Critique de film
Le film
Affiche du film

La Vérité

L'histoire

Alors que Gilbert (Samy Frey), jeune chef d’orchestre, était promis à la sage Annie (Marie-José Nat), violoniste de son ensemble musical, il tombe amoureux de sa sœur Dominique (Brigitte Bardot), plus délurée et instable. Aujourd’hui, cette dernière est jugée en cour d'assises pour avoir abattu son amant d’un coup de revolver. Alors que se déroule le procès, leur histoire passionnée et tumultueuse est narrée sous forme de flashbacks, le véritable visage de l'accusée se dessinant peu à peu ; il semblerait que dans cette France encore très conservatrice, c’est son comportement et ses mœurs ‘légères’ qui sont alors jugés, plus que son acte meurtrier…

Analyse et critique

Quatre ans après le semi-échec de Les Espions, le film désarçonnant un peu les spectateurs y compris les admirateurs du cinéaste, Clouzot réalisa La Vérité avec un budget considérable de 7 millions de francs ; il s’agissait de la transposition d'un fait divers bien réel, l'histoire de Pauline Dubuisson jugée en 1953 pour le meurtre de son amant. Ce nouveau film fit cette fois salle comble durant plusieurs mois grâce notamment à un très bon bouche-à-oreille, cumulant au final plus de 5 millions d’entrées en France. Succès tout à fait mérité mais qui ne débouchera ensuite malheureusement sur rien de satisfaisant pour le réalisateur, ne parvenant non seulement pas à finaliser L’enfer et ne trouvant guère de défenseurs pour son ultime long métrage, le pourtant superbe La Prisonnière, non seulement captivant sur le fond mais aussi absolument époustouflant sur la forme. La Vérité fut donc sa dernière œuvre à faire l’unanimité aussi bien chez le public que la critique, admiré même Outre-Atlantique puisque récompensé non moins que par l’Oscar du meilleur film étranger. Il permettra surtout à Brigitte Bardot de faire un sacré pied de nez à ses détracteurs en démontrant toute l’étendue de sa palette dramatique, dévorant ici l’écran de bout en bout en ne laissant guère de place à ses partenaires malgré l’indéniable talent de chacun d’entre eux, que ce soit Sami Frey, Marie-José Nat (qui jouait à contrario d’ici la jeune fille délurée l’année précédente dans Rue des prairies de Denys de la Patellière) et surtout les deux hommes de loi merveilleusement interprétés par Charles Vanel et Paul Meurisse qui s’affrontent de manière assez jubilatoire dans le prétoire. Quant à l’envie de ce film, Clouzot l’eut après avoir suivi plusieurs procès d’assises pour le compte de prestigieux hebdomadaires.


En 1989, lors de la reprise du film en salles, Brigitte Bardot dira malgré le fait que le tournage ait été particulièrement éprouvant (Clouzot n’étant pas un tendre) : "je me moque de ma carrière, sauf de La Vérité. S'il doit rester une seule trace de mon passage sur les écrans, je souhaite que ce soit dans ce film où, pendant et après, j'ai conscience d'avoir été une vraie comédienne." Même si elle fut à nouveau inoubliable dans notamment Le Mépris de Godard et qu’auparavant elle fut souvent charmante et délicieuse dans les comédies qu’elle tourna durant les années 50, notamment celles sous la direction de Michel Boisrond, il est vrai que sa prestation la plus mémorable reste son personnage de Dominique Marceau dans ce très grand cru d’un Clouzot qui a réussi à humaniser la comédienne comme jamais, à créer une très forte empathie pour l’actrice et son personnage pourtant à priori pas spécialement sympathique et selon les conventions de l'époque peu 'fréquentable'. Si nous avons bel et bien à faire à un film de procès avec joutes oratoires parfois savoureuses, il faut cependant savoir qu’à vu de nez, les scènes de tribunal ne doivent pas excéder un quart de la durée du long métrage. Le reste est constitué par des flashbacks ayant pour but de s’approcher au plus proche de la vérité, nous montrer l’envers du décor, de dépeindre les caractères de chacun des protagonistes du drame et de faire essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé ou plutôt les circonstances de ce drame ayant conduit à la mort d’un homme ; en effet, quant à la culpabilité ou non de Dominique, il s’agit d’un faux suspense car la jeune femme n’a jamais clamé son innocence. Et pourquoi l’envers du décor ? Car dans la tête des jurés et des magistrats, Dominique est, plus que de son geste, coupable d’être la parfaite représentante de la jeunesse honnie de l’époque : en conflit avec ses parents dont le quotidien ne lui inspire que de l’ennui, elle fréquente assidument les lieux de ‘perdition’ que sont les bars et les boites de nuit. Elle est insouciante, oisive, égoïste, inconstante, charnelle et désinvolte, recherchant l’émotion et le plaisir avant tout, n’hésitant pas à coucher avec le prétendant de sa sœur. Toutes des choses incompréhensibles pour cette société corsetée et conservatrice qui place la morale au-dessus de tout, des situations que Clouzot va montrer aux spectateurs espérant qu'ils se rangent derrière lui. La passion jalouse et possessive de Gilbert pour une Dominique décidée à garder son libre-arbitre en toutes circonstances fera que cette romance sera vouée à l’échec et que la jeune femme finira par entrer dans une spirale dépressive avant de commettre l’irréparable.


Mais au tribunal, on l’aura jugé et critiqué plus vertement sur ce qu’elle est plutôt que pour ce qu’elle a fait, les dés étant pipés dès le départ à cause de son caractère et de son tempérament heurtant de plein fouet ceux entre les mains de qui elle a jeté son sort. Et en tant que femme, elle n’est d’emblée pas du tout sur un pied d’égalité devant cette cour, le comportement dissolu de Dominique étant beaucoup moins bien toléré que celui tout aussi peu glorieux de Gilbert. Outre le portrait complexe, déchirant et sans tabou d’une jeune femme bien de son époque, ce qui lui vaudra la plus grande sévérité par le fait de représenter la coupable idéale, Clouzot se fait à nouveau plaisir en fustigeant avec un certain fiel cette société puritaine et moralisatrice engoncée dans ses positions qu’il abhorre. Il en profite également pour dépeindre avec un grand réalisme la vie estudiantine de l’époque, une jeunesse de moins en moins en phase avec la précédente génération dont elle juge la morale hypocrite, de plus en plus opposée aux codes ’respectables’ établis par leurs parents et ainés, ayant une autre conception de la vie. Clouzot s’avère assez prophétique ici des émeutes qui allaient se mettre en place à la fin de la décennie tellement l’on comprend dès lors les fractures irréversibles entre ces deux générations et la rébellion qui émerge par le fait que la jeunesse ne souhaite pas se laisser enfermer dans une vie étouffante et léthargique, s’oppose à des conventions comme le mariage ("J’vois pas ce qu’il y a d’honnête à se faire épouser" clamera Dominique), et semble vouloir braver la morale par la révolte. Représentante de cette jeunesse méprisée, l’accusée croule sous les à priori de ceux qui sont censés la juger et comme nous l’écrivions au départ, c’est plus que l’assassinat qu’elle a commis, son mode de vie et ses mœurs qui sont conspués et décriés. Impitoyable quant à la pudibonderie de l’opinion au sein du tribunal, Clouzot ne sera guère plus tendre pour les journalistes qui se fichent du drame qui se joue sous leurs yeux du moment qu’ils puissent écrire un papier croustillant, pas plus que pour les avocats s’amusant à se battre dans le prétoire pour mieux se serrer la main à la sortie du tribunal d’autant qu’ils échangeront certainement leurs places au procès suivant, l’avocat de la défense devenant celui de l’accusation et vice versa. On sent que Clouzot jubile également dans sa manière de provoquer le spectateur et l’ordre moral établi par la crudité de ses dialogues et en se servant du sulfureux tempérament de Bardot : on se souviendra longtemps de sa nudité sans complexe et de son déhanchement sous les draps sur un air de cha-cha.


Dans ce film acerbe d’une profonde noirceur nous montrant le procès d’une femme surtout coupable d’être libérée et désinvolte dans une France bien-pensante, l’écriture s’avère admirable alors que la mise en scène de Clouzot fait preuve de rigueur et de sobriété – contrairement à celle plus ‘visible’ qu’il déploiera avec d’ailleurs tout autant de génie dans La Prisonnière – ce qui ne l’empêche pas d’être brillante, notamment lorsqu’il ose utiliser une méthode totalement irréaliste que beaucoup des cinéastes de la Nouvelle Vague reprendront, l’ellipse temporelle et dans l’espace combinée à une continuité dialoguée, c’est-à-dire qu’un dialogue se poursuit tout à fait normalement, sans à-coups, alors que le montage nous fait passer les personnages d’un endroit à un autre. Avec ses scénaristes, il parvient grâce à un scénario très élaboré à faire nous questionner sur le fonctionnement de la justice, sur l’évolution des mœurs, sur la place de la femme dans la société, sur le fossé générationnel qui se creuse en ce début de décennie… En cela le film est passionnant de bout en bout, jusqu’à ce final d’une redoutable sécheresse qui laisse le spectateur pantois juste après qu'il ait été bouleversé par le cri de désespoir lancé par Dominique : "Vous êtes là, déguisés, ridicules, vous êtes tous morts !" Roger Tailleur écrira à propos de ce film dont il s’enthousiasmait notamment sur le duo Clouzot/Bardot : "la rencontre bénéfique d’un vrai metteur en scène et d’une authentique bête de cinéma, du talent et du mythe, du cerveau et du cœur, de la lucidité et de la passion." Difficile de ne pas être en accord avec lui ; grâce aux éditions Coin de Mire, l’on peut désormais le voir et le revoir dans les meilleures conditions possibles.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

la verite
Combo Blu-Ray/DVD
 

Sortie le 08 octobre 2021
Editions Coin de Mire

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Par Erick Maurel - le 15 mai 2025