurs, il demeure encore aujourd’hui l’un des films les plus populaires du cinéaste.

(1) Ses premiers mots, en anglais, ne feraient-ils pas référence à ceux du docteur Folamour dans le film de Stanley Kubrick (« Mein Fuhrer, I can walk ! ») ?
(2) Entretien entre Jean-Pierre Mocky et Olivier Père, août 2013, pour Arte
https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2013/08/08/entretien-avec-jean-pierre-mocky/

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La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 12 avril 2023